Haïkus du bout du monde | Hōsai

Haïkus du bout du Monde - Hosai - Les Petites Analyses - Japon - Johan Creeten

Comme si l’âge aidait à se dépouiller de l’inutile et à nous diriger vers l’essentiel, il m’a fallu de longues années avant d’entrevoir la beauté d’un haïku. J’ose imaginer ma réaction d’étudiant amorphe et blasé si quelqu’un m’avait glissé des haïkus sous le nez: Cela n’a ni queue ni tête et c’est d’une lassitude sans nom!

Depuis, les années ont filé, des rencontres m’ont transformé et les certitudes ignorantes de l’adolescence ont fait place à l’ouverture aux doutes. Si il m’arrive, maintenant, de revenir sur mon jugement péremptoire au sujet des haïkus et des les apprécier, c’est que la vie a fait son œuvre et qu’elle continue, inlassablement, son ouvrage. Pour se laisser emporter par ces petits poèmes japonais, il faut saisir notre rapport au temps pour, ensuite, mieux le laisser de côté. La brève analyse des “Haïkus du bout du monde” de Hōsai est une occasion de se confronter à un style poétique qui, bien souvent, échappe au lecteur occidental.

Hōsai et le haïku moderne

Afin d’éclairer certaines lanternes, il convient en premier lieu de définir les contours d’un haïku dans sa forme classique et transposé en français: une métrique précise de 3 vers dont 17 syllabes, l’obligation d’utiliser un mot de saison (le kigo) et une césure. Respectez le tout et vous voilà avec votre première ébauche d’haïku classique.

Hōsai, lui, a fait voler en éclat ces règles traditionnelles et a fait émerger un style (ou l’absence de style justement) libéré de contraintes. Il a, en quelque sorte, rendu la construction de ces poèmes plus accessible. On retrouve, certes, beaucoup de mots de saison dans les “Haïkus du bout du monde” mais on peut aussi y voir des vers libres au plus proche du quotidien de Hōsai:

Ongles coupés, les dix doigts sont là

tsume kitta yubi ga jippon aru (1)

Ozaki Shuyu “Hōsai” signifie “celui qui a lâché prise” et on comprend aisément le pourquoi de ce surnom quand on s’intéresse à la biographie de ce poète nippon. Hōsai était un citoyen aux capacités brillantes et à la sensibilité exacerbée. Empêtré dans un alcoolisme profond il gravit les échelons professionnels aussi vite qu’il ne les dégringola. Bien qu’il écrivit des haïkus tout au long de sa vie, c’est lors d’un changement de cap, en devenant moine mendiant, puis en se retirant sur l’île de Shodoshima, qu’il écrira ses célèbres haïkus.

Un dépouillement de style

Hōsai a eu cette faculté de faire entrer son quotidien solitaire en entier à l’intérieur de quelques mots. C’est la puissance des haïkus, capables de dire plus de choses que des milliers de mots, à condition de se laisser emporter par eux. Comme le dit très justement les traducteurs de ce livre:

La poésie d’Hōsai ne bavarde pas. L’écriture est simple. Si simple qu’elle peut paraître banale au lecteur pressé ou pris au piège d’un maniérisme littéraire.(2)

En effet, cette poésie là est de celle qui élève le moindre détail du monde au rang d’événement. Là où notre héritage culturel occidental, européen, francophone, se base sur une tradition de la richesse, de l’opulence dans les mots, des figures de styles et des effets de manches, les haïkus d’Hōsai sont, eux, le parfait contre-pied de tout cela. Il sont une mise à nu de la langue et ne s’adresse qu’à l’instant présent; pas celui dont l’ultra-capitalisme a réussi à s’emparer sous la très lucrative bannière du “bien-être”, non. Celui qui nécessite un réel ralentissement afin de se recentrer sur l’essentiel mais aussi de permettre à notre imagination de remonter à la surface. Il va sans dire que dans notre monde où nous sommes sollicités de toute part, les haïkus sont salutaires.

Une libellule, l’attraper par la queue – raté

tombo no o o tsumami sokoneta (3)

Les haïkus restent malgré tout assez méconnus en francophonie si ce n’est chez ceux qui portent un amour immodéré pour le Japon. Une des raisons du peu de succès des haïkus en francophonie est sans doute lié à la grande différence entre la langue nippone et la française. Dans la langue japonaise, les pronoms sont utilisés avec une certaine rareté et cela se ressent d’autant plus dans les haïkus. Tandis que les pronoms en langue française font partie intégrante de chaque phrase. Une fois contourné cet obstacle de langage, le lecteur pourra pleinement apprécier les haïkus de Hōsai.

L’illustration des haïkus

Enfin, il m’est impossible de conclure cette brève analyse sans toucher un mot sur le coup de pinceau de l’illustratrice Manda. Ces illustrations accompagnent les “Haïkus du bout du monde” dans un style qui colle parfaitement avec la poésie japonaise. Il s’agit, en fait, de peintures haïga et de sumi-e. La première étant un support visuel pour le haïku et qui sert à montrer le moins possible, à montrer l’essentiel tout en laissant une porte ouverte pour notre imagination. Le second, le sumi-e, étant la technique picturale qui consiste à diluer la couleur avec plus ou moins d’intensité. Les illustrations de Manda apporte donc encore un peu plus de corps aux haïkus de Hōsai et j’invite le lecteur à jeter un coup d’œil sur son art (4)


(1) HOSAI, Haïkus du bout du Monde, Synchronique Editions, 2019, P.117

(2) Ibid., P.10

(3) Ibid., P.72

(4) https://www.atelier-manda.fr/


5 réponses à « Haïkus du bout du monde | Hōsai »

  1. Avatar de Lilith

    On en a parlé un peu dans mon cours sur les formes brèves, mais j’ai peu lu de haïkus. Je peux cependant apprécier la démarche d’Hosai quand il a choisi de s’éloigner des règles.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Johan

      Merci pour le commentaire chère Lilith.

      Les haïkus resteront, peut-être, assez méconnus du grand public en francophonie tant cette forme de poésie diffère de nos standards.

      Par contre, certaines régions du monde ont plus de facilités à s’émouvoir d’un haïku. Je pense par exemple à la Russie et à sa langue qui partage avec la langue japonaise l’abstraction des pronoms. Cela aide sans doute à « rentrer » directement dans un haïku…

      Au plaisir de lire vos prochains articles.

      Aimé par 1 personne

      1. Avatar de Lilith

        C’est fascinant! Je ne savais pas que le russe et le japonais partageaient certaines caractéristiques, on ne croirait pas de prime abord.

        J’aime

  2. Avatar de Sylvain FOULQUIER
    Sylvain FOULQUIER

    Quelques-uns de mes haïkus japonais préférés :
    « Lucioles lucioles !
    Dans la rivière
    Les ténèbres coulent »
    « L’eau est fraîche et limpide
    Les lucioles s’éteignent
    Rien d’autre »
    Chiyo-ni (*) (1703-1775)
    « Éclat des lucioles
    En rafales soudaines
    Le pouls de ma mère »
    Ishida Hakyô (1913-1969)
    « Mon nom
    Est déjà gravé dans le vent
    Le grand orme »
    Wada Gorô (né en 1923)
    « Brûlants
    Dans la fleur de l’âge
    Le piment rouge et la femme »
    Takajo Mitsuhashi (*) (1899-1972)
    « Un fil d’araignée
    Relie le royaume céleste
    A ce monde »
    Tsubaki Hoshino (*) (née en 1930)
    (*) poétesses
    En revanche, je ne dirais pas que le haïku est fondamentalement différent de la poésie française et européenne. Au delà de la différence de forme littéraire, les points de convergence entre grands poètes orientaux et occidentaux sont flagrants : la poésie est universelle et intemporelle. A titre d’illustration les célèbres vers d’Apollinaire « Ta langue / Le poisson rouge dans le bocal / De ta voix », isolés du reste du poème « Fusée-signal », forment en quelque sorte le premier haïku surréaliste.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Johan

      Bonjour Sylvain,

      Et merci pour ces quelques haïkus. Que d’images me viennent à la lecture de ceux-ci. J’aime particulièrement ceux de Chiyo-ni !

      Quant aux points de convergence ils sont indéniables, surtout quand on prend un poète comme Apollinaire qui a sorti la poésie française de son emphase en se jouant des règles. Bien vu 😉

      Aimé par 1 personne

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