“Cher collaborateur-collaboratrice,

Suite à vos réponses au survey concernant les open spaces de notre start-up, un meeting a réuni la senior management team et les décisions suivantes ont été prises : un espace de co-working va être créé et leadé par le département Marketing, un kicker en leasing va venir s’ajouter au coffee corner et, enfin, les freelance pourront participer aux team-buildings afin d’avoir les mêmes avantages de gamification que leurs N+1.

Jean Valjean

Chief Happiness Officer”

Même si ce fragment de texte verse dans la caricature, la langue française continue d’être bousculée par la mondialisation. Un certain anglais (1) est devenu une source intarissable de nouveaux mots qui s’injectent et modifient le français actuel. C’est ce que l’on appelle communément une langue vivante puisque, tel un corps, elle n’a de cesse de se muer en quelque-chose qui, à peine établi, fait déjà partie de son passé. Ces évolutions continuent sont l’essence même d’une langue. Elle a besoin que des modifications langagières adviennent pour ne pas mourir. Tant qu’il y a du mouvement, c’est qu’il y a de la vie. Mais ne nous y méprenons pas, comme dans toute chose, la fin d’une langue est inéluctable.

Rassurez-vous, nous n’y sommes pas encore.

Une ligne du temps littéraire

Roland Barthes, le célèbre sémiologue français, s’est fait connaître grâce à son premier livre, publié en 1953, Le degré zéro de l’écriture (2). Il retrace à sa façon l’Histoire de la langue française et la structure via une grille de lecture personnalisée qui a fait sa renommée. Sans doute aurait-il eu tant à dire sur le franglish. Je vous propose une courte analyse de ce classique controversé.

Tout d’abord il convient de préciser que ce premier livre de Roland Barthes dévoile une manière singulière (pour l’époque) d’expliciter la langue. On y découvre un style unique, un agencement de mots qui peut s’apparenter à un gloubi-boulga de paroles, une masturbation intellectuelle qui ne mène le lecteur nulle-part si ce n’est dans l’entre-soi des pensées de l’auteur. Il faut aller au-delà de ces considérations pour comprendre le point de vue de Roland Barthes et le faire résonner dans le bruit d’aujourd’hui.

Pour l’auteur français, la langue et le style sont deux modules différents au sein d’un même ensemble. La langue est un continuum qui traverse les siècles en gardant une unicité compréhensible par tout un chacun tandis que le style est une poussée créatrice qui est bien plus que la simple intention de l’auteur:

“Par exemple, Mérimée et Fénelon sont séparés par des phénomènes de langue et par des accidents de style ; et pourtant ils pratiquent un langage chargé d’une même intentionnalité, ils se réfèrent à une même idée de la forme et du fond, ils acceptent un même ordre de conventions, ils sont le lieu des mêmes réflexes techniques, ils emploient avec les mêmes gestes , à un siècle et demi de distance, un instrument identique, sans doute un peu modifié dans son aspect, nullement dans sa situation ni dans son usage: en bref, ils ont la même écriture.” (3)

Roland Barthes pose des curseurs sur une ligne du temps qui remonte le cours de l’Histoire littéraire. On y (re)découvre que le roman est né dans la bourgeoisie, écrit par une certaine caste et à destination de cette même caste, que le passé simple a longtemps été le temps idéal du roman ou encore que le choix de la première ou troisième personne du singulier dans la rédaction d’un texte change fondamentalement ce dernier. De plus, le sémiologue français s’arrête plusieurs fois sur un fait qui me semble important, l’éclatement de la poésie classique par Victor Hugo:

« La distorsion que Hugo a tenté de faire subir à l’alexandrin, qui est le plus rationnel de tous les mètres, contient déjà tout l’avenir de la poésie moderne, puisqu’il s’agit d’anéantir une intention de rapports pour lui substituer une explosion de mots. » (4)

En conclusion

Le degré zéro de l’écriture trouve sa signification avec l’exemple de l’Etranger de Camus. C’est-à-dire une écriture neutre et transparente dont le style est justement l’absence de style. C’est d’ailleurs cette neutralité qui sera le cœur atomique du travail de Barthes et ce premier essai est le fondement de sa pensée puisque ses autres œuvres, — Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux par exemple — sont autant de textes qui mettent en relief sa façon très personnelle de penser le monde.


(1) … ou plutôt le globish, ce mot-valise signifiant un anglais simplifié.

(2) BARTHES R., Le degré zéro de l’écriture, Editions du Seuil. 1953.

(3) Ibid., P.18

(4) Ibid., P.38


Pour aller plus loin


4 réponses à « Le degré zéro de l’écriture | Roland Barthes »

  1. Bonjour Johan, j’ai un billet en préparation sur la musique dans « Mythologies » de Roland BARTHES.

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    1. Bonjour,

      Je me réjouis de lire et d’entendre cela ! Merci d’avoir prévenu.
      Cela me donnera peut-être envie de relire Mythologies 😉

      N.B. Je suis dans la lecture de « la Guerre et la Paix » de Léon Tolstoï où l’Opéra fait aussi partie des mœurs pétersbourgeois et moscovites de l’époque.

      Aimé par 1 personne

  2. La Guerre et la Paix, livre merveilleux et foisonnant, qui a donné lieu à un opéra de Prokofiev tout aussi merveilleux et foisonnant. Je ne l’ai vu qu’une fois, en version de concert, mais ça dure dans les 4 heures, il faut 17 solistes principaux (environ, je cite de mémoire) et beaucoup de petits rôles, ce qui fait que c’est rarement représenté. Mais il est sur la liste des opéras que je chroniquerai, un jour !
    Bonne soirée, Johan.

    Aimé par 1 personne

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