Le 15 juillet 1904, Anton Tchékhov passait l’arme à gauche. Il n’imaginait pas que ses pièces de théâtre allaient devenir des exemples indémodables pour plusieurs générations de comédiens et metteurs en scène. Plus d’un siècle après sa mort, les répliques de La Mouette, Oncle Vania et Une demande en mariage continuent de résonner sur les planches, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Le nom de Tchékhov est devenu, à lui-seul,  une évocation du milieu théâtral. Cette notoriété tend à éclipser une autre facette de la vie de l’auteur russe, celle de nouvelliste prolifique. En effet, il a rédigé plus de six cent nouvelles qui sont autant de mises en bouche pour ses célèbres pièces de théâtre. Le recueil La Dame au petit chien et autres nouvelles (1) est un condensé de son art. Analyse.

La femme chez Tchekhov

Le livre s’articule autour de quinze nouvelles où la femme est au centre de chaque histoire. Olga, Anna, Ariane, Maria, etc. sont autant d’héroïnes aux parcours différents mais qui finissent par se rassembler dans la figure préférée de Tchekhov: celle de la femme sensible et incomprise qui rêve d’une autre vie.

Mon mari est un honnête homme, un brave homme, mais c’est un valet. Si je ne sais pas au juste quel est son emploi, je sais bien que c’est un valet. Lorsque je me suis mariée, j’avais vingt ans. J’avais la curiosité de connaître une vie meilleure, car je me disais qu’elle existe. Et j’avais envie de vivre. Vivre ! Vivre ! Cette curiosité me brûlait. Vous ne comprendrez peut-être pas cela, mais, je vous jure que je ne pouvais plus me posséder ; il se passait en moi quelque chose d’indéfinissable. À la fin, je n’y tins plus. Je dis à mon mari que j’étais malade et je vins ici… (2)

Ce désir d’émancipation de la femme russe du XIXème siècle nous le retrouvons chez d’autres auteurs russes, comme Tolstoï ou Dostoïevski, mais Tchékhov le traite d’une manière singulière. Il ne cloisonne jamais ses histoires de manière définitive. Il laisse la fin en suspens pour mieux laisser le lecteur interpréter l’histoire qu’il vient de lire. Les nouvelles de Tchékhov s’apparentent à des tableaux dont la signification est laissée à l’appréciation de tout un chacun. A titre d’exemple voici les derniers mots de la nouvelle “Le récit de Mlle X” où nous ne saurons jamais si l’héroïne s’est suicidée:

Après l’avoir accompagné à la porte, je suis revenue dans mon bureau et me suis rassise sur le tapis devant la cheminée. Les braises rouges se sont couvertes de cendre et ont commencé à s’éteindre. Le gel a frappé aux carreaux avec une fureur accrue et le vent s’est mis à chanter dans la cheminée.

La femme de chambre est entrée et, me croyant endormie, m’a appelée … (3)

Un style et des personnages

Au niveau de l’écriture, chacune des quinze nouvelles prouve à l’envi que Tchékhov savait faire l’économie des mots pour susciter la curiosité de ses lecteurs. L’auteur russe a le don d’évacuer le style au profit du scénario qui se déroule comme dans un film ou plutôt … une pièce de théâtre! Car c’est aussi à ce titre qu’il faut lire ce recueil de nouvelles, il permet de comprendre pourquoi Tchekhov était un dramaturge hors-pair.

Il me semble tout aussi important de parler des personnages tchékhovien qui fonctionnent d’une manière étonnante. L’auteur russe les compose au plus près d’eux-même comme si ils étaient réels. Il ne les prend pas tels des épouvantails pour faire passer une morale ou une idéologie ; c’est d’ailleurs ce que l’on peut voir chez un Tolstoï ou un Dostoïevski qui eux ont un message à faire passer au travers de leurs personnages. Chez Tchekhov, les protagonistes se valent par eux-même et servent l’histoire. Ni plus, ni moins.

Enfin, La Dame au petit chien et autres nouvelles est un recueil divertissant qui se lit avec plaisir. A l’instar des pièces de théâtre d’Anton Tchékhov, ses histoires sont ciselées pour traverser les époques et les modes. Je suis convaincu que ses textes continueront de susciter en nous un panel d’émotions compris par toutes les générations.

Пожалуйста 😉

Pour aller plus loin


(1) TCHEKHOV A., La dame au petit chien et autres nouvelles, Éditions Gallimard, 1999.

(2) Ibid., P.355

(3) Ibid., P.60


8 réponses à « La Dame au petit chien et autres nouvelles | Tchékhov »

  1. Bonsoir !
    Belle chronique qui me donne envie de découvrir ces nouvelles ! Sur ma liseuse, j’ai « le moine noir ». Tu l’as lu ?

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  2. Merci.
    J’avais déjà lu une flopée de nouvelles d’autres auteurs russes mais je trouve que celles d’Anton Tchékhov au-dessus du lot. Il en a tellement fait qu’il y en a pour tous les goûts! D’ailleurs « Le moine noir » a l’air d’être étonnement fantastique mais je ne l’ai pas encore lu et toi?

    A bientôt!

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    1. Pas encore… Mais j’espère que ça ne tardera pas. J’ai envie de me replonger dans la littérature russe en 2020. Par période x)

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  3. Bravo pour ce blog, bien clair. Avoir à l’idée : fidéliser les visiteurs en prenant soin d’eux en soignant, facilitant la navigation. Comprendre on circule facilement aux États Unis, car la structuration des villes est uniforme. On compte en blocs.

    On trouve une similitude dans WordPress, tous les Widgets qui permettent de faciliter la vie des visiteurs…

    Pour tout ce qui est « faciliter » le gestionnaire d’un blog, vous avez raison, le choix du matériel est très
    important, afin de ne pas passer trop de temps à la préparation, rédaction, publication… Sinon au bout d’un temps on se lasse…

    D’autant que par moment WordPress…

    Bien à vous
    WordPress est une grande famille, les liens entre membres est très fort.

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    1. Merci! Ceci dit, ce blog n’a aucune autre prétention que de mettre à dispositions de qui le veut, mes chroniques littéraires ou mes quelques écrits. Si la navigation sur le blog est simple alors c’est encore mieux. Keep it simple comme ils disent 😉

      À bientôt

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  4. Bonsoir Johan, pour autant qu’il m’en souvienne, « la Dame au petit chien » a donné lieu à un très beau film de la fin des années 1980, « les Yeux noirs », de Nikita Mikhalkov, avec un Maestroïanni au sommet de sa forme ! 😀

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    1. Bonjour et merci de cette information !

      Je n’avais pas connaissance de ce film et je viens d’aller vérifier, c’est non seulement inspiré de « la Dame au petit chien » mais aussi d »autre nouvelles de Tchekhov comme « Anne au cou ».

      Et les quelques extraits que je viens de visionner m’enchantent, je vais donc regarder ce film, encore merci.

      N. B. Voici une bande du film pour celles et ceux qui seraient intéressés: https://youtu.be/1RGFdkYdal8

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  5. […] La Dame au petit chien et autres nouvelles | Tchékhov […]

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