Ça y est, l’engin des sapeurs-pompiers déboule dans notre rue. Il hurle son urgence dans un boucan de tous les diables alors que la maison des Von Strüdel continue de partir en fumée. Reculez bon sang ! nous lance un des hommes de feu. Oui M’sieur on recule. C’est vrai qu’il fait une chaleur brûlante alors qu’il est trois heures du matin.
— Ca m’donnerait presqu’envie de faire griller des châtaignes, dis-je.
— T’es trop con ! La maison des Von Strüdel brûle et tu fais de l’humour, me rétorqua ma femme.
— De toute façon ça devait s’finir de la sorte.
— Quand même ! De là à ce qu’elle boute le feu à leur maison parce qu’il l’a trompait c’est fou.
— Tu connais Irène … elle a le sang chaud,
— Arrête avec ça ! On en a déjà vu des scènes mais là je n’en reviens pas, s’exclama-t-elle.
— Personne n’est blessé, c’est déjà ça. Et puis peut-être que ça fonctionne comme ça entre eux, disons pour … raviver la flamme.
— Pffffff.
— D’accord, j’arrête mes sarcasmes. C’est juste que cette histoire est aussi romanesque que les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos. 🔥
Un roman épistolaire
Si vous connaissez cette histoire sans jamais avoir lu une seule lettre du livre, il n’y a rien de plus normal étant donné qu’elle a été adaptée des centaines de fois au théâtre, au cinéma, à l’opéra, en comédie musicale mais aussi en innombrables pastiches littéraires. Le tout pour le meilleur mais aussi pour le pire 😉.
Mais au fait, qu’est-ce que le livre Les Liaisons Dangereuses (1) ? Il s’agit d’un roman iconique publié en 1782 et qui prend la forme de 175 lettres échangées entre différents intervenants. Il met en lumière l’histoire de deux anciens amants manipulateurs qui usent de tous les stratagèmes au sein de la noblesse française afin d’arriver à leurs fins. Ils ne reculent devant aucun coup bas et finiront par être emportés dans le tourment de leurs petits jeux malsains.

L’art de la manipulation
Le style épistolaire des liaisons dangereuses offre l’avantage de donner une place privilégiée au lecteur. En effet, nous sommes au centre de l’histoire. Nous savons ce qui se trame dans le dos de chaque personnage, nous rageons de voir autant de sadisme chez les deux amis-amants que sont la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, nous rions sous cape de voir tant de crédulité chez la jeune Cécile Volanges mais, surtout, nous découvrons au fil des pages la manipulation chez tous les protagonistes et particulièrement chez l’ineffable Merteuil :
« Vous, avoir la présidente Tourvel ? Mais quel ridicule caprice ! Je reconnais bien là votre mauvaise tête, qui ne sait désirer que ce qu’elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu’est-ce donc que cette femme ? Des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression : passablement faite, mais sans grâce : toujours mise à faire rire ! Avec ses paquets de fichus sur la gorge et son corset qui remonte au menton ! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là, pour vous faire perdre toute votre considération [...] Allons Vicomte, rougissez vous-même, et revenez à vous. » (2)
Les deux personnages principaux n’ont de cesse de s’envoyer des missives truffées de provocations et pics en tout genre. C’est à qui arrivera à manipuler le plus sournoisement l’autre et à ce titre on peut clairement affirmer que Merteuil est une championne hors catégorie.
Les liaisons dangereuses est un roman qui s’inscrit dans une époque et une société particulière, il ne faut pas lire plus d’une lettre pour se rendre compte que le registre de la langue est on ne peut plus soutenu et il est aisé de reconnaître les personnages qui ont déjà de l’expérience de ceux qui n’en ont pas, en regardant la tournure des phrases utilisées. Ainsi la jeune Cécile Volanges écrit dans un style naïf et enfantin tandis que Merteuil utilise la langue française à la perfection et ainsi faire ce qu’elle veut de qui elle veut.
L’hypocrisie
Ce roman est aussi celui d’une descente dans les luttes d’égo. La plupart des personnages ont une vie publique honorable et ont un rang à tenir tandis que leur vie réelle et privée est parsemée de petites trahisons qui pourraient leur être fatales si elles étaient rendues sur la place publique. Chaque protagoniste a quelque chose à se reprocher et tente tant bien que mal de conserver une réputation honorable. Hypocrisie quand tu nous tiens.
Conclusion
Les liaisons dangereuses de Laclos ne sont pas un classique de la littérature française par hasard. Tout y est concentré dans un peu plus de 500 pages : le style (épistolaire), l’histoire rondement emballée et qui va crescendo, l’écriture de haut vol qui fait la part belle aux savoureuses tournures de phrases mais ce roman vaut aussi le détour parce qu’il s’immisce dans les rapports humains. Nous sommes au XXIème siècle et ils n’ont foncièrement pas changé ! 😉
À bientôt.
(1) LACLOS P., Les liaisons dangereuses, Éditions La Guilde du Livre, 1950.
(2) Ibid., P.39-40