Je considère la lecture comme une manière de revenir à l’essentiel. L’acte en lui-même demande à ce que l’on change de rythme. Se poser quelque-part, et prendre le temps de lire les premières pages d’un bouquin est souvent synonyme d’apaisement. Ce n’est pas anodin si, par exemple, certaines écoles suspendent, quotidiennement, le tumulte des cours pour laisser place à la lecture. De l’élève au directeur, chacun sort alors son livre et c’est tout l’établissement qui plonge dans un silence apaisant pendant une quinzaine de minutes. Certains lisent des romans, d’autres des bandes dessinées ou des mangas. La seule réelle restriction réside dans l’interdiction de lire sur un écran afin que ce moment (re)devienne un plaisir sain. Cette routine permet à chaque personne de ressentir les bienfaits de la lecture. Et peut-être d’y prendre goût.
À l’opposé de cette manière douce d’entrer en contact avec le monde du livre, il y a l’immanquable rentrée littéraire. Une fureur déferle alors sur les médias dès la fin du mois d’août et atteint son climax au fur et à mesure des remises de prix. Ce bourrage de crâne, où chaque nouveauté se transforme en coup de cœur ou en livre de l’année, a tendance à me faire fuir. La machine publicitaire, bien rodée, n’y va pas avec le dos de la cuillère et colle parfaitement à l’époque puisqu’on ne lit plus un livre non, … on le consomme. Certains me rétorqueront que le monde littéraire a besoin de la rentrée littéraire et de sa visibilité pour (sur)vivre. Mais ne soyons pas dupe, cette fureur commerciale profite surtout aux grandes maisons d’édition, les autres se partageant gracieusement les miettes.
Et pourtant, comme beaucoup de personnes, je reste un être de contradiction. Il y a quelques années, sans ce marketing, mes oreilles n’auraient peut-être jamais entendu le nom de Sylvain Tesson et de son fameux « Dans les forêts de Sibérie ». Un livre et un auteur dont j’ai appris à apprécier la finesse au fil des ouvrages. Quand son dernier récit, La panthère des neiges (1) remporta le prix Renaudot 2019, je décidais avec force conviction de retarder sa lecture afin de laisser passer la folie médiatique qui accompagne un livre fraîchement couronné. Un plus tard, il était temps de voir ce que Tesson avait à nous dire à travers son dernier bouquin. Petite analyse.
L’animal et l’homme
Cet ouvrage est une histoire de rencontres. Il y a d’abord celle de deux hommes, Vincent Munier le photographe et Sylvain Tesson l’écrivain, qui projettent, depuis les bords de la Moselle, une expédition au Tibet à plus de quatre mille mètres d’altitude. Le but est d’apercevoir le fantôme des montagnes, c’est-à-dire une panthère aussi majestueuse qu’insaisissable. Le duo d’aventuriers, accompagné de deux autres personnes, forment un groupe plus ou moins hétérogène tels les quatre éléments de la Terre: quand l’un est capable de rester tapis dans l’ombre, pendant des heures à l’affût du cliché parfait, l’autre, plus bavard, considère l’attente comme une sacrée expérience en soi.
“ Moi qui aimais courir les routes et les estrades, accepterais-je de passer des heures, immobile et silencieux ?
Tapis dans les orties, j’obéissais à Meunier : pas un geste, pas un bruit. Je pouvais respirer, seule vulgarité autorisée. J’avais pris dans les villes l’habitude de dégoiser à tout propos. Le plus difficile consistait à se taire. “ (2)
Il s’agit aussi de rencontres entre des animaux et des hommes. Au loin un troupeau de yacks est aperçu entrain de paître, à droite un chat de Pallas fixe ce drôle de quatuor d’humains puis disparait, au bord d’une falaise un loup hurle sa vie. L’équipe est entouré d’une faune que l’on ne trouve quasi plus sous nos latitudes européennes. Et puis surgit la fameuse panthère tachetée de gris dont le pelage se confond avec les masses rocailleuses des montagnes. Sylvain Tesson décrit ce qu’il voit du bout de sa plume poétique, versant parfois dans l’excès par ses tics de géographe et ses nombreux aphorismes. Il n’en reste pas moins que la magie opère, surtout quand l’auteur lâche le trop-plein de mots savants et fait parler son intarissable passion de la nature.
Une invitation à la contemplation
La recherche de cette panthère des neiges est aussi une ode, à peine déguisée, pour un amour enfui dans les catacombes des souvenirs de l’auteur. Partir à la quête d’un animal presque disparu est d’autant plus symbolique que Sylvain Tesson nous confie au détour de quelques phrases émouvantes le décès de sa mère à qui il semble dédicacer cet ouvrage (3) :
“ La vie se rassemblait: naître, courir, mourir, pourrir, revenir dans le jeu sous une autre forme. Je comprenais le souhait des Mongols de laisser leurs morts se décomposer dans la steppe. Si ma mère l’avait dicté j’aurais aimé que nous allassions déposer son corps dans un repli des Kunlun. Les charognards l’auraient déchiqueté avant de se livrer, eux-mêmes, à d’autres mâchoires, et de se diffuser en d’autres corps – rat, gypaète, serpent –, offrant à un fils orphelin d’imaginer sa mère dans le battement d’une aile, l’ondulation d’une écaille, le frémissement d’une toison. “ (4)
La panthère des neiges est un récit sur le temps lent. Nous suivons un Sylvain Tesson allant jusqu’à l’immobilisation, et qui regarde la vie du monde sauvage se dérouler sous ses yeux. Ce livre est une invitation à la contemplation de ce qui nous entoure. Nul besoin de parcourir les steppes pour déjà observer les mouvements du cosmos qui perdurent depuis la nuit des temps. Enfin, je ne regrette pas d’avoir laisser passer la tempête médiatique de 2019 suite au succès de ce court roman car ce livre ne se dévore pas, ni ne se consomme, au risque de rester hermétique aux mots qui, certes, sont parfois un tantinet trop alambiqués à mon goût mais cela n’enlève rien au charme des 176 pages. À déguster subtilement, à l’horizontale, les fesses dans l’herbe et le nez pointé vers le ciel. 😉

Pour aller plus loin: Cette photo, extraite du livre, où un regard félin vient s’immiscer dans le cadre est l’œuvre de Vincent Munier dont voici le site internet. Vous pouvez aussi retrouver une de ces interviews dans le magazine Reporterre où il explique son parcours de photographe animalier. À lire ici. 😉
(1) TESSON S., La panthère des neiges, Éditions Gallimard. 2019.
(2) Ibid., P.15
(3) Le mot d’introduction du livre est … “À la mère d’un lionceau”
(4) Ibid., P.46
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