Dans la Zone, le ciel n’est plus. Les oiseaux qui survolaient le vaste territoire mordent maintenant la poussière au milieu des carcasses de voitures. Seules quelques personnes osent pénétrer ce lieu interdit où l’atmosphère peut passer du glacial au brûlant en une fraction de seconde. C’est de cette manière que les Stalkers risquent leur vie. La gueule brûlée par les phénomènes surnaturels de la Zone afin d‘en extraire les matières premières et les ramener en lieu sûr.

Avec cet écrit sobrement intitulé Stalker: Pique-Nique au bord du chemin (1), écrit entre 1970 et 1972, les frères Strougatski ont pondu un roman crasseux qui continue d’influencer les codes de la science-fiction. Analyse.

Un langage cru

Stalker est d’abord un style d’écriture qui va de pair avec l’ambiance générale de l’histoire. On y respire l’alcool à plein nez et les phénomènes étranges n’ont de cesse d’exacerber la violence des protagonistes. Cela se reflète dans leur langage, jamais avare d’insultes:

“J’en ai la chair de poule. Va te faire…! Mais quel crétin: Parler de choses pareilles avant de partir? Ces binoclards, il n’y a rien à faire, ils pigent que pouic!” (2)

Ce style direct et brumeux à la fois reflète l’atmosphère brutale de la Zone. Il est difficile d’avoir des détails précis sur cette fameuse partie de territoire où les extraterrestres ont laissé des traces plus inattendues les unes que les autres, mais la force de ce genre d’écriture est de laisser de l’espace à notre propre imagination.

Comme l’expliquera Boris Strougatski dans la postface (3), le vocabulaire utilisé est délibérément rugueux et c’est ce qui dérangera la maison d’édition. Elle tentera, pendant plus de huit ans, d’atténuer la vulgarité présente dans le roman, avant de céder et de sortir le livre dans sa version originale.

 

De Tarkovski à Tchernobyl

Tarkovski a, très tôt, compris le potentiel cinématographique du roman et en a fait un film culte sorti en 1979. La trame de base est la même mais le propos du film a une portée directement plus philosophique. Considéré comme une oeuvre majeure du 7ème art le Stalker de Tarkovski permet une deuxième lecture plus profonde du roman. Ainsi la violence de Redrick Shouhart (le personnage principal) n’est qu’un faire-valoir pour tenter de sonder la nature humaine: Pour faire face à des situations inconnues l’être humain utilise ses vieux réflexes que sont l’exploitation et l’égo:

“C’est ainsi que chez nous, à Harmont, on appelle ces têtes brûlées qui, à leurs risques et périls, pénètrent la Zone et y volent tout ce qu’ils peuvent trouver.” (4)

Au delà de cette relation privilégié entre le film et le roman, bon nombre de films de science-fiction reprennent les codes du livre Stalker. Même dans la mini-série déjantée « Coincoin et les Z’inhumains” de Bruno Dumont il est question de phénomènes extraterrestres incompréhensibles :

Ce roman est aussi devenu culte grâce un événement bien réel lui puisque l’on a donné le nom de Stalkers aux hommes et aux femmes qui ont tenté d’étouffer le coeur du réacteur en fusion de Tchernobyl lors de la catastrophe du même nom. Ou quand la réalité rattrape la fiction. Il suffit de changer la visite extraterrestre dans la Zone par un accident nucléaire et le roman ne dirait pas autre chose que la réalité de Tchernobyl en 1986:

“Nous enfilons les combinaisons, je vide le petit sachet d’écrous dans la poche sur ma hanche et nous clopinons à travers toute la cour de l’Institut vers la sortie de la Zone. C’est comme ça, les règles, chez eux, faut que tout le monde voie: voilà les héros de la science qui vont se faire trucider sur l’autel au nom de l’humanité, de la connaissance et du Saint-Esprit, amen. Ca ne rate pas ; de toutes les fenêtres jusqu’au quatorzième pointent des têtes compatissantes, tout juste si on n’agite pas des mouchoirs. Seul manque l’orchestre.” (5)

Ces mises en perspectives, tout d’abord avec la culture cinématographique de science-fiction et ensuite avec l’accident de Tchernobyl, me semblent importantes pour comprendre le roman à sa juste valeur.

Conclusion:

« Stalker: Pique-nique au bord du chemin » est une oeuvre qui se lit sans respiration. Le genre d’histoire qui peut nous avaler d’une traite, tel un shot de vodka dans un bar, et nous recracher en plein dans une zone où nos sens sont mis à rude épreuve. Par ici des sables mouvants, par là de l’air vicié qui nous brûle soudainement la gorge. Stalker peut être cela. Mais cela peut tout aussi bien se révéler d’un ennui profond pour celui/celle qui n’est pas près à se frotter à des phrases simples qui s’enchaînent aussi rapidement que des actions de type série B. C’est typiquement le genre d’histoire que l’on aime ou que l’on déteste pour des raisons identiques mais nous ne pouvons pas sous-estimer le pouvoir d’influence que continue à avoir un tel livre dans la culture “SF”.


(1) STROUGATSKI A et B., Stalker: Pique-nique au bord du chemin, Editions Denoël, 2010.

(2) Ibid., P.39.

(3) Ibid., P.295.

(4) Ibid., P.21.

(5) Ibid., P.40.


Pour aller plus loin


Une réponse à « Stalker | Arkadi et Boris Strougatski »

  1. […] Stalker | Arkadi et Boris Strougatski […]

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