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Tant de langues ont traversé l’Humanité. Certaines ont été englouties par le temps et prennent les poussières dans les archives du monde. Elles sont rangées au grenier des mots, à disposition des spécialistes. Elles ont été supplantées par d’autres que tout un chacun connaît: c’est-à-dire les langues vivantes, celles qui se taillent actuellement la part belle du gâteau avant de se faire renvoyer, à leur tour un jour, dans les tréfonds de l’Histoire par d’autres nouvelles manières de communiquer. Le progrès est partout, même dans les langues. Pour le meilleur et pour le pire.
Une illustre chaîne de télévision franco-allemande diffusait l’autre jour un documentaire où l’on voyait une expérience de dictée au Japon. Des personnes de tout âge devaient écouter un orateur prononcer différents mots, elles devaient, ensuite, les écrire de manière cursive sur un morceau de papier. Résultat ? La plupart d’entre eux connaissaient le mot, savaient le définir, le taper sur un smartphone ou un ordinateur mais étaient incapables de l’écrire à l’aide d’un stylo. Ce genre d’expérience en dit long sur l’avenir de la communication qui sera, me semble-t-il, un langage globalisé, compris du plus grand nombre et intimement lié à l’informatique.
Malgré tout, je reste convaincu que l’histoire d’une langue ne doit pas finir aux oubliettes et que chaque étape de sa construction doit nous aider à mieux comprendre d’où nous venons, qui nous sommes, ainsi que nous donner des pistes de réflexion pour l’avenir. Candide de Voltaire (1) est un de ces classiques qui remplit cette mission et que je passe à la moulinette d’une petite analyse.
Le contexte et l’histoire
Quand, en 1758, Voltaire se met à rédiger ce conte qui deviendra rapidement un incontournable de la littérature française, l’écrivain a l’expérience d’un homme de 64 ans et doute des thèses providentialistes qui affirmaient que “tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles” alors que le réel montrait exactement le contraire de cet optimisme béat. Voltaire vit la brutalité du monde sous toutes ses coutures: du tremblement de terre qui ravagea entièrement Lisbonne à la cruauté de la guerre de Sept Ans, le meilleur des mondes s’écroulait comme un château de cartes, et l’écrivain français entendit bien tailler le portrait à cette philosophie de l’illusion à travers un conte sarcastique, qu’il nomma … Candide.
L’histoire est celle d’un jeune homme qui vit dans le meilleur des mondes en Westphalie, où tout est pour le mieux: un château comme logis, un précepteur (Pangloss) qui l’initie à la philosophie, ainsi que Cunégonde, sa promise dont il tombe amoureux jusqu’au jour où le père de celle-ci expulse le jeune héros — Candide vous l’aurez devinez — hors du château. La confrontation face à la réalité sera sévère et amènera le jeune homme à parcourir le monde, à s’extirper des embûches les plus atroces, dans le but de retrouver sa dulcinée et d’acter la célèbre citation populaire “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Il n’en sera rien, que du contraire !
De l’optimisme à la désillusion
Dès le premier chapitre du conte, l’ironie et les sarcasmes se lisent en filigrane de l’œuvre. Voltaire se fiche royalement du conte classique ainsi que de l’optimisme qui rend aveugle. En prenant une plume faussement naïve, Voltaire se moque des croyances de son époque. Il grossit le trait jusqu’à tourner en ridicule ce qu’il dénonce à travers le personnage de Pangloss, un philosophe optimiste jusqu’à en devenir absurde :
“ Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes,aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux ; aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé : et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux. “ (2)
Cet optimisme à toute épreuve accompagne le jeune Candide lors de ses mésaventures. Les évènements qui lui tombent sur le coin du visage ont beau être d’une cruauté sans nom, le héros tente de se convaincre que le monde est parfait. Chacune de ses expériences brutales laissent, malgré tout, des traces chez Candide et finiront par fissurer son insouciance au point d’en devenir, à la fin du conte, un personnage désillusionné de la vie.
Dans chacun des trente chapitres de ce conte, Voltaire crée volontairement un saisissant écart entre la naïveté romanesque de Candide et la réalité violente. Les réactions du héros sont à ce point surréalistes qu’il ne peut y avoir de doute possible sur le côté ironique de l’œuvre.
Le siècle des Lumières
Candide ou l’Optimisme est aussi une critique en règle de l’intolérance et du fanatisme religieux puisque la plupart des événements brutaux, dont il est question dans ce conte, mettent le héros au coeur d’une foule d’exemples tels que les exactions de l’Inquisition, le pouvoir excessif de l’autorité religieuse, la guerre, l’esclavage et la colonisation.
Voltaire utilise le sarcasme et l’ironie pour mettre en exergue les fléaux qui ont jalonné le XVIIIe siècle plus communément appelé le siècle des Lumières dont l’écrivain français fut un des plus dignes représentants puisqu’il plaida contre les calamités dont il est question dans ce conte philosophique.
Conclusion
Trente chapitres pour une centaine de pages seulement, Candide est un texte dense où l’optimisme côtoie la violence et l’absurde flirte avec le surréalisme. Ce conte, qui ne se lit pas au premier degré, dévoile toute la finesse voltairienne et rend compte de ce qu’était la réalité du siècle des Lumières en se moquant ouvertement de la philosophie de Leibniz et de son meilleur des mondes possibles. Candide ou l’Optimisme est on ne peut plus actuel dans notre époque où la bien-pensance se complait à donner ses leçons sur ce qui est bien ou mal, alors que la confrontation face à la réalité montre que cette manière de penser est simplificatrice voire … pathétique !
À bientôt,
N.B. : En bonus une petite vidéo mordante pas piquée des hannetons. Enfin, ça c’est moi qui l’dit! 😉
(1) VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, Édition Pocket, 1998
(2) Ibid., P.20
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