Un incipit connu

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : “ Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. (1)

Cet incipit, l’un des plus connus de la littérature française, nous plonge d’emblée dans l’œuvre phare d’Albert Camus. L’Étranger. Une œuvre connue mondialement, traduite dans plus de soixante-huit langues et qui est, ni plus ni moins, le troisième roman francophone le plus lu dans le monde. Telle une photographie instantanée, les premiers mots de ce livre figent un point de départ précis. Celui d’un homme singulier — Meursault — confronté à la mort.

Un style neutre

Dès cette introduction, nous pouvons déjà distinguer une écriture qui contribuera à la renommée de l’Étranger. Les phrases sont neutres, descriptives, dépouillées d’un style particulier. Ce degré zéro de l’écriture (comme l’écrivit Roland Barthes) colle parfaitement à la psychologie de Meursault, le personnage principal. En effet, rien ne l’atteint et c’est spécifiquement sur ce trait de caractère que la société le jugera tout au long du roman. L’écriture d’Albert Camus, qui peut paraître simpliste au premier abord est, en fait, une mise en abyme parfaite pour faire ressentir au lecteur la problématique de l’insensibilité de Meursault.

A ce titre, le titre du livre est on ne peut plus clair quand on sait à quel point l’indifférence est prégnante chez le personnage principal. Il est étranger à lui-même, aux autres ainsi qu’à la société en général. Je ne m’épancherai pas sur le sujet, tant de choses ayant déjà été dites quant à la signification du titre. Je conseille malgré tout l’excellent article de Christophe Junqua Regard sur l’Étranger de Camus (2) qui synthétise avec brio le cas Meursault.

Interprétations originales du roman

En revanche, Il me semble important de relever quelques détails ou interprétations du roman qui me semblent peu répandus et qui pourront donner un nouvel éclairage sur ce classique de la littérature:

  • Plusieurs éléments laissent à penser que le roman Crime et Châtiment de Dostoïevski a laissé de profondes traces dans l’intrigue de l’Étranger. On retrouve dans les deux romans, une personne qui commet un meurtre pour des raisons singulières. L’une pour tester la moralité (sic) et l’autre par pur concours de circonstances. Dostoïevski et Camus partagent aussi le fait de se mettre totalement dans la peau de Raskolnikov et de Meursault. Enfin, la place prise par l’après-meurtre dans l’Étranger n’est pas sans rappeler celle de Crime et Châtiment où une partie conséquente du roman fait la part belle aux questionnements intérieurs du meurtrier. Comme si Meursault était l’antithèse de Raskolnikov.

  • Les éléments du soleil et de la mer sont omniprésents dans le roman d’Albert Camus. Il n’y a pas un chapitre sans que Meursault ne fasse référence à la sensation que lui procure un rayon de soleil sur sa peau ou une une baignade en mer avec Marie. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si le nom du personnage principal est la contraction de deux mots Mer-Soleil. Il n’y a qu’à travers ces deux éléments naturels que Meursault fera preuve de sensibilité. Est-ce une coïncidence?

  • Enfin, la qualité du roman tient aussi par son effet miroir. Il est composé de deux parties qui n’ont de cesse de se renvoyer la balle à coup de parallélismes et d’oppositions. Cette scission du roman entre l’avant-meurtre et l’après-meurtre en fait presque deux histoires distinctes qui se nourrissent subtilement. Le roman aurait pu voir ces deux parties inversées que cela n’aurait en rien changé la lisibilité de l’intrigue.

En guise de conclusion, ce roman est un de ceux qui, j’en suis convaincu, continuent à se bonifier avec le temps. Derrière le cas d’un meurtrier singulier, Albert Camus pose la délicate question de l’individualité dans une vie en société.

A relire.


(1) CAMUS A., L’Étranger, Editions Gallimard, 1942. P.9

(2) https://www.cairn.info/revue-inflexions-2017-1-page-161.htm


📗 Résumé du livre


Pour aller plus loin


5 réponses à « L’Étranger | Albert Camus »

  1. Merci pour cette chronique qui me donne envie de relire ce classique (que j’ai lu pour la première fois il y a plus de 20 ans).

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  2. Intéressante cette analyse. Je vais ressortir L’étranger et le relire. De même que Crime et châtiment. Ben oui, tant qu’à faire.
    En tout cas, merci. Bon dimanche, et à bientôt, Johan
    Au plaisir de te lire.

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    1. Bonjour Solène,

      Merci de ta visite !

      L’avantage de l’Étranger est que cela se lit très vite… donc oui pourquoi pas.

      Quant à Crime et châtimentest même s’il est d’un noir purement « Dostoïevskien », il reste un de mes livres préférés.
      J’adore la manière dont D. traite la psychologie de ses personnages.

      Beau dimanche ensoleillé ☀️

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  3. […] dans l’Étranger, la plume d’Albert Camus est dépouillée. Point de respiration, et encore moins de tiret […]

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