Paris-Match. Est-ce bien ce magazine un peu cracra aux phrases coups de poing pour attirer l’œil du passant, du style “François Hollande, le terrible secret de son scooter” ou “Céline Dion, son enfant caché”? A priori oui, c’est de cette presse là dont il est question, celle qui s’engouffre dans un détail et qui l’érige au rang de scandale. Pourtant, cette même presse sorti, entre la fin des années 1960 et le début 1970, une collection appelée “Les géants” et qui passait en revue les monstres littéraires. Cela brassait large, de Shakespeare en passant par Goethe, sans oublier Molière ou encore Hugo, il s’agissait d’une collection de seize biographies sur ces fameux géants. En 1971, sortait le dernier ouvrage de cette série. Celui consacré à Tolstoï (1).

Une biographie sur Tolstoï

Tout d’abord, c’est en tenant ce bouquin entre mes mains que je me rend compte de l’évolution du livre en tant qu’objet. Début des années 1970, la couverture est ultra-cartonnée et décoré (oui c’est le mot) de motifs aux semblants dorés, le format, lui est peu commun (un A5). Début des années 2020, la couverture s’affiche sur une tablette qui peut contenir autant de livres qu’une bibliothèque entière. Le livre s’est dématérialisé et c’est toujours interpellant de se dire que peut-être, un jour, le livre en tant qu’objet physique n’existera plus. Bref, qui vivra verra. Revenons-en à Tolstoï.

Cet ouvrage n’est pas une biographie exhaustive sur le comte russe mais elle a le mérite d’exister et d’aborder la vie de l’écrivain sous plusieurs formes. Nous avons droit, par exemple, à un résumé de sa vie agrémenté de nombreuses photos mais aussi, et c’est là que le livre devient intéressant, d’une série d’anecdotes intimes sur sa vie militaire dans le Caucase, son rôle d’avocat dans une affaire ridicule qui tourne au drame (un sergent gifle son capitaine et est condamné à mort) ou de ses déboires sentimentaux avec Sophie Tolstoï.

La peinture à l’époque de Tolstoï

Une autre originalité de ce livre consiste à la mise en perspective de la biographie de Tolstoï d’un côté avec les œuvres d’art majeures créées à cette même époque en Russie. On y découvre des tableaux représentant la vie chez les aristocrates ainsi que chez les paysans. En voyant le nom des peintres, Répine, Serov, Gontcharova, on peut se rendre compte que l’époque traversée par Tolstoï était dominée par le réalisme, ainsi que par l’impressionnisme, avant que l’avant-gardisme ne vienne pointer le bout de son nez.

Tableau de la jeune filles aux pêches (Serov) - 1887
Ici le tableau impressionniste de la jeune filles aux pêches (Serov) – 1887

A l’instar de la peinture, cet ouvrage se permet aussi un lignage littéraire à coup de mini biographies de Pouchkine jusqu’à Tchekhov, c’est à dire des écrivains qui ont précédé Tolstoï, d’autres qui ont été ses contemporains et enfin quelques-uns qui lui ont survécu. Cette ligne du temps historique permet de mieux comprendre la chronologie de la littérature russe du XIXème siècle mais aussi l’héritage culturel qu’a pu avoir Pouchkine sur Tolstoï. Ceci étant un exemple parmi tant d’autre.

Enfin, les quelques pages consacrées au tolstoïsme contiennent une facette interpellante de la vie de Léon Tolstoï: la pédagogie vue par Tolstoï et qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain Célestin Freinet. Lisez plutôt cet étonnant passage:

L’éducation, loin d’améliorer les hommes, les corrompt. Plus le garçon est dépravé, plus il doit être laissé libre. Instruire et éduquer un enfant est en soi une chose absurde…” Tels sont les principaux fondements de la pédagogie tolstoïenne (inspirée pour une grande part des idées de Rousseau) ; et sur ces principes, le comte-écrivain fonde une école pour les enfants des paysans de son domaine d’Isnaïa Poliana. Sa règle de base? “Fais ce que tu veux”. Les enfants vont, viennent, bavardent, écoutent ou n’écoutent pas les leçons; ils n’ont pas de livres, ne craignent ni les notes, ni les interrogations. L’école se caractérise par l’absence d’autorité et le livre développement de la personnalité individuelle… (2)

Tolstoï aurait-il créé le mythe de l’enfant roi bien avant l’heure?

En conclusion

Ce livre ne nous apportera pas cette réponse mais il permet d’avoir une vue générale sur la vie de l’écrivain agrémentée de mises en perspective, d’extraits de quelques-uns de ses romans, ainsi que d’un fourmillement d’anecdotes. A lire par les lecteurs qui veulent avoir une porte d’entrée facile sur l’écrivain russe mais pas que.

N.B Pour celles et ceux qui voudraient approfondir cette interpellante facette du tolstoïsme pédagogique, je ne peux que recommander l’excellent article de France Roy: http://www.psychasoc.com/Textes/Tolstoi-pedagogue

À bientôt 😉


(1) Ouvrage collectif, les géants: Tolstoï, Paris-Match. 1971

(2) Ibid., P.121


Pour aller plus loin


6 réponses à « Les géants: Tolstoï | hors-série Paris-Match »

  1. […] via Les géants: Tolstoï |hors-série Paris-Match — Les Petites Analyses […]

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  2. Il est important de connaître le contexte de l’époque où l’écrivain a vécu. cela aide beaucoup dans la perception correcte de son travail. mais, de mon point de vue, pour essayer de comprendre l’essence que l’auteur avait en tête, c’est toujours son œuvre.
    Si nous parlons de Tolstoï, alors c’est «Guerre et paix» et «Anna Karenina». à peine lisant ces romans, un lecteur étranger pourra comprendre toutes les caractéristiques de la vie russe de l’époque.
    mais comme la civilisation s’est développée à des stades similaires, du moins en Europe, alors, en s’appuyant sur la connaissance de l’histoire générale, on peut assez bien comprendre les idées de base que l’écrivain porte dans son œuvre.
    comme je ne connais pas le français, je le traduis en tant que traducteur, donc je ne sais pas combien j’ai réussi à faire passer mon message.

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    1. Bonjour,
      Добрый день,

      Merci pour votre commentaire qui est compréhensible même avec le traducteur. Je vous rejoins sur la mise en contexte de l’époque dans des œuvres littéraires tels que les classiques de la littérature russe.

      Quant à Anna Karenine et Guerre&Paix, ils résument « tout » à eux seuls mais les autres oeuvres de Tolstoï permettent aussi d’en savoir plus sur l’époque et sur Léon Tolstoï.

      Excellente journée,

      Aimé par 2 personnes

      1. certainement. Je suis d’accord. les grands écrivains sont intemporels.
        merci la culture du monde nous donne beaucoup pour comprendre le monde.😊

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  3. […] Les géants: Tolstoï | hors-série Paris-Match […]

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  4. […] Les géants: Tolstoï (ouvrage collectif de Paris-Match) […]

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