Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux.” Il y a dans cette poignée de mots, une ligne de fracture entre ce que mon cerveau est capable d’admettre, ce que l’on appelle communément l’ouverture d’esprit, et le choc brutal des syllabes qui explosent dans mes oreilles. L’athée que je suis n’a pourtant pas de mal à admettre le besoin de spiritualité de tout un chacun. Dieu, Jéhovah, Allah, Krishna, le chien du voisin, la technologie, ou que sais-je encore. Chacun peut croire à ce qu’il veut mais mes neurones se crispent quand je vois ces croyances s’accompagner d’une série de phrases creuses répétées à l’envi, de slogans tautologiques ou encore de punch-lines bravaches censées mettre tout le monde KO sans avoir le droit de rétorquer quoi que ce soit. Cette manière de faire ressemble plus à un emprisonnement intérieur qu’à une libération des vertus de la race humaine. Alors lire “Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux”, qui furent les premiers mots de la préface du recueil des Contes du perroquet (1), cela m’a un peu mis la tronche de travers pour aborder ce livre. Analyse.

Les origines

Pour comprendre la portée de ce livre qui est un des plus lus dans l’Inde musulmane et en Iran, il faut évidemment secouer le cocotier aux trente-cinq contes et tenter quelque explication. Il s’agit d’histoires héritées du sanskrit et reformulées vers 1335 par un certain Nakhchabi afin de les adapter à la vie indo-musulmane. Elles seront ensuite reprises par Mohammed Qaderi vers 1560 qui en fera une version définitive et raccourcie. Ils sont maintenant connus dans le monde indo-musulman sous le nom de Touti-Nameh.

L’histoire première est celle d’un prince qui est appelé à voyager dans une contrée lointaine. Avant de mettre les voiles vers sa nouvelle destination il achète un perroquet doué de parole et d’intelligence qu’il laisse en compagnie de sa femme Khodjesté. Cette dernière ne tardera pas à tomber amoureuse d’un bel étranger dès le prince parti en voyage. Chaque soir, Khodjesté est sur le point de rejoindre son amant mais le perroquet ne l’entend pas de cette oreille et use de son pouvoir de parole afin de lui conter nombre d’histoires qui la tiennent en haleine, oubliant par la même occasion d’aller rejoindre son amant.

Comme le veut la tradition, chaque conte commence de la même façon et se termine d’une façon identique, à la manière d’un “il était une fois …” :

“ Quand le soleil descendit vers l’occident et que la lune parut dans toute sa clarté, Khodjesté se rendit en larmes auprès du perroquet […] Quand le perroquet eut achevé l’histoire du Siagouch, il dit à Khodjesté : “Lève-toi et va vers ton amant.” Khodjesté voulut partir, mais au même instant, les oiseaux du matin commencèrent à chanter, l’aurore parut et le départ de Khodjesté fut remis. “ (2)

La morale

À l’instar des contes des Mille et Une Nuits, le conteur use d’artifices du langage dans un but bien précis, celui d’empêcher Khodjesté de retrouver son amant et de commettre un crime de lèse majesté: l’adultère. À contrario d’une Shéhérazade, la personne qui tient ici le crachoir est un perroquet. Un animal qui n’est pas choisi par hasard puisque ses réelles facultés vocales lui profèrent une symbolique toute trouvée dans l’imaginaire collectif, c’est-à-dire celle de l’éloquence. On retrouve ainsi l’image du perroquet intelligent et convaincant dans plusieurs textes sacrés dont ceux de l’hindouisme. 🦜

Les contes du perroquet sont aussi l’occasion d’avoir sous les yeux des textes qui ont participé à considérer la femme comme le sexe faible. Il y a, au détour de chaque histoire, l’image de la femme fautive, sournoise, opportuniste, qui doit rendre compte de son comportement inadéquat à la société. D’ailleurs l’épilogue de cette série de contes ne laisse aucun doute quant à la place de la femme. Une fois le prince revenu de voyage, le perroquet lui raconte les désirs d’infidélité de Khodjesté et celle-ci est tuée sur le champ.

C’est certainement aussi à cet égard que ces contes méritent d’être lus car derrière la morale traditionnelle des histoires, se dévoile une vision de la femme qui reste on ne peut plus présente dans l’islam — et pas que. À l’heure où le féminisme est sur toutes les lèvres, il est intéressant de ne pas se voiler la face en faisant mine qu’éliminer le passé règlera le problème d’un coup de baguette magique. D’ailleurs, ces contes continuent d’avoir un écho certain puisqu’ils restent très populaires dans une certaine région du monde.

Conclusion

Enfin, ne leur trouver que des points négatifs serait faire preuve de mauvaise foi car la longueur des contes — d’une à cinq pages maximum — permet une lecture facile et, surtout, déclencheuse d’imagination. Il y a dans ces Contes du perroquet ce que je qualifie de classicisme exotique, à savoir une narration limpide ainsi qu’une invitation au voyage en l’espace d’une poignée de mots.

Au final, il s’agit d’un recueil qui se laisse lire. Les histoires s’enchaînent les unes après les autres avec le même ressort narratif et, outre la morale classique que l’on y trouve, nous pouvons nous rendre compte que ces contes ont une force allégorique qui éduque pour le meilleur (la raison, le courage, la générosité, etc.) mais aussi le pire avec une femme qui n’est jamais l’égal de l’homme.

À bientôt 

Illustration de Khodjesté et du perroquet. Aquarelle opaque réalisée sous le règne d’Akbar (Inde). 1556-1565.

(1) NAKHCHABI Z., Contes du perroquet, Éditions Libretto, 2019 

(2) Ibid., P.61-63.


3 réponses à « Contes du perroquet | Ziay-ed-Din Nakhchabi »

  1. Merci pour cette belle analyse où tu montres le rôle que les contes peuvent jouer pour éduquer / asservir les peuples. Et maintenant, avec le recul de la transmission orale et de la lecture, pas sûr que ce soit mieux…

    Aimé par 1 personne

  2. Bonjour Johan,
    intéressante analyse, qui ouvre vers une culture orientale que nous connaissons bien peu.
    Je ne suis pas sûre que l’image de la femme dans les récits soit plus positive de notre côté du Monde.
    Nous avons tous, universellement, des progrès à faire pour accepter la diversité : des sexes, des cultures, des couleurs, des identités…
    Malheureusement, si certaines initiatives sont preuves de progrès, l’actualité et le contexte politique font craindre le pire…
    Sur ces tristes paroles, je te souhaite malgré tout un bon dimanche ensoleillé 🔆

    Aimé par 1 personne

  3. La femme est différente de l’homme et vice versa, faut-il encore le démontrer ? La différence existe partout. Mais d’ici à établir une échelle de valeurs ?… Et pourtant… Et les raisons ? Elles sont connues aussi : pouvoir, domination, bouc émissaire, discorde… Et les résultats ? Nous les connaissons aussi. Et nous n’avons toujours pas appris la leçon…
    Bonnes vacances méritées.
    Au grand plaisir de te retrouver

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Derniers commentaires

Créez un site ou un blog sur WordPress.com