📚 TABLE DES MATIÈRES
- La lettre
- Analyse de la lettre
- Inégalités et critique sociale
- Amour, isolement et souffrance de Zilia
- Analyse linéaire de la lettre
- Conclusion
La lettre
Je suis encore si peu habile dans l’art d’écrire, mon cher Aza, qu’il me faut un tems infini pour former très-peu de lignes. Il arrive souvent qu’après avoir beaucoup écrit, je ne puis deviner moi-même ce que j’ai cru exprimer. Cet embarras brouille mes idées, me fait oublier ce que j’ai retracé avec peine à mon souvenir ; je recommence, je ne fais pas mieux, & cependant je continue.
J’y trouverois plus de facilité, si je n’avois à te peindre que les expressions de ma tendresse ; la vivacité de mes sentimens applaniroit toutes les difficultés.
Mais je voudrois aussi te rendre compte de tout ce qui s’est passé pendant l’intervalle de mon silence. Je voudrois que tu n’ignorasses aucune de mes actions ; néanmoins elles sont depuis long-tems si peu intéressantes, & si peu uniformes, qu’il me seroit impossible de les distinguer les unes des autres.
Le principal événement de ma vie a été le départ de Déterville.
Depuis un espace de tems que l’on nomme six mois, il est allé faire la Guerre pour les intérêts de son Souverain. Lorsqu’il partit, j’ignorois encore l’usage de sa langue ; cependant à la vive douleur qu’il fit paroître en se séparant de sa sœur & de moi, je compris que nous le perdions pour long-tems.
J’en versai bien des larmes ; mille craintes remplirent mon cœur, que les bontés de Céline ne purent effacer. Je perdois en lui la plus solide espérance de te revoir. À qui pourrois-je avoir recours, s’il m’arrivoit de nouveaux malheurs ? Je n’étois entendue de personne.
Je ne tardai pas à se sentir les effets de cette absence. Madame sa mere, dont je n’avois que trop deviné le dédain (& qui ne m’avoit tant retenue dans sa chambre, que par je ne sçais quelle vanité qu’elle tiroit, dit-on, de ma naissance & du pouvoir qu’elle a sur moi) me fit enfermer avec Céline dans une maison de Vierges, où nous sommes encore. La vie que l’on y mene est si uniforme, qu’elle ne peut produire que des événemens peu considérables.
Cette retraite ne me déplairoit pas, si au moment où je suis en état de tout entendre, elle ne me privoit des instructions dont j’ai besoin sur le dessein que je forme d’aller te rejoindre. Les Vierges qui l’habitent sont d’une ignorance si profonde, qu’elles ne peuvent satisfaire à mes moindres curiosités.
Le culte qu’elles rendent à la Divinité du pays, exige qu’elles renoncent à tous ses bienfaits, aux connoissances de l’esprit, aux sentimens du cœur, & je crois même à la raison, du moins leur discours le fait-il penser.
Enfermées comme les nôtres, elles ont un avantage que l’on n’a pas dans les Temples du Soleil : ici les murs ouverts en quelques endroits, & seulement fermés par des morceaux de fer croisés, assez près l’un de l’autre, pour empêcher de sortir, laissent la liberté de voir & d’entretenir les gens du dehors, c’est ce qu’on appelle des Parloirs.
C’est à la faveur d’un de cette commodité, que je continue à prendre des leçons d’écriture. Je ne parle qu’au maître qui me les donne ; son ignorance à tous autres égards qu’à celui de son art, ne peut me tirer de la mienne. Céline ne me paroît pas mieux instruite ; je remarque dans les réponses qu’elle fait à mes questions, un certain embarras qui ne peut partir que d’une dissimulation maladroite ou d’une ignorance honteuse. Quoi qu’il en soit, son entretien est toujours borné aux intérêts de son cœur & à ceux de sa famille.
Le jeune François qui lui parla un jour en sortant du Spectacle, où l’on chante, est son Amant, comme j’avois cru le deviner.
Mais Madame Déterville, qui ne veut pas les unir, lui défend de le voir, & pour l’en empêcher plus surement, elle ne veut pas même qu’elle parle à qui que ce soit.
Ce n’est pas que son choix soit indigne d’elle, c’est que cette mere glorieuse & dénaturée, profite d’un usage barbare, établi parmi les Grands Seigneurs de ce pays, pour obliger Céline à prendre l’habit de Vierge, afin de rendre son fils aîné plus riche.
Par le même motif, elle a déjà obligé Déterville à choisir un certain Ordre, dont il ne pourra plus sortir, dès qu’il aura prononcé des paroles que l’on appelle Vœux.
Céline résiste de tout son pouvoir au sacrifice que l’on éxige d’elle ; son courage est soutenu par des Lettres de son Amant, que je reçois de mon Maître à écrire, & que je lui rends ; cependant son chagrin apporte tant d’altération dans son caractère, que loin d’avoir pour moi les mêmes bontés qu’elle avoit avant que je parlasse sa langue, elle répand sur notre commerce une amertume qui aigrit mes peines.
Confidente perpétuelle des siennes, je l’écoute sans ennui, je la plains sans effort, je la console avec amitié ; & si ma tendresse réveillée par la peinture de la sienne, me fait chercher à soulager l’oppression de mon cœur, en prononçant seulement ton nom, l’impatience & le mépris se peignent sur son visage, elle me conteste ton esprit, tes vertus, & jusqu’à ton amour.
Ma China même (je ne lui sçai point d’autre nom, celui-là a paru plaisant, on le lui a laissé) ma China, qui sembloit m’aimer, qui m’obéit en toutes autres occasions, se donne la hardiesse de m’exhorter à ne plus penser à toi, ou si je lui impose silence, elle sort : Céline arrive, il faut renfermer mon chagrin.
Cette contrainte tirannique met le comble à mes maux. Il ne me reste que la seule & penible satisfaction de couvrir ce papier des expressions de ma tendresse, puisqu’il est le seul témoin docile des sentimens de mon cœur.
Hélas ! je prends peut-être des peines inutiles, peut-être ne sauras-tu jamais que je n’ai vêcu que pour toi. Cette horrible pensée affaiblit mon courage, sans rompre le dessein que j’ai de continuer à t’écrire. Je conserve mon illusion pour te conserver ma vie, j’écarte la raison barbare qui voudroit m’éclairer ; si je n’espérois te revoir, je périrois, mon cher Aza, j’en suis certaine ; sans toi la vie m’est un supplice.
Analyse de la lettre
La lettre s’ouvre sur l’aveu d’une grande humilité littéraire de Zilia : elle confesse qu’elle a « si peu habile dans l’art d’écrire… qu’il me faut un temps infini pour former très-peu de lignes ». Ce préambule ancre le style dans la sincérité et la spontanéité. Très vite, Zilia en vient au cœur de sa détresse : « Le principal événement de ma vie a été le départ de Déterville ». En effet, le marquis – qu’elle appelait alors son ami fidèle et qu’elle voyait comme un protecteur – s’est éloigné pour la guerre. Sa présence rassurante cesse brusquement et Zilia se sent abandonnée. Elle décrit sa peine avec force : « j’en versai bien des larmes; mille craintes remplirent mon cœur ». Le chagrin du départ de Déterville l’accable, car sans lui elle perd tout soutien en terre étrangère. Elle redoute de ne pouvoir compter sur personne : « À qui pourrais-je avoir recours, s’il m’arrivait de nouveaux malheurs ? ». Par ces interrogations, Zilia exprime son impuissance : isolée et sans protecteur, elle craint le pire. Le lecteur comprend que Déterville était sa principale fenêtre sur le monde français ; son départ signifie pour elle un quasi désespoir, car « je perdais en lui la plus solide espérance de te revoir » (Aza). La lettre exprime alors un mélange de douleur amoureuse et de frayeur sociale : Zilia comprend qu’elle est désormais livrée à la dureté de la vie parisienne, seule et sans ressources.
En parallèle, on apprend que la mère de Déterville, fière et autoritaire, a installé Zilia et Céline dans une sorte de couvent domestique : « une maison de Vierges ». Cette contrainte supplémentaire accentue l’isolement de Zilia. Elle décrit la vie dans ce lieu clos comme d’une monotonie insupportable : « La vie que l’on y mène est si uniforme, qu’elle ne peut produire que des événements peu considérables ». Ce constat souligne son ennui profond : la journée se déroule dans la routine la plus étroite, sans rien qui la nourrisse intellectuellement. Zilia finit par se résigner à cette retraite, qui pourrait sembler facile, mais elle en expose l’amertume : par exemple, elle n’y reçoit aucune instruction nouvelle. Les autres pensionnaires, les « Vierges », sont d’une ignorance profonde : « Elles ne peuvent satisfaire à mes moindres curiosités », dit-elle. Ayant soif de connaissances après son éducation incas, Zilia est choquée que ces femmes soient enfermées dans l’ignorance. Comme le note la critique, elle est désormais « adulte et parmi les Français » et s’étonne des conditions de vie de ces femmes cloîtrées. Pour Zilia, qui a toujours valorisé l’apprentissage, cet emprisonnement de l’esprit lui rappelle une superstition barbare : elle rapporte que le culte rendues aux Vierges exige qu’elles « renoncent à tous [les] bienfaits, aux connaissances de l’esprit, aux sentiments du cœur, et… à la raison ». En dénonçant ce renoncement, elle compare ouvertement la pratique religieuse française (souvent rude et doctrinale) avec les mœurs incas, plus humanistes. Cette dénonciation préfigure la critique plus générale que Graffigny porte sur l’éducation des femmes et les croyances dominantes.
Inégalités et critique sociale
Cette lettre révèle combien Zilia interprète les mœurs françaises en fonction de sa propre éducation péruvienne. Ainsi, elle perçoit comme injustes et cruels les usages locaux imposés aux femmes. Elle reprend la formule cinglante de sa culture : la force de la coutume matrimoniale française lui apparaît comme « un usage barbare, établi parmi les Grands Seigneurs de ce pays ». Par ce terme – barbare – Zilia ironise : elle accuse ces nobles européens de se comporter pire que des peuples qu’on dit « non civilisés ». Elle dénonce en particulier le projet qui pèse sur sa confidente Céline : la mère ordonne qu’elle prenne l’habit de religieuse pour enrichir son fils aîné, tout en faisant promettre à Déterville d’entrer dans un ordre monastique. Cette manipulation égoïste des mariages montre que la mère est prête à sacrifier l’amour et la liberté de ses enfants pour l’argent. Le mot barbare renvoie ironiquement à la perspective inca : Zilia juge que ce n’est ni la religion chrétienne ni la noblesse française qui justifient cela, mais bien l’intérêt mesquin des puissants.
Plus généralement, Zilia observe par petites touches les inégalités de la société. Elle critique la coupure entre l’ignorance imposée aux femmes et la pratique de la galanterie mondaine. Elle fait observer que Céline, autrefois aimable, est devenue sèche envers elle depuis que sa douleur a altéré son comportement. De leur amitié autrefois forte, il ne reste qu’un lien fragile : chaque fois qu’elle invoque Aza ou ses projets de fuite, Céline lui répond par des reproches qui la font taire. L’intolérance de Céline – « elle me conteste ton esprit, tes vertus, & jusqu’à ton amour » – illustre la violence de la déception amoureuse : blessée, sa sœur d’adoption accuse l’étranger qu’est Aza de tous les maux. Même la servante Zilia, appelée ironiquement « ma China », exprime à sa façon cette coupure : elle « s’octroie la hardiesse » d’exhorter Zilia à oublier Aza, sous prétexte d’aligner Zilia sur la réalité sociale. Chaque voix féminine autour d’elle, qui au début de son séjour la protégeait ou la consolait, lui tourne maintenant le dos. Cela renforce l’impression d’abandon total de Zilia dans une société étrangère.
On saisit ici le rôle de la critique sociale : Zilia exprime, sous couvert de son émotion, son rejet des institutions qui asservissent les femmes. Sans citer d’idéologue, elle montre que l’éducation et la religion française tendent à maintenir les femmes dans l’ignorance et la passivité. L’auteure suggère en filigrane que la vraie barbarie n’est pas du côté des Incas, mais bien du côté de ceux qui imposent le silence aux femmes. Comme l’a noté la critique, Zilia passe en revue des éléments comme l’éducation des femmes, le mariage ou les usages mondains pour mettre en lumière le caractère relatif des mœurs sociales. Tout en restant une lettre d’amour, ce texte porte donc une critique sourde de la société des Lumières elle-même, sans ironie explicite mais avec une force de constat.
Amour, isolement et souffrance de Zilia
La lettre est avant tout une lettre d’amour et de souffrance. Le nom d’Aza revient sans cesse : Zilia évoque son départ forcé et se plaint de ne pouvoir partager avec lui ses peines actuelles. Le statut de la correspondance – tendre confidence à un être aimé – amplifie sa solitude. Dans la lettre, son chagrin est palpable. Par exemple, face à l’interdiction de communiquer, elle se fait confidente de Céline et consolatrice de sa peine ; mais elle ne peut déverser elle-même ses sentiments. Le seul moyen qu’elle trouve est de s’adresser à la feuille. Elle en profite pour se livrer, sachant pertinemment qu’Aza ne lira jamais ces lignes : « peut-être ne sauras-tu jamais que je n’ai vécu que pour toi », avoue-t-elle avec désespoir. Ce regret anticipé a un effet dramatique : le lecteur réalise que Zilia confie à la lettre son ultime espoir. En effet, cette dernière partie est empreinte de douleur tragique. Zilia fait entendre sa voix intérieure, parfois brisée, parfois résolue. Elle écrit « Hélas ! » à plusieurs reprises, marque l’incertitude. Elle se dit forcée de « conserver [son] illusion pour [se] conserver la vie » : dans ce paradoxe, on sent qu’elle préfère souffrir dans l’espoir de revoir Aza plutôt que de « voir le jour » impuissante. Le registre émotionnel est ici à son comble : elle évoque la mort plutôt que la vie sans son aimé (« si je n’espérais te revoir, je périrais ; sans toi la vie m’est un supplice »). Cette déclaration finale, loin d’être vaine exaltation, confirme l’engagement total de Zilia envers Aza. Elle sacralise littéralement l’amour comme raison de vivre.
Le choix du ton et des procédés littéraires souligne ces sentiments intenses. Zilia multiplie les interjections (« Hélas ! »), les points d’exclamation et les phrases interrogatives pour retranscrire sa détresse. L’emploi du présent d’énonciation et du futur quasi-certain confère à la lettre un ton de confidence impérieuse : on est au plus près de sa passion. Le discours « je » est envahissant, illustrant ce que les chercheurs appellent la subjectivité féminine sous forme épistolaire. Par leur simplicité apparente, ses phrases révèlent pourtant un raisonnement poignant : par exemple, elle « écarte la raison barbare » qu’il lui faudrait accepter. Elle oppose là la froide logique économique de sa société (vouloir la forcer au couvent) à la chaleur de ses émotions : l’amour prime, selon elle, sur toute rationalité imposée.
Analyse linéaire de la lettre
La lettre se lit comme un flux de conscience organisé en plusieurs segments émotionnels. Dès le début, Zilia exprime ses difficultés techniques : elle explique que, malgré sa volonté de décrire « les expressions de [sa] tendresse », ses mots s’embrouillent et se noient. Ce prologue souligne son honnêteté et sollicite la bienveillance du destinataire. Ensuite, l’évocation du départ de Déterville marque la transition vers le drame personnel. L’accumulation de détails (son chagrin, ses larmes, ses craintes) forme un passage pathétique où les termes “peines”, “désespoir” et “espérance” s’enchaînent en rythme. Le style est lyrique : même la juxtaposition d’idées (peur/espérance, amour/abandon) est exprimée dans des phrases longues pleines de subordonnées, qui imitent le flot des émotions de Zilia.
Puis la lettre évolue vers une description quasi-reportage de la situation quotidienne. Zilia parle à la troisième personne de la « maison de Vierges » et des « Vierges » qui l’habitent, ce qui crée un effet de mise à distance factuelle. L’attention du lecteur est portée vers le contraste entre l’errance émotionnelle de Zilia et le cadre quasi-concentrique du couvent. L’énumération des interdits – interdiction de parler, de voir, de soutenir les amants – dans la deuxième partie adopte un ton légèrement scandé, presque martelé, qui accentue le sentiment d’oppression. Par exemple, l’usage répété de « & » dans la description des renoncements religieux (« connaissance de l’esprit, sentiments du cœur, &… la raison ») crée un effet d’accumulation : on comprend que tous les aspects essentiels de l’être sont écartés, comme si rien ne devait rester humain chez ces femmes dévotes. Ce passage donne l’impression que Zilia décortique chaque élément absurde de cette tradition.
La troisième partie aborde les relations personnelles : le cœur vengeur de Céline et de « ma China » est introduit sur un ton amer. Les registres de phrase changent : les répliques de Zilia à Céline contiennent des négations et des tournures sèches, mettant en scène une rupture définitive de la complicité. Quand Zilia prononce « Aza » pour seulement soulager son propre cœur, la réponse agressive de Céline jette un froid. Le rythme devient saccadé et la prise de parole rapide – on sent la tension monter dans l’échange rapporté. Cette dynamique dramatique aboutit au moment où Zilia se replie sur elle-même : elle « renferme son chagrin », comme l’énonce le texte.
Enfin, le paragraphe final redevient complètement introspectif. Zilia ne s’adresse plus qu’à la feuille. Les phrases sont alors brisées par des interjections (« Hélas ! »), et dominées par le conditionnel et l’hypothétique (« peut-être ne sauras-tu jamais »). Cette instabilité grammaticale (emploi répété de « peut-être », alternance d’affirmation et de doute) reflète son hésitation fondamentale : doit-elle continuer à croire en son espoir ou céder à la raison ? Le coup de théâtre intérieur se lit dans la force du lexique : on passe de la faiblesse (« peut-être », « hélas ») au triomphe du « je périrais » si elle n’osait espérer. Le registre devient solennel, presque funèbre. L’absence de point final explicite à sa confession amoureuse fait sentir que sa pensée reste suspendue à l’avenir : la lettre demeure ouverte, comme son amour tenace.
Conclusion
Au terme de cette analyse, la lettre 19 apparaît comme un moment clé du récit de Graffigny. Elle révèle Zilia à elle-même : d’abord pétrie de souffrance et de doute, elle se montre in fine combative. À travers les mots de Zilia, l’auteure livre un regard critique sur la société française du XVIIIᵉ siècle. Les injustices conjugales et éducatives sont soulignées à travers l’expérience personnelle de l’héroïne, sans que celle-ci devienne une militante abstraite. Le texte ménage ainsi une critique sociale larvée : en s’identifiant à Zilia, le lecteur perçoit la relativité des valeurs en fonction des cultures. Comme le relèvent les études, Graffigny parvient à faire passer dans le roman épistolaire « une vision critique sur la situation réelle des femmes dont la vie dépendait du désir et des desseins des hommes ». La lettre 19 reste cependant avant tout une confession intime : le lecteur assiste à un cri silencieux puisque les paroles écrites ne parviendront jamais à Aza. Cette tension entre le privé et le public, entre le sentiment et la société, est exemplaire du talent de Graffigny pour mêler le cœur au débat social. En cela, le texte de Zilia se termine sur un message d’amour absolu, préfigurant la suite du récit où l’héroïne devra conquérir sa liberté. Grâce à cette épître, Graffigny confirme que même dans le cadre contraint de la fiction épistolaire, l’expression d’une femme peut être à la fois passionnée et subversive, ouvrant un dialogue entre émotion et critique socialeres.

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