Le vent d’octobre s’infiltre dans les ruelles liégeoises et fouette le visage de dizaines d’étudiants masqués. Les plus frileux ont déjà enroulé l’écharpe de saison autour de leur cou tandis que d’autres font de la résistance en arborant le dernier t-shirt à la mode. L’entre-saison est le moment de l’indécision où les humains hésitent quant à leur tenue vestimentaire tout comme les feuilles jaunies d’automne chancellent au bout des branches. Tombera, tombera pas ? Veste ou manteau ? Avec ou sans bonnet ? 🍂
Au même moment, le froid étend doucement ses gelées dans plusieurs régions russes. La ville de Toula, au sud de Moscou, n’échappera pas à la plongée des températures d’ici quelques semaines. Cette cité industrieuse et métallurgique était connue pour avoir un savoir-faire dans le fabrication de machines en tous genres. La nouvelle “Le Gaucher” (1) de Nikolaï Leskov donne un aperçu de ce qu’était cette Russie-là, non sans un brin de malice. Analyse.
L’histoire
L’histoire commence par le voyage du tsar Alexandre en Angleterre où les ingénieurs n’ont de cesse de l’impressionner en lui montrer mille et une merveilles de l’industrie anglaise, dont une étrange puce microscopique et mécanique. Seul Platov, fidèle serviteur du tsar et russophile passionné, reste insensible à ce défilé d’objets technologiques et affirme que la Russie peut mieux faire ! Le tsar et Platov ramène alors l’étrange puce dans la ville de Toula et convoquent les meilleurs artisans, dont un gaucher bigleux, afin d’en faire quelque-chose d’encore plus génial ou plutôt … d’encore plus russe !
Cette nouvelle, publiée en 1881, s’apparente à un conte populaire qui se moque gentiment de la manie de tout russifier pour le meilleur et souvent pour le pire. Comme cette puce qui se verra finalement affublée de fers aux pattes alors que tout le monde s’attendait à quelque-chose d’extraordinaire. Cette fine dérision qui sous-tend le texte n’est d’ailleurs pas restée sans réponse puisque cette nouvelle fut, entre autre, interdite pendant la période communiste ! Il faut dire que Leskov réussi à tourner la Russie en dérision : Platov et sa fierté exacerbée, l’artisan bigle et gaucher, ainsi que le tsar Alexandre un peu benêt sur les bords …
Leskov et les néologismes
La langue utilisée dans La Gaucher est aussi truffée de néologismes et de mots-valises assez bien retranscrits en français. L’auteur manipule sa connaissance du langage oral et du folklore russe afin de créer un style novateur pour l’époque :
“ Aussitôt les anglais d’exhiber toutes sortes de stupéfiances et d’expliquer ce qui est à la mode d’employer chez eux sur les théâtres militaires : bavomètres maritimes, mantonneaux en drap Madère des régiments à pieds, et impermouillables goudronnés pour la cavalerie. “ (2)
Si Nikolaï Leskov joue si bien avec la langue russe et abuse des clichés (le caractère rationnel des anglais, l’irrationalité des russes) c’est aussi grâce aux voyages qui l’ont mené en Europe mais aussi dans la Russie profonde, loin de Saint-Pétersbourg ou de Moscou.
En conclusion, Le Gaucher est une petite nouvelle de 90 pages qui se laisse lire facilement grâce à son humour grinçant voire … à son autodérision. 😉
Pour aller plus loin: La biographie détaillée de Nikolaï Leskov (Ours Magazine).
(1) LESKOV N., Le gaucher, Ginkgo Éditeur, 2019
(2) Ibid., P.19
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