Le moins que l’on puisse dire c’est que je ne suis pas un fan des réalisations de Rem Koolhaas. Son architecture cubique et froide me laisse de marbre tant elle a l’air d’être uniquement créée pour être la plus épurée possible – voire la plus nordique. A sa décharge, il a amené sur le devant de la scène un style personnel qui a influencé une ville entière (Rotterdam) et qui a maintes fois été copié, ainsi quand un architecte ne veut pas prendre de risques, il pond un fac similé du style de Rem Koolhas.

Mais comment est-ce que tout a commencé pour cet architecte néerlandais? Un élément de réponse est à chercher autour de l’année 1978 lors de la parution de son livre polémique: New-York Délire (1) puisque sa renommée s’est depuis élargie en dehors du petit monde de l’architecture.

Une histoire de blocs

Je me rappelle avoir lu cet ouvrage une première fois juste avant mon premier voyage à New-York. Il m’en était resté le souvenir d’un livre graphique peu accessible. Au retour de Big Apple tout a pris un sens particulier puisqu’il faut expérimenter New-York pour comprendre un tant soit peu la substance de ce livre. Je m’étais promis, un jour, de le passer sous la loupe d’une analyse. C’est chose faite.

La genèse architecturale New-York que Koolhaas nous propose est illustrée de nombreuses photographies et de plans qui permettent de comprendre d’où vient cette folie du gigantisme. Même si New-York est officiellement créé en 1609, c’est un plan de Simeon de Witt en 1811 qui montre déjà un Manhattan segmenté en blocs égaux (2) et qui, depuis lors, n’aura cessé de perdurer au rythme des constructions/destructions, car NY a cela dans son ADN, elle a besoin de se détruire pour ne pas s’arrêter de se construire.

Manhattan étant un espace fini et le nombre de ses blocs étant à jamais fixé, tout mode de croissance purement conventionnel lui est interdit. (3)

En effet, la trame de Manhattan est composée de 2028 blocs égaux qui en fait le terrain de jeu idéal de la spéculation. Un bloc, étant par essence délimité horizontalement, les bâtisseurs-architectes vont très vite se rendre compte que le seul avenir possible est la verticalité. Comme si Minecraft rencontrait Sim City, le délire prend forme à New-York.

Un incubateur nommé Coney

Manhattan a longtemps eu son laboratoire architectural à Coney Island (4), cette péninsule méridionale où les masses populaires venaient prendre du bon temps et se distraire. A Coney, il n’est aucunement question de bloc, il est laissé carte blanche aux investisseurs tant que ceux-ci créent de la distraction, de l’amusement et du plaisir. Je ne vais pas faire l’historique complet de Coney mais il me semble important de lister ce qui s’y est passé:

  • 1873: Invention du hot-dog.
  • 1876: Tour de 92m permettant d’observer Manhattan.
  • 1884: installation de montagnes russes.
  • 1890: Électricité et lampes sont installées afin de permettre les baignades … de nuit!
  • 1895: Circuit de chevaux mécaniques.
  • 1903: Ouverture d’un parc à thème lunaire (Luna park). Premier skyline illuminé.
  • 1904: Ouverture de Dreamland qui est le premier parc d’attractions qui est déjà un condensé de New-York.
  • 1911: Incendie et destruction de Dreamland.

En l’espace de quelques années tout a été essayé à Coney Island, tant et bien que le concepteur du parc sera vingt ans plus tard le promoteur immobilier du Chrysler Building (5) de Manhattan.

Coney Island a non seulement été un tremplin pour l’architecture de Manhattan mais aussi pour le rapport que l’homme new-yorkais entretient avec la nature puisque la péninsule méridionale de New-York autrefois naturelle a été supplantée, en une poignée d’années, en temple du surnaturel! Coney fait donc partie intégrante de l’histoire de Manhattan, et ça, Rem Koolhaas le documente avec précision.

La fuite en avant de Manhattan

New-York est le lieu de bâtiments emblématiques comme le Flatiron, le Woolworth Building, l’hôtel Waldorf-Astoria ou encore le Rockfeller Center mais c’est aussi l’endroit où des milliers de projets n’ont jamais abouti autre part que sur du papier. Je pense notamment aux esquisses de Harvey Wiley Corbett imaginant Manhattan comme une Venise-Sans-Eau (6) en créant des ponts entre les gratte-ciels et des piétonniers suspendus le long des mêmes gratte-ciels, la rue, tout en bas, aurait été uniquement peuplée de voitures. Un projet qui ne s’est pas réalisé si ce n’est … via la High-Line. En effet cet ancien chemin de fer suspendu dédié aux piétons est sans doute un enfant caché du New-York de Corbett. Preuve en est que des projets non-réalisés peuvent nourrir profondément l’imaginaire collectif, dont celui des architectes.

Dès sa découverte, Manhattan est devenue une toile urbaine, exposée à un constant bombardement de projections, de déformations, de transplantations et de greffes. Bon nombre de ces greffes “ont pris”, mais même celles qui ont été rejetées ont laissé des traces ou des cicatrices. (7)

Enfin, la Grande Pomme est aussi la métropole de la confrontation avec l’esprit européen. La première fois que Dali arriva dans cette ville avec une baguette de pain de deux mètres cinquante, il espérait choquer ou du moins susciter le questionnement avec cet objet hors-proportion. Le résultat a été qu’aucun des journalistes présents pour son arrivée n’eut le moindre regard pour cette fameuse baguette. Ainsi ce qui choque en Europe passe totalement inaperçu à New-York. Un autre personnage ayant eu un rapport controversé avec cette ville est Le Corbusier. Là où Manhattan érigeait des tours de plus en plus hautes, Le Corbusier proposait son anti gratte-ciel aux proportions délimitées. Comme un aveu de faiblesse, il critiquait l’architecture de Manhattan, en rêvant d’y mettre sa touche. Cela sera chose faite avec le siège des Nations-Unies, qui est loin d’être une réussite à mon sens.

Finalement, avec New-York délire, Rem Koolhaas a su retracer la vie de cette ville depuis 1604 (et sa création) jusqu’aux années 1970. Certes, le livre s’adresse principalement aux férus d’architecture mais il y a aussi quelques anecdotes et morceaux d’Histoire qui méritent la peine d’être lus par n’importe quel lecteur qui a déjà visité New-York. Même si l’ouvrage manque de rythme (ou de vulgarisation) dans la partie centrale il n’en reste pas moins que Koolhaas a le sens de la formule:

Central park (…) une conservation taxidermique de la nature qui illustre pour l’éternité le drame de la nature dépassée par la culture. (8)

Je referme ce livre avec la conviction que New-York n’en a pas fini de faire parler d’elle, cette ville continue à s’adresser à nos terminaisons nerveuses. Savant mélange entre pathétisme et innovation, elle continuera d’être la ville de l’Ego. Elle crée son propre style, le cannibalise, et recrée de nouvelles choses en permanence.

Oui, New-York est tout ça … et bien plus encore.

Pour aller plus loin


(1) KOOLHAAS R., New York Délire, Editions Parenthèses, 2002.

(2) https://en.wikipedia.org/wiki/Simeon_De_Witt#/media/File:NYC-GRID-1811.png

(3) Ibid., P.20.

(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Coney_Island

(5) https://newyorkmonamour.fr/chrysler-building/

(6) https://www.arretsurimages.net/articles/la-nostalgie-du-futur-dhier

(7) Ibid., P.247.

(8) Ibid., P.21.


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