“ A saisir ! Lopin de terre sur planète éponyme. 17 millions de kilomètres carrés avec vue sur mers et montagnes. Le terrain comprend plusieurs volcans pour la plus grande joie des enfants et une réserve d’eau douce potable (Baïkal) afin de vous abreuver vous, cher futur propriétaire, mais aussi les 146 millions d’habitants qui peuplent ce domaine, à savoir le plus vaste du monde. Réduction offerte si vous vous engagez à rencontrer chacun des 170 groupes ethniques qui composent ce morceau de planète que l’on appelle Russie.
Offres non-sérieuses s’abstenir. “
Rangez votre carte de crédit. Cette annonce ne vous est pas adressée. Vous ne faites pas partie du club ultra-fermé d’hommes riches et assoiffés de pouvoir au point de s’offrir un pays comme on s’offre une paire de baskets. Vous êtes la nouvelle plèbe. Celle qui surfe sur Internet. Désolé. D’une certaine manière, estimez-vous heureux, vous ne devez pas vous occuper d’un pays comme la Russie. Vous n’imaginez même pas les complications que cela engendre de faire cohabiter des dizaines d’ethnies aussi différentes les unes des autres sur un seul et même territoire 😉. Profiter de votre condition privilégiée de pauvre lecteur et suivez Nikolaï Leskov avec son Pèlerin enchanté (1) afin de vous donner les moyens de découvrir l’âme russe. Analyse.
Le plus russe des écrivains russes
Tout d’abord un mot sur l’auteur Leskov qui naquit en 1831, dans un patelin perdu à quatre cent kilomètres au sud de Moscou, et mourut esseulé en 1895, à Saint-Pétersbourg. Il aura parcouru la Russie de long en large — avec quelques incursions en Europe — et cette vie de voyageur lui aura fait rencontrer les ethnies de la Russie profonde. Celles que l’on ne voit pas forcément dans les grandes villes. C’est sans doute grâce à cela que Leskov est considéré comme le plus russe des écrivains russes.
Le Pèlerin enchanté est un roman de 197 pages, publié pour la première fois en 1873, et qui a comme point de départ la traversée du lac Ladoga. A bord de ce bateau, des voyageurs, dont un moine — le fameux pèlerin — qui égrène les évènements marquants de sa vie, tous plus incroyables les uns que les autres. De dresseurs de chevaux, il se fera enlever par des tziganes, côtoiera les tartares , tuera, se fera mener par le bout du nez par un magnétiseur, … j’en passe des vertes et des pas mûres.
Le rapport à l’animal
Tel un documentaire l’auteur nous emmène sur les traces de la vie rurale russe au 19ème siècle. Même s’il s’agit d’une fiction, Leskov nous donne à voir la manière de vivre dans l’arrière pays. Les rapports entre les hommes sont brutaux et cette cruauté s’abat sur les animaux qui entourent l’anti-héros, allant jusqu’à les maltraiter à coup de poings pour les dresser (?) Certes cela reste une histoire imaginaire mais cela en dit long sur la considération utilitariste que l’homme portait à l’animal à une certaine époque dans une certaine région du monde.
“ La première chose pour connaître un cheval, c’est de l’examiner soigneusement. Il faut lui regarder d’abord la tête avec intelligence, puis le toiser d’un coup d’oeil jusqu’à la queue, au lieu de s’affairer autour, comme font les officiers qui palpent l’encolure, le toupet, les naseaux, le chanfrein, le poitrail, sans rien comprendre. C’est ce qui fait la joie des maquignons. Dès qu’ils aperçoivent un de ces militaires qui ont la bougeotte, ils tournent le cheval devant lui en tous sens, pour dissimuler la fraude. Or, de ces fraudes, il y en a tant et plus : si le cheval a les oreilles pendantes, on lui découpe un peu de peau à la nuque, on recoud, on camoufle la cicatrice, et les oreilles se dressent, mais pas pour longtemps: la peau se distend bientôt et les oreilles reviennent à l’ancienne position. Si les oreilles sont trop longues, les faire tenir droites on y fourre des supports en on les coupe, et pour corne. Si le client veut deux chevaux appareillés et qu’il y en ait un avec une étoile au front, les maquignons s’arrangent à fabriquer la même sur l’autre. “ (2)
Outre cet aspect choquant, les histoires du pèlerin s’enchaînent les unes après les autres. A chaque fois, il arrivera à s’extirper d’une situation compliquée pour retomber, quasi aussitôt, dans un autre péril. Ainsi, une de ses anecdotes porte sur un triangle amoureux entre lui, une tzigane et un prince. Cette drôle de cohabitation sera ponctué par un meurtre singulier où l’on ne sait si notre anti-héros à réellement commis son acte ou si cela n’est que le fruit de son imagination. Dans tous les cas, Leskov use de sa plume pour décrire les enjeux amoureux de l’époque. Entre passion, honneur et intérêts, il est intéressant de voir comment tout cela s’articulait à une époque révolue. Et si les méthodes pour se faire l’amour et la guerre changent suivant les époques et les régions du monde, les sentiments restent, eux, pareils.
Il me reste à refermer cet ouvrage en laissant le doute subsister quant à ce pèlerin aux aventures surprenantes. Était-ce vraiment un moine? Une personne qui s’imagine une vie? Un fou à lier ? Un criminel en cavale? Sans doute un peu de tout ça à la fois 😉
До скорого !
N.B. Ce roman est aussi connu sous le nom « Le vagabond ensorcelé » ou « Le voyageur enchanté ».
(1) LESKOV N., Le pèlerin enchanté, Ginkgo Éditeur, 2019
(2) Ibid., P.103
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