Le carillon sonne les treize heures quand mon corps s’allonge dans l’herbe touffue. Les doigts de pieds en éventail, je sombre dans une délicieuse sieste aidé par la caresse du soleil et la berceuse du vent. Le cri de la ville est maintenant bien loin. Mes rêves m’emportent en bord de mer, où les embruns me chatouillent le nez. Les vagues déroulent leur tapis d’écume et je dors profondément au rythme des ressacs.
Je m’imagine en photographe sur une plage déserte, l’objectif de mon appareil tourné vers la mer. Tout en glissant un œil dans le viseur je zoome lentement et vois apparaître, dans l’ordre: le sable détrempé, l’incessant va-et-vient de la mer, un paquebot, les grandes profondeurs et puis les falaises blanches de la côte anglaise qui s’effritent devant mes yeux.
L’effet d’optique immersif du zoom me donne l’impression que ce phénomène est à portée de doigts, alors qu’en réalité, il se trouve à des dizaines de kilomètres de là.
Dans Le Père Goriot (1), Honoré de Balzac utilise un procédé similaire pour mettre en place le décor de son roman. Tel l’objectif d’un appareil photographique, il nous emmène dans les rues parisiennes, s’arrête devant la façade d’une maison, nous fait passer par le jardin, avant d’entrer dans chacune des pièces intérieures et nous dépose à table avec les protagonistes… 😉 Comme d’habitude, je vous propose ci-après, une brève analyse de ce classique de la littérature française.
L’histoire
Ce roman polyphonique se déroule en 1819, dans une pension miteuse où plusieurs locataires se côtoient. Parmi les principaux intervenants il y a Eugène de Rastignac le jeune étudiant ambitieux, Vautrin la brute épaisse et enfin Goriot, ce vieil homme esseulé qui a fait fortune pendant la Révolution française et qui donne le moindre de ces centimes à ses deux filles afin qu’elles puissent mener la grande vie parisienne.
“ Eh bien ! Oui, leur père, le père, un père, reprit la vicomtesse, un bon père qui leur a donné, dit-on, à chacune cinq ou six cent mille francs pour faire leur bonheur en les mariant bien, et qui ne s’était réservé que huit à dix mille livres de rente pour lui, croyant que ses filles resteraient ses filles, qu’il s’était créé chez elles deux existences, deux maisons où il serait adoré, choyé. En deux ans, ses gendres l’ont banni de leur société comme le dernier des misérables … “ (2)
Cette œuvre de Balzac est découpée en trois parties distinctes et chacune représente la trajectoire d’un personnage. On y suit d’abord les traces d’Eugène qui découvre avec naïveté la vie mondaine parisienne et son désir ambitieux de s’y faire une place au chaud. L’auteur ne laisse planer aucun doute quant aux moyens que devra utiliser Eugène de Rastignac pour entrer dans cette société privilégié: il devra parvenir !
Vient ensuite le cas de Vautrin, ce bandit démasqué qui fait une lecture mémorable et cynique de la vie. Chaque personne en prend pour son grade et il sait tirer sur les cordes sensibles du jeune Rastignac: tu domineras ou tu seras dominé.
La figure du père
Goriot, lui, est la figure du sacrifice paternel jusqu’à l’excès. Sa vie en tant qu’être humain n’existe pas. Il n’est qu’un père et … rien d’autre. Il se complaît à se saigner afin de garder, croit-il, ce lien d’amour envers ses filles alors que ces dernières n’en veulent qu’à son argent afin de garder encore un peu leur train de vie. Le sursaut lucide du Père Goriot quant à son rapport maladif vis-à-vis de ses enfants arrivera. Oui. Trop tard.
“ Elles se sont bien vengées de mon affection, elles m’ont tenaillé comme des bourreaux. Eh bien ! Les pères sont si bêtes ! Je les aimais tant que j’y suis retourné comme un joueur au jeu. Mes filles, c’était mon vice à moi ; elles étaient mes maîtresses, enfin tout ! Elles avaient toutes les deux besoin de quelque chose, de parures ; les femmes de chambre me le disaient, et je les donnais pour être bien reçu ! “ (3)
En conclusion, le Père Goriot est un classique de la littérature car il est l’exemple du roman balzacien par excellence: abouti – immersif – initiatique – descriptif – dramatique – parfois rocambolesque – reprenant des personnages d’autres romans, etc. Certes l’histoire a pris les poussières de presque deux siècles mais la fine analyse de la cruauté qui peut exister dans les rapports humains demeure plus que jamais d’actualité. 😉
A bientôt,
(1) BALZAC H., Le Père Goriot, Pocket Classiques, 1998.
(2) Ibid., P.95-96
(3) Ibid. P.290
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