En novembre, le vent ne doit pas forcer son talent pour déshabiller les arbres et fournir, aux entrées des librairies, une offrande de feuilles brunes. Le propriétaire peut s’évertuer à refuser ce cadeau de saison, ses quelques coups de brosse ne font pas le poids contre la technique du « Je t’apporte un nouvel arrivage de feuilles mortes dès que tu auras le dos tourné ». C’est seulement au bout de quelques jours que l’homme s’avouera vaincu par la nature et admettra que ce nouveau tapis de sol va de pair avec l’automne.

En poussant la porte de la librairie, le client se retrouve à shooter dans les feuilles de l’entrée tout en posant son regard sur d’autres objets de saison: Les bandeaux écarlates des prix littéraires fraîchement décernés. Mis bien en évidence sur les étagères, ils sont là pour nous rappeler que l’on ne parle plus que d’eux dans le milieu littéraire. Leurs auteurs sont de tous les médias. Radio, télévision, internet, presse écrite, il faut être sourd et aveugle pour ne pas savoir que Sylvain Tesson est le dernier prix Renaudot.

Depuis son ascension médiatique il catalyse des réactions opposées, les uns saluant sa plume littéraire et les autres trouvant son aura surestimée. Les références qu’il égrène dans certains de ses ouvrages peuvent en rebuter plus d’un, tout comme son style élégant peut vous emporter dans des contrées lointaines en l’espace d’un aphorisme. Au delà de ces considérations subjectives, Sylvain est le fils d’un homme influent en la personne de Philippe Tesson (journaliste, chroniqueur, propriétaire d’un théâtre et d’une maison d’édition). Il est donc raisonnable de penser que le phénomène Sylvain Tesson est autant dû à un indéniable talent qu’à une excellente situation. Tout ce battage médiatique autour de l’auteur français aura finalement produit, pour ma part, un effet de bord: Détourner mon attention de son dernier ouvrage La panthère des neiges   et remonter dans sa bibliographie pour tomber sur ce recueil de nouvelles: Une vie à coucher dehors (1). Analyse.

Quinze nouvelles

Dès les premières page, on se rend compte que l’on ne va pas voyager dans des paysages de cartes postales mais dans quelques contrées rugueuses où l’Homme est remis à sa juste place, c’est à dire un infime détail égocentré dans l’immensité du monde. L’auteur français, géographe de formation nous emporte dans son sac à dos sur l’immense territoire de l’ex-URSS, dans l’Écosse traditionnelle, au bord des Cyclades ou encore au cœur du Moyen-Orient, pour nous conter des histoires où nos travers d’humains et nos croyances tournent au ridicule quand on prend un peu de hauteur:

“Ce chantier fut montré en exemple dans le pays comme un modèle de sécurité. Pour cent kilomètres d’asphaltage, on ne déplora que trois incidents. Un ouvrier à court de vodka s’était perforé l’intestin en avalant de l’antigel pour fêter le premier kilomètre. Un autre avait parié qu’il garderait son pied le plus longtemps possible sur la chaussée au passage du compresseur et gagna son pari. Enfin on retrouva le cadavre d’un contremaître à bord d’une pelleteuse retournée dans la rivière: il l’avait empruntée une nuit de cuite “pour chercher des provisions”. Il y a toujours sur la route de Tsalka un petit monument votif construit en sa mémoire.” (2)

Les quinze nouvelles touchent à des sujets aussi divers que sont le féminisme, l’animalisme, l’écologie et l’Histoire. Il n’est pas rare que le propos soit appuyé avec vigueur, comme dans la nouvelle le bug où l’on suit la soudaine apparition d’un soulèvement féministe aux quatre coins de la planète. Les femmes prennent leur revanche sur les hommes à coup de meurtres symboliques. Dans cet exemple précis, Sylvain Tesson use de grandiloquence et pare les situations de ridicule pour mieux souligner la bêtise humaine — celles des hommes en l’occurrence.

Un style et des références

Au niveau stylistique, l’écrivain, qui a reçu le prix Goncourt de la nouvelle en 2009 pour ce recueil, diversifie ses structures narratives. On y retrouve tantôt un genre épistolaire (Les porcs), tantôt purement descriptif, sans oublier des constructions hybrides qui mêlent plusieurs genres (le courrier). Au delà du style, les quinze nouvelles partagent un même effet de surprise. L’épilogue de chaque texte est un coup de théâtre moral qui nous invite à questionner le monde dans lequel nous vivons.

Quant aux critiques, on pourrait reprocher à Sylvain Tesson d’utiliser sa connaissance de l’Histoire pour afficher ses références sans que cela ne s’insère avec une nécessaire lisibilité. Je pense notamment à la première partie de la nouvelle Le naufrage qui nous plonge au cœur d’une bataille dans la Grèce antique et qui semble s’adresser à des spécialistes de cette période particulière de l’Histoire. On pourrait aussi noter, toujours pour cette nouvelle, quelques relents de la fiction de Tarass Boulba mais est-ce critiquable que de faire des emprunts à un auteur tel que Nicolas Gogol pour donner du corps à un écrit?

En conclusion, ce recueil de nouvelles a véritablement lancé la carrière d’écrivain de Sylvain Tesson. Il n’a pas volé son prix littéraire tant il arrive à installer un souffle différent dans chacune de ses quinze nouvelles.  Son amour du vivant y côtoie une certaine misanthropie mais je pense qu’il s’agit là d’une manière de mettre en relief notre travers d’être humain souvent trop centré sur lui-même. Et le moins que l’on puisse dire c’est que cela fonctionne puisque j’ai avalé d’une traite les deux cent pages d’Une vie à coucher dehors.

À bientôt 😉


(1) TESSON S., Une vie à coucher dehors, Editions Gallimard, 2009.

(2) Ibid., P.24.


Pour aller plus loin


4 réponses à « Une vie à coucher dehors | Sylvain Tesson »

  1. Belle chronique, bien équilibrée, sur cet écrivain qui s’inscrit durablement dans le paysage littéraire. Il m’irrite quelquefois mais il pose de bonnes questions et sait écrire un bouquin qui captive… Il faudra que je lise ce recueil de nouvelles !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci!

      Il est vrai que S.Tesson a ce faux air méprisant, un peu donneur de leçons.

      Il a écrit un merveilleux recueil de nouvelles qui n’est malheureusement plus édité et qui s’appelait Nouvelles de l’Est et qui est, pour moi, encore un cran au dessus de ce recueil-ci car complètement brut de décoffrage.

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