Les Cosaques | Léon Tolstoï

Il regardait au loin tandis que ses naseaux expulsaient d’épais nuages qui disparaissaient aussitôt dans l’air givré. C’était l’hiver et je me tenais à quelques mètres de lui, scrutant le moindre de ses mouvements. Il restait immobile, les yeux vissés sur l’horizon. Sa tranquillité me fascinait. À pouvait-il penser ?

Au bout de longues minutes de silence, il enfouissait son nez dans l’une des rares touffes d’herbe qui n’avaient pas succombé au poids de la neige, l’arracha avec délicatesse, releva les yeux vers le lointain et mâcha tranquillement sa pitance hivernale. Sans doute savait-il qu’il était inutile de disperser de l’énergie alors que l’hibernation était proche. Mes pas, que je pensais feutrés, trahirent mon approche. Une branche morte craqua sous mes chaussures et le cheval tourna soudainement la tête.

Il m’examina de ses yeux clairvoyants et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouvais à nu. Mes peurs, mes joies, mes désirs et ma vie avaient été dépouillés par le simple regard de cette bête. Les circonvolutions de l’âme n’avaient plus cours, seul subsistait la conscience de ce moment. Le masque était tombé, là, au milieu d’une prairie enneigée. Il disparu en marchant dans un nuage de brume et je compris ce qu’il regardait au loin.

Je me surprend encore des années plus tard à me remémorer ce moment, qui ne dura qu’une poignée de minutes, où un cheval changea la trajectoire de mon existence ! Rien de neuf dans cette anecdote puisque la relation entre l’Homme et le Cheval a toujours été spéciale, et ce n’est pas le livre Les Cosaques de Tolstoï (1) qui démontrera le contraire. Analyse. 


Une histoire autobiographique

L’écrivain russe a écrit des dizaines d’ouvrages mais si l’on demandait aux lecteurs francophones quels sont les romans de Tolstoï qu’ils connaissent le mieux, sans doute répondraient-ils Anna Karenine ou Guerre et Paix. Rares sont ceux qui choisiraient Les Cosaques comme livre à mettre au-dessus de la pile. Or ce roman n’est pourtant pas dénué d’intérêt, loin s’en faut.

Il raconte l’histoire d’Olénine, un jeune homme déçu de sa vie dans la capitale moscovite, qui met les voiles pour le Caucase afin de se faire enrôler en tant qu’officier dans un régiment de cosaques. Ce voyage sera pour lui une première expérience, loin de la ville, où la nature est aussi rugueuse que splendide. Cette expédition vers l’inconnu lui fera découvrir la culture cosaque, la guerre mais aussi l’amour. Les voyages forment la jeunesse disaient-ils 😉.

Ce court roman, publié en 1863, est, en fait, une autobiographie. Les aventures d’Olénine sont celles du jeune Tolstoï lors de son passage dans le Caucase. On y retrouve déjà les questionnements classiques de l’auteur russe sur le bonheur et sa quête pour une vie simple, loin des frasques mondaines 

« Vous croyez connaître la vie, savoir où est le bonheur ! Or, vous ignorez totalement la façon de vivre simplement et suivant la nature. Vous ne pouvez imaginer les merveilles qui s’offrent chaque jour à mes yeux : des neiges éternelles et vierges, des forêts touffues, une femme pure, dans la floraison de sa beauté primitive […] J’éprouve un véritable malaise dès que je revois vos salons, ces femmes aux cheveux pommadés, piqués de boucles fausses, ces bouches ignorantes des propos naturels, ces bras graciles, ces jambes lourdes, ces inconsistantes cervelles qui ne savent discerner le bavardage mondain d’une vraie conversation.» (2)

Le style

Quand Tolstoï rédige Les Cosaques, il a déjà publié quelques écrits mais ses chefs-d’œuvre sont toujours en gestation. Ce roman est l’occasion de découvrir le style déjà bien affirmé de l’auteur russe. Les descriptions typiquement tolstoïennes sont déjà présentes et empreintes d’un réalisme qui sera la marque de fabrique de Tolstoï. Dans ce livre de 267 pages, le maître russe dévoile déjà son amour pour la campagne et laisse apparaître ce qu’il a réellement vécu dans le Caucase puisqu’il y passa quatre années en tant que sous-officier de l’artillerie russe. Comme le héros de son roman, le jeune Tolstoï vivra là-bas des aventures et une certaine gloire qu’espéraient tant de jeunes de son âge. Le Caucase était, à cette époque, le lieu idéal des exploits héroïques. Et ce n’est pas Lermontov ni Pouchkine qui auraient démenti, eux qui ont tant écrit sur cela ! 😉

Léon Tolstoï en 1855 en habit de sous-officier alors qu’il était dans le Caucase

Qui étaient les cosaques ?

Voilà une question qui mérite d’être abordée puisqu’il s’agit de l’un des thèmes centraux du roman. L’image clichée la plus connue du cosaque veut qu’ils soit coiffé d’un bonnet et qu’il parcoure, en groupe, les steppes au fil des différentes époques de manière assez nomade. Ainsi, l’histoire de la cosaquerie ne date pas d’hier puisqu’il faut remonter au XIVème siècle afin de retrouver leur origine du côté des actuels territoires de l’Ukraine et de la Russie.

Quand on emploie le terme de cosaque, il s’agit d’un mot générique puisqu’il existait plusieurs communautés différentes. Parmi les plus connues on retrouve les cosaques zaporogues (comme dans le Tarass Boulba de Gogol !), les cosaques du Don ou encore ceux du Terek.

Sur la carte suivante vous pouvez remarquer (en bleu) où étaient situés les communautés cosaques. On peut ainsi voir que la majorité vivait à l’Est de l’Ukraine ainsi que dans le Caucase mais qu’ils se retrouvaient aussi le long de toute la frontière Sud de la Russie.

Cliquer sur la carte pour l’agrandir

À bientôt 😉


(1) TOLSTOÏ L., Les Cosaques, Éditions La Guilde du Livre, 1948

(2) Ibid., P.214

6 réflexions sur « Les Cosaques | Léon Tolstoï »

  1. Je te croyais disparu, Johan, mais, heureuse tromperie, tu es revenu, c’est la première bonne nouvelle des Petites analyses
    Une immense cathédrale, la littérature russe, mais je ne parle pas cette langue (j’avais choisi l’anglais à la fac et à l’école le russe n’était plus obligatoire ! en Roumanie), c’est pour cela que je me dis que le traducteur doit être un plus que parfait connaisseur des deux langues : le russe et le français et de leur formidable richesse.
    Il paraît que le roman Les Cosaques a été acclamé par Ivan Bounine comme l’un des plus beaux de la langue russe.
    A très bientôt Johan
    Diana

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    1. Bonjour Diana,

      Et merci de ta visite ! En effet les derniers mois furent agités avec un déménagement, des travaux, et … des livres qui sont restés trop longtemps dans les cartons !

      C’est toujours compliqué de traduire de la littérature dans une autre langue mais l’avantage est que Tolstoï parlait français et cela se ressent fort dans ces écrits. Pour Dostoïevski c’est une autre histoire 😉

      À bientôt

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  2. En ce moment, je lis Résurrection de Tolstoï, et c’est également très bien.
    Bonne journée, Johann.

    Aimé par 2 personnes

    1. Tolstoï aurait-il du succès en cette froide période ? ;)))

      À bientôt !

      Aimé par 2 personnes

      1. J’ai découvert Résurrection après avoir écrit cet article sur Léon Tolstoï :
        https://toutloperaoupresque655890715.com/2022/04/23/leon-tolstoi-1828-1910/

        J’aime

  3. C’est un Tolstoï que j’ai adoré, bien mis en valeur dans ta chronique. Les précisions quant à qui sont les cosaques sont tout à fait intéressantes. Merci Johan !

    Aimé par 1 personne

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