Connaissons-nous jamais assez l’environnement dans lequel nous vivons ? Non, serais-je tenté de dire. Et ce, à plus forte raison quand on est un urbain comme moi. Il est difficile de garder un rapport concret et direct au monde quand il y a toujours un morceau de building qui vous gâche la fin d’un coucher de soleil, que la pollution lumineuse ne vous permet jamais d’apprécier une constellation d’étoiles ou que les décibels de l’activité humaine couvrent le son de la faune et de la flore. Cette déconnexion quasi-permanente avec l’univers s’accompagne d’une digitalisation de notre manière de vivre qui, certes, nous évite quelques tâches rébarbatives mais qui, aussi, nous tient à distance de la nature.
En tant qu’être humain coincé en appartement, je retrouve cette connexion avec Dame Nature lors de mes randonnées hebdomadaires style échappées belles, où depuis quelque temps je prête une attention particulière aux plantes et aux animaux que je rencontre sur ces chemins de traverse. Lors d’une de ces escapades j’ai eu l’occasion de voir des traces du travail des castors du côté de Houffalize (Belgique).
Suite à la participation d’une masse critique Babelio, un concours de circonstance a voulu que je reçoive le livre Le Castor & Fragment du Discours sur la nature des animaux (1) publié aux éditions La Bibliothèque. Analyse.
Cet ouvrage de 98 pages est en fait une œuvre hybride reprenant des textes du naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon mis en lumière par ceux de Jacques Damade. Il m’arrive rarement de dire un mot sur un livre en tant qu’objet mais celui-ci mérite que l’on s’y attarde. Il s’agit d’un petit format où la qualité du papier et la mise en page sont soignées. La police de caractère et l’aération du texte offrent une lecture agréable. Sans parler des notes renvoyées à la fin de l’ouvrage afin de ne pas alourdir le texte. C’est aussi pour ce genre d’attentions apportées au livre qu’un lecteur peut entrer en résonance avec sa lecture.
Et puis il y a le contenu, évidemment. Le texte sur le castor permet d’approcher cet animal farouche puisque Buffon l’a étudié sous toutes ses coutures. Tout d’abord, sur le plan morphologique. J’avais personnellement oublié à quel point cet animal a un corps original dans le monde du vivant. Ni complètement mammifère terrestre ni complètement aquatique il possède des pattes de devant telles des mains tandis que celles arrières sont palmées. Le castor mène ainsi sa vie entre les cours d’eau et les berges.
Ces dispositions anatomiques donnent le droit aux castors d’être de véritables architectes afin de de construire des barrages et de réaliser des huttes. Ces habitats sont de petits bijoux créatifs : accès direct à l’eau, étanchéité du toit, sol de l’habitat au sec. Certains habitats ont même deux entrées, une terrestre et l’autre aquatique. Cette manière de vivre est rendue possible grâce à une intelligence collective qui permet aux castors d’être une réelle petite société:
“ Les castors sont peut-être le seul exemple qui subsiste comme un ancien monument de cette espèce d’intelligence des brutes, qui, quoique infiniment inférieure par son principe à celle de l’homme, suppose cependant des projets communs et des vues relatives ; projets qui ayant pour base la société, et pour objet une digue à construire, une bourgade à élever, une espèce de république à fonder, supposent aussi une manière quelconque de s’entendre et d’agir de concert. Les castors, dira-t-on, sont parmi les quadrupèdes ce que les abeilles sont parmi les insectes. “ (2)
Le texte sur les castors est suivi d’un extrait du Discours sur la nature des animaux qui permet de voir que Buffon n’était non pas seulement un naturaliste mais aussi un philosophe qui tentait de prendre appui sur les expériences qu’il réalisait afin d’en extraire plusieurs hypothèses qu’il développait ensuite dans ces écrits. Il y est notamment question d’une mise en perspective de l’homme et de l’animal au sujet du rêve. Est-il fait uniquement de sensations ? ou y a-t-il un monde intelligible derrière nos rêves ?
Buffon, qui vécut au cœur du siècle des Lumières, pose là une problématique qui est peut-être un des préambules aux recherches d’un certain Sigmund Freud plus d’un siècle et demi plus tard !
En conclusion, cet agréable ouvrage permet de se plonger dans des textes de Buffon sans avoir à se risquer d’une overdose encyclopédique. Les extraits du célèbre naturaliste sont savamment choisis et les commentaires de Jacques Damade favorisent la compréhension des sujets abordés. Dans un monde où l’écologie et la nature sont sur toutes les lèvres, ce petit livre offre la possibilité de sortir des sentiers battus et d’alimenter le débat quant à notre rapport à l’animal. 😉
À bientôt,
(1) BUFFON, Le Castor & Fragment du Discours sur la nature des animaux, Éditions La Bibliothèque, 2020
(2) Ibid., P.14
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