Une œuvre méconnue

Pour admirer l’ineffable rictus de la Joconde veuillez vous rendre au Louvre de Paris, faire la queue et jouer des coudes entre une armée de perches à selfie pour enfin vous retrouver au plus proche de l’œuvre, c’est à dire à plusieurs mètres du tableau protégé par une épaisse parois de verre. « Qu’on la laisse respirer, elle se meurt. « 

L’homme de Vitruve, lui, se trouve enfermé à Venise. Il est conseillé de ne pas oublier ses lunettes pour appréhender la géométrie parfaite de ce dessin à peine plus grand qu’une feuille A4. « Pour un format plus grand, nous vous conseillons la boutique« .

Que dire de la Cène, cette fresque murale mondialement connue qui n’existe déjà presque plus en tant que telle suite aux restaurations très orientées qu’elle a subit. Ou encore ce Salvator Mundi qui défraie toujours la chronique autant pour son prix que pour les doutes qu’il soulève. « Est-ce vraiment Léonard de Vinci qui a peint ça ?« 

En dehors de ces classiques devenus des icônes de la consommation de l’art et qui s’impriment sur des t-shirts ou des mugs souvenir… se trouve la Vierge au fuseau. Un tableau moins connu mais qui semblerait être de la patte du maître italien.

La Vierge au fuseau - Léonard de Vinci
Tableau de la Vierge au fuseau (ou la madone au fuseau) après restauration – Léonard de Vinci

L’étude du tableau

Tout d’abord il convient de rappeler qu’il n’y a pas de consensus sur la paternité de Vinci quant à cette peinture de 50x36cm mais de sérieux indices qui tendent à montrer que Léonard était bien à l’œuvre sur ce tableau.

L’arrière plan est typique des œuvres attribuées à Léonard de Vinci. Les couleurs délavées du ciel sont exactement les mêmes utilisées pour créer la texture des montagnes. Cette atmosphère diaphane permet d’illustrer quelques détails lointains, sans surcharger le reste de l’œuvre. À l’instar de la Joconde cet aspect clair sur le haut du tableau sert d’écrin à la tête du personnage principal. Le principe de la photo d’identité en quelque sorte … le décor en plus.

Lors de l’étude du tableau, de microscopiques fragments de peinture ont été prélevés et analysés. Il en ressort que le pigment utilisé pour faire le bleu chatoyant de la toge est du lapis-lazuli. Cette pierre précieuse dont on extrayait le fameux pigment — qui se vendait au prix de l’or — et qui permettait d’avoir ce bleu si particulier que l’on retrouve dans d’autres peintures de Vinci.

Une des choses qui a fait la renommée du peintre italien est sa technique du « sfumato ». Comme son nom l’indique, elle crée un effet vaporeux et adoucit les contours trop marqués, comme celui d’un visage par exemple. Cela permet d’avoir un effet plus réel de n’importe quelle partie du corps humain. Dans la Vierge au Fuseau, il suffit de regarder le visage de la femme ou le cou de l’enfant pour se rendre compte que Vinci maniait sa technique du sfumato comme personne à la même époque.

La réflectographie, un outil supplémentaire

Toujours dans le rayon des indices, il existe une technologie appelée réflectographie qui permet, à l’aide d’une caméra et d’une lumière infrarouge de traverser les différents pigments de la peinture sans y toucher et d’y laisser uniquement apparaître les pigments noirs. C’est à dire ceux utilisés pour réaliser le dessin préparatoire de la peinture. Les spécialistes s’accordent à dire que cette première esquisse est un indice supplémentaire pour attribuer la paternité de la Vierge au Fuseau à Léonard de Vinci.

Réflectographie de la Vierge au fuseau (à gauche la toute première version supposée. A droite la version surnommée
Réflectographie de la Vierge au fuseau (à gauche la toute première version supposée. A droite la version surnommée « Madone Buccleuch »)

De plus il existe de nombreuses copies du tableau réalisées par les élèves du maître où l’on peut voir certains détails changer, s’ajouter ou disparaître de l’œuvre originale. C’est de nouveau la réflectographie infrarouge qui donnera un indice supplémentaire sur le caractère authentique de la Vierge au Fuseau telle qu’illustrée dans cet article.

Il y a quelques-semaines, il m’a été donné l’occasion de voir cette œuvre de mes propres yeux lors de la rétrospective sur Léonard de Vinci au Louvre. Certes, il y avait des dizaines d’autres peintures ou dessins du maître mais celle-ci a magnétisé mon iris dès le premier regard. Sa récente restauration m’a permis d’apprécier, à quelques-centimètres, tous les détails qui font que cette peinture est plus que probablement de Léonard.

Enfin, il est à espérer que cette œuvre, appartenant à un collectionneur privé, puisse maintenant prendre place dans un musée pour le plus grand bonheur de celles et ceux qui veulent apprécier le coup de pinceau du peintre italien sans être mis à distance comme pour … (suivez mon regard). 😉

À bientôt.

N.B. : Plusieurs noms circulent pour nommer le tableau de La Vierge au fuseau. La Madone aux fuseaux, La Madone au fuseau ou encore La Vierge au dévidoir. À vous de choisir.


Pour en savoir plus:

Une interview de Frédéric Wilner, réalisateur d’un documentaire vidéo sur cette œuvre.


5 réponses à « La Vierge au fuseau | Léonard de Vinci »

  1. Très intéressant ! Depuis l’adolescence, la peinture qui m’a le plus marquée de de Vinci est la Vierge aux rochers qui a elle aussi des montagnes à l’arrière plan. Je me souviens que j’aimais le mystère tout autour et les différences entre les deux versions réalisées : une présente au Louvres, l’autre à Londres 🙂

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    1. En effet les arrière-plans chez Vinci sont assez singuliers. C’est d’ailleurs un facteur de différenciation pour les experts quand il s’agit de savoir si tel tableau aurait pu être de la patte du maître.

      D’ailleurs, quand on compare la Vierge au fuseau, celle aux rochers et la Sainte-Anne, c’est fou les similitudes que l’on peut retrouver … jusque dans la position des mains.

      Par contre, je me demande quels sont les critères qui déclenchent une restauration d’une peinture de Vinci? Peut-être la Vierge aux rochers sera la prochaine à être restaurée … ou peut-être ne le sera-t-elle jamais?

      Tantum dicam, futura 😉

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  2. Je suis tombé amoureux de ce tableau en le voyant lors de la rétrospective de Vinci.
    Une merveille. Cette finesse, cette mortalité.
    De même que pour la Sainte Anne, la quintessence picturale de de Vinci.
    Bonne journée

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    1. Finesse… c’est le mot ! Il est, pour moi, un des tableaux les plus accessibles de Vinci et je suis curieux de voir si il fera partie d’une collection permanente (du Louvre peut-être justement ?)

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  3. […] jusqu’à nos jours. Il m’a fallu faire des choix quant au contenu, vous ne retrouverez pas Léonard de Vinci à qui j’avais déjà dédié un article ni de Jérôme Bosch ou Rembrandt mais d’autres artistes qui ont aussi influencé leur […]

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