Vous retrouverez sur cette page deux résumés du roman d’aventures Le tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne. 😉 Le premier est un résumé court qui tient sur une page 📄, tandis que le deuxième est détaillé pour chaque chapitre. Bonne lecture!


  1. 📘 Résumé court
  2. 📑 Résumé par chapitre
    1. Chapitre I – Dans lequel Phileas Fogg et Passepartout s’acceptent réciproquement comme maître et domestique
    2. Chapitre II – Où Passepartout est convaincu qu’il a enfin trouvé son idéal
    3. Chapitre III – Où s’engage une conversation qui pourra coûter cher à Phileas Fogg
    4. Chapitre IV – Dans lequel Phileas Fogg stupéfie Passepartout, son domestique
    5. Chapitre V – Dans lequel une nouvelle valeur apparaît sur la place de Londres
    6. Chapitre VI – Dans lequel l’agent Fix montre une impatience bien légitime
    7. Chapitre VII – Qui témoigne une fois de plus de l’inutilité des passe-ports en matière de police
    8. Chapitre VIII – Dans lequel Passepartout parle un peu plus peut-être qu’il ne conviendrait
    9. Chapitre IX – Où la mer Rouge et la mer des Indes se montrent propices aux desseins de Phileas Fogg
    10. Chapitre X – Où Passepartout est trop heureux d’en être quitte en perdant sa chaussure
    11. Chapitre XI – Où Phileas Fogg achète une monture à un prix fabuleux
    12. Chapitre XII – Où Phileas Fogg et ses compagnons s’aventurent à travers les forêts de l’Inde
    13. Chapitre XIII – Dans lequel Passepartout prouve une fois de plus que la fortune sourit aux audacieux
    14. Chapitre XIV – Dans lequel Phileas Fogg descend toute l’admirable vallée du Gange sans même songer à la voir
    15. Chapitre XV – Où le sac aux bank-notes s’allège encore de quelques milliers de livres
    16. Chapitre XVI – Où Fix n’a pas l’air de connaître du tout les choses dont on lui parle
    17. Chapitre XVII – Où il est question de choses et d’autres pendant la traversée de Singapour à Hong Kong
    18. Chapitre XVIII – Dans lequel Phileas Fogg, Passepartout, Fix, chacun de son côté, va à ses affaires
    19. Chapitre XIX – Où Passepartout prend un trop vif intérêt à son maître, et ce qui s’ensuit
    20. Chapitre XX – Dans lequel Fix entre directement en relation avec Phileas Fogg
    21. Chapitre XXI – Où le patron de la « Tankadère » risque fort de perdre une prime de deux cents livres
    22. Chapitre XXII – Où Passepartout voit bien que, même aux antipodes, il est prudent d’avoir quelque argent dans sa poche
    23. Chapitre XXIII – Dans lequel le nez de Passepartout s’allonge démesurément
    24. Chapitre XXIV – Pendant lequel s’accomplit la traversée de l’océan Pacifique
    25. Chapitre XXV – Où San Francisco se fait apercevoir, jour d’un rendez-vous
    26. Chapitre XXVI – Dans lequel on prend le train de chemin de fer du Pacifique
    27. Chapitre XXVII – Où Passepartout a l’histoire des Mormons à vingt milles à l’heure
    28. Chapitre XXVIII – Où Passepartout échoue à parler raison
    29. Chapitre XXIX – De divers incidents sur les chemins de fer de l’Union
    30. Chapitre XXX – Où Phileas Fogg simplement accomplit son devoir
    31. Chapitre XXXI – Où l’inspecteur Fix prend les intérêts de Phileas Fogg sur un ton fort sérieux
    32. Chapitre XXXII – Où Phileas Fogg engage une lutte directe contre le mauvais sort
    33. Chapitre XXXIII – Où Phileas Fogg montre qu’il demeure fidèle à ses habitudes
    34. Chapitre XXXIV – Où Passepartout a un moment l’occasion de faire un jeu de mots atroce
    35. Chapitre XXXV – Où Passepartout n’a pas besoin qu’on lui répète deux fois l’ordre…
    36. Chapitre XXXVI – Où Phileas Fogg fait encore un tour de force à la Bourse
    37. Chapitre XXXVII – Où il est prouvé que Phileas Fogg n’a rien gagné à faire ce tour du monde, si ce n’est le bonheur

📘 Résumé court

Phileas Fogg est un riche gentleman anglais à la vie réglée comme du papier à musique. Solitaire, méthodique et flegmatique, il vit au 7, Saville Row à Londres et passe ses journées au Reform Club. Un jour d’octobre 1872, après avoir congédié son domestique pour une broutille, il embauche Jean Passepartout, un valet français qui aspire à une existence calme après une jeunesse aventureuse. Passepartout est ravi de servir un maître aussi ponctuel et prévisible, persuadé d’avoir enfin trouvé l’employeur idéal.

Pourtant, dès son premier jour de service, l’imprévu s’invite chez Phileas Fogg. Au Reform Club, lors d’une discussion sur les progrès des transports, Fogg affirme qu’on peut désormais faire le tour du monde en quatre-vingts jours. Ses pairs le mettent au défi de prouver ces dires. Saisi par l’audace du propos, Fogg engage la moitié de sa fortune – vingt mille livres sterling – qu’il réussira ce tour du monde en 80 jours. Stupeur générale, mais le pari est conclu : le 2 octobre au soir, Fogg doit être de retour le 21 décembre à 20h45 précises. Sans perdre une minute, le gentleman rentre chez lui annoncer la nouvelle à Passepartout. À 20h45 pile, sous les yeux ébahis de quelques collègues du Club venus vérifier l’incroyable promesse, Phileas Fogg et son domestique montent dans le train de nuit pour Douvres. En quelques heures, le tranquille quotidien de Passepartout bascule dans une aventure effrénée autour du globe.

Très vite, la presse se passionne pour ce pari insensé. Londres ne parle plus que de Phileas Fogg, entre admiration et moqueries. Mais la police, elle, voit d’un mauvais œil ce départ précipité : un vol de 55 000 livres sterling vient d’être commis à la Banque d’Angleterre, et le mystérieux gentleman globe-trotter fait un coupable tout désigné. Un inspecteur nommé Fix est dépêché pour suivre la piste de Fogg à travers le monde. Ignorant qu’il est suspecté de ce crime, Phileas Fogg poursuit son voyage méthodique, sans se douter qu’un détective tenace le talonne dans l’ombre, prêt à provoquer le moindre retard.

Après l’Europe, Fogg et Passepartout traversent la Méditerranée et franchissent le canal de Suez. À Suez, Fix repère l’étrange voyageur et questionne Passepartout sous couvert de formalités. Le bavard valet lui révèle sans le vouloir le départ précipité de son maître et sa mallette remplie de bank-notes neuves, de quoi renforcer les soupçons de l’inspecteur. Faute de mandat pour agir, Fix embarque incognito sur le même paquebot en direction de l’Inde, bien décidé à ne pas lâcher Fogg. Le voyage maritime se déroule sans accroc et, grâce à la rapidité du navire, nos deux héros arrivent à Bombay avec deux jours d’avance sur le calendrier prévu.

En Inde, les péripéties commencent. À Bombay, Passepartout visite un temple hindou par curiosité, mais, ignorant les coutumes, il y entre chaussé et provoque la fureur des prêtres. Chassé à coups de bâton, il parvient tout de même à rejoindre son maître juste à temps pour attraper le train vers Calcutta. Plus loin, le trajet ferroviaire s’interrompt brusquement : la voie n’est pas achevée. Qu’à cela ne tienne, Phileas Fogg achète un éléphant et engage un guide pour traverser la jungle. Durant cette marche à dos d’éléphant, Fogg et Passepartout sont témoins d’une scène terrible : une jeune veuve, Aouda, est entraînée de force par des brahmanes pour être immolée vivante sur le bûcher funéraire de son défunt mari. Révolté, Fogg décide de la sauver. Au petit matin, Passepartout réussit un coup d’éclat héroïque en se substituant au mort et en enlevant Aouda au nez et à la barbe des prêtres ébahis. La victime est sauvée ! Reconnaissante et sans famille pour la recueillir, Aouda choisit d’accompagner ses sauveurs. Grâce à cette diversion audacieuse, Fogg a certes perdu un peu de temps, mais il reprend vite le train à Allahabad avec Passepartout et Aouda à ses côtés. Ils arrivent à Calcutta in extremis pour poursuivre le voyage.

À Calcutta, un piège les attend : les prêtres de Bombay, conseillés par Fix, ont porté plainte pour l’incident du temple. Phileas Fogg et son domestique sont arrêtés dès leur descente du train. Condamnés à une peine de prison, ils ne doivent leur liberté qu’au sang-froid de Fogg qui paye aussitôt une caution exorbitante pour éviter l’incarcération. Cette solution ruineuse leur permet de filer directement vers le port et de s’embarquer sur un steamer en partance pour Hong Kong, en emmenant Aouda. Fix, toujours sans mandat mais plus acharné que jamais, monte aussi à bord en espérant que l’arrestation pourra se faire sur le sol colonial britannique. Pendant la traversée, il joue double jeu : il se lie avec Passepartout pour mieux espionner Fogg, tout en attendant fébrilement l’arrivée d’un mandat d’arrêt.

L’arrivée à Hong Kong va provoquer un des plus grands rebondissements de l’aventure. D’abord, Phileas Fogg apprend que l’homme chez qui il comptait confier Aouda a quitté la ville : la jeune femme, désormais sans protecteur, accepte de continuer le voyage jusqu’en Europe avec lui. Ensuite, un coup du sort menace l’itinéraire : le paquebot pour Yokohama (Japon) part plus tôt que prévu. Passepartout découvre le changement d’horaire, mais avant qu’il n’alerte son maître, Fix le dupe et l’attire dans une fumerie d’opium. Le pauvre valet, drogué, s’endort profondément. Résultat, Fogg et Aouda manquent le départ du navire sans comprendre l’absence de Passepartout. Notre inflexible gentleman ne se décourage pas pour autant : il affrète sur-le-champ un petit voilier, la Tankadère, et met le cap sur Shanghai afin d’attraper le prochain paquebot en correspondance. L’inévitable Fix, dévoilant enfin son identité policière mais feignant de vouloir “aider” Fogg, se joint à eux sur ce fragile bateau. Ensemble, ils affrontent une violente tempête en mer de Chine et atteignent de justesse Shanghai, où ils parviennent à embarquer in extremis sur un steamer en route pour San Francisco. Pendant ce temps, Passepartout, sorti de sa torpeur à Hong Kong, a sauté sur le paquebot initial à la dernière seconde. Arrivé seul et sans argent au Japon, il doit survivre en se faisant embaucher dans un cirque. Par un incroyable hasard, c’est au cours d’un spectacle à Yokohama que ce fidèle serviteur retrouve enfin son maître et la jeune Aouda ! Les retrouvailles sont émouvantes et la petite troupe est à nouveau réunie. Quelques jours plus tard, tous embarquent à bord d’un grand paquebot pour entamer la traversée de l’océan Pacifique.

En Amérique, l’aventure prend des allures de western. Phileas Fogg, Passepartout, Aouda (et l’infatigable inspecteur Fix) débarquent à San Francisco, puis traversent les États-Unis en chemin de fer. Le voyage en train de San Francisco à New York est semé d’embûches palpitantes : une halte forcée pour laisser passer un gigantesque troupeau de bisons, un pont fragile franchi à toute vapeur au mépris du danger, sans oublier l’attaque d’une bande de Sioux en plein désert du Nebraska ! Lors de cet assaut, Passepartout se distingue par sa bravoure en détachant la locomotive pour sauver les passagers, mais il est capturé par les Indiens. Phileas Fogg n’hésite pas à risquer son pari et sa vie pour secourir son domestique adoré : avec l’aide de soldats, il délivre Passepartout sain et sauf. Ces incidents font perdre du temps, et le train repart sans eux. Qu’à cela ne tienne, nos héros improvisent un moyen de transport inédit : un traîneau à voiles qui file sur la neige. Cette audace leur permet de rallier Chicago puis New York à temps… ou presque. Malheureusement, à leur arrivée sur la côte Est, le dernier paquebot régulier pour l’Angleterre vient de partir.

Phileas Fogg joue alors son va-tout. À New York, il affrète un navire cargo, l’Henrietta, et promet une fortune au capitaine pour qu’il les conduise au plus vite à Liverpool. La traversée de l’Atlantique est épique : en cours de route, Fogg doit mutiner gentiment l’équipage et racheter le bateau pour forcer la destination voulue. Quand le charbon vient à manquer, il ordonne de démonter les pièces en bois du navire pour alimenter la chaudière ! Grâce à ces efforts désespérés, l’Henrietta atteint finalement les côtes britanniques. Fogg touche le sol anglais le 21 décembre, pile dans les temps… du moins le croit-il. Car à l’instant même où il débarque, l’inattendu frappe encore : l’inspecteur Fix le fait arrêter. Il a finalement obtenu un mandat et reste persuadé d’avoir capturé le voleur de banque. Fogg est retenu plusieurs heures au poste, le cœur brisé de voir son voyage triomphal réduit à néant pour une accusation infondée. Enfin, la vérité éclate : le véritable voleur a été arrêté ailleurs, l’innocence de Fogg est prouvée et Fix, confus, doit le libérer. Mais il est trop tard : il ne reste plus assez de temps pour gagner Londres à l’heure. Phileas Fogg monte dans un train spécial et arrive chez lui le 21 décembre au soir, avec un retard de quelques minutes. Après tant d’efforts, cet infime écart signifie l’échec du pari. Ruiné, Fogg s’enferme chez lui, convaincu d’avoir tout perdu.

C’est alors que se joue le dernier acte, empreint d’émotion. Aouda, que Fogg a protégée tout au long de la route, lui déclare son amour et lui propose de l’épouser, ne voulant pas être la cause de sa ruine. Touché, Phileas Fogg accepte cette perspective d’un bonheur inattendu. Il envoie Passepartout quérir un ministre pour célébrer le mariage le lendemain. Quelques instants plus tard, Passepartout revient en hurlant de joie : en chemin, il a découvert que, en voyageant vers l’est, ils ont gagné un jour sur le calendrier sans s’en rendre compte ! En croyant avoir échoué le 21 décembre, Fogg s’est trompé de date – il lui reste en réalité quelques minutes pour accomplir son pari. N’écoutant que son courage, Passepartout et Fogg foncent au Reform Club. Ce soir-là, à 20h45 et quelques secondes, Phileas Fogg pousse la porte du salon du club, où les membres n’en croient pas leurs yeux. Il a réussi ! Il a fait le tour du monde en quatre-vingts jours, pile dans le délai imparti.

Phileas Fogg empoche les 20 000 livres sterling de son pari, mais il a dépensé presque la même somme en route pour braver les obstacles. Qu’importe : en chemin, cet homme méthodique et réservé a trouvé bien plus précieux. Il a noué une amitié indéfectible avec Passepartout. Il a fait mentir ceux qui doutaient de lui. Surtout, il a découvert l’amour auprès d’Aouda, qu’il épouse sans tarder. En gagnant son pari insensé, Phileas Fogg a fait le tour du monde… et gagné le bonheur.


📑 Résumé par chapitre

Chapitre I – Dans lequel Phileas Fogg et Passepartout s’acceptent réciproquement comme maître et domestique

Nous sommes le 2 octobre 1872 à Londres. Phileas Fogg, riche et sobre gentleman à l’allure de statue de cire, mène une vie réglée au quart de tour au Reform-Club, où il passe le matin à jouer au whist. Ce jour-là, fatigué par la routine du jeu, il quitte la partie pour sa promenade quotidienne vers son domicile. Seuls demeurent ses trois partenaires : Andrew Stuart, John Sullivan et Samuel Fallentin, ralliés par Ralph Gauthier, un Français. La conversation glisse sur un audacieux vol de 55 000 livres à la Banque d’Angleterre : nul ne sait qui a osé ce sacrilège. Le Français Gauthier affirme qu’avec les moyens modernes (trains, paquebots à vapeur) on pourrait faire le tour du monde en 80 jours. Irrité, Stuart le prend au mot. Il parie 2 000 livres contre 20 000 que Gauthier ne s’exécutera pas. Ce dernier cède la place à Fogg, qui, froidement, déclare qu’il s’engage à faire lui-même le tour du monde en 80 jours précis. On écrit donc noir sur blanc ce pari extraordinaire : Fogg embarquera ce soir à 20h45 à Douvres pour Calais, et reviendra à Londres le samedi 21 décembre à 20h45, soit 80 jours plus tard. Personne ne le croyait capable de tenir un tel programme, mais Fogg reste impassible, affirmant simplement « Je suis prêt ». Sous ce contrat, il n’hésite pas une seconde. À peine rentré chez lui à 22h, il trouve son nouveau domestique Jean Passepartout, un Français plein d’allant, qui découvre son mystérieux maître. Fogg lui fait signer le contrat d’engagement aussitôt, lui demandant d’être prêt à partir pour Douvres le soir même.

Chapitre II – Où Passepartout est convaincu qu’il a enfin trouvé son idéal

Passepartout, de son vrai nom Jean, est un ancien acrobate devenu valet. Il se présente aux 7 Cromwell Place en se demandant s’il n’a pas dépensé ses économies pour rien. Mais M. Fogg l’accueille avec une parfaite amabilité et lui fait signer son engagement à 22h (on est encore le 2 octobre). Fogg repart aussitôt pour sa promenade du soir, laissant Passepartout découvrir la maison luxueuse : elle est divisée en appartements succédant à des mécanismes ingénieux (horloges, robinetteries, chaudières) permettant de régler automatiquement lumière, chauffage, etc. Le domestique, à l’extrême rigueur de son futur patron, est d’abord stupéfait : tout est minuté, programmé, rien ne bouge sans ordre. Mais il trouve ce train de vie tout à fait convenable pour lui, car il était las d’employeurs aventureux : femmes fatales, excentriques ou ivrognes. Travailler pour un homme silencieux, qui n’aura peut-être rien de particulier à lui faire faire, lui paraît l’« idéal ». Il ne regrette plus sa liberté perdue car il aura un toit sûr et un salaire stable. En glissant son habit de premier valet sur une chaise de l’appartement, il se sent accueilli dans un mode de vie parfaitement cadencé : voilà qui lui convient, il pense avoir trouvé son « idéal ». Pendant ce temps Fogg, de retour vers 22h, accorde à Passepartout ses premières instructions : « Vous êtes citoyen anglais désormais, j’attends de vous ponctualité absolue et obéissance rigoureuse ». Passepartout hoche de la tête et note ces mots. Il se sent bien au service de ce maître à la fois humain (peu bavard mais ordonné) et strict, et il part se coucher paisiblement, tandis que Fogg prépare déjà sa route vers Douvres.

Chapitre III – Où s’engage une conversation qui pourra coûter cher à Phileas Fogg

Le lendemain, 3 octobre 1872, Fogg reprend ses habitudes : il quitte son domicile à 9h45 pour le Reform-Club. Dehors, sous le gris du matin londonien, tout semble immuable. Fogg chevauche son cheval vers le club aux environs de 10h. À 10h30, il est de nouveau au whist. Les mêmes joueurs sont là : le baron Moncharmin (malade récemment), Sullivan, Gauthier Ralph, Flanagan (un Gaélique), Fallentin l’Américain. Le vol de 55 000 livres fait la une des journaux, suscitant des discussions. On dit que c’est un ancien officier du génie, mais rien de sûr. Puis on en revient aux voyages : un membre du club vante les progrès des chemins de fer. Gauthier relève l’exploit que ce permettrait de faire le tour du monde en 80 jours, ce à quoi Stuart fait le pari. Les paperasses sont signées dans le salon du club : Fogg promet d’embarquer à Calais le soir même, de regagner Londres le 21 déc. à 20h45. En retour, Stuart doit payer 20 000 livres s’il échoue. Tous signent le billet, Fogg gagne la partie, et la conversation reprend normalement. Dans l’après-midi, tout rentre dans l’ordre au Reform-Club sauf pour Ralph Gauthier qui devra maintenant tenir parole. C’est donc scellé : ce soir-même Phileas Fogg part à l’aventure autour du monde.

Chapitre IV – Dans lequel Phileas Fogg stupéfie Passepartout, son domestique

Vers 19h50 (toujours le 3 octobre), Fogg quitte le club, et rentre chez lui en cab (il arrive juste sous la minute). Passepartout, qui termine de dîner, l’accueille comme d’habitude. Mais Fogg reste debout un instant, puis lui claque : « Nous partons dans 10 minutes pour Douvres ! » (Premier tour de force de Passepartout : rester debout.) Le domestique est épouvanté : « Vous partez maintenant ? Mais, monsieur… » Mais Fogg, d’un calme imperturbable, l’interrompt. Il décharge Passepartout de ses bagages, l’enjoint à faire vite : enlever l’habitus de maison, mettre le costume de voyage avec quelques changes. Fogg prend son Bradshaw (guide des trains), embrasse Aouda – ah non, pas encore d’Aouda. Il remet à Passepartout une valise et l’ordre d’y mettre l’essentiel (quelques change de chemises, dentifrice, brosse, etc.). Sûr et pressé, Fogg l’attend. Le cocher est déjà là avec un cabriolet. Fogg demande à Jean de vérifier les montres (il garde la sienne réglée sur l’heure anglaise). Passepartout est encore sonné quand il enfourche le cheval du cocher et part pour Douvres à 20h20. En chemin, Fogg jette 20 guinées par la fenêtre à une mendiante et croise des collègues du club étonnés. Sans expliquer le but, il leur souhaite bon voyage ; l’air de rien, il embarquera ce soir sur le paquebot de la Compagnie Péninsulaire à l’île de Wight. À 20h45 tout juste, le train roule vers Douvres via Calais. Passepartout, exténué par la frénésie des préparatifs, réalise qu’il a oublié d’éteindre la lampe à gaz de sa chambre. Il supplie Fogg, mais celui-ci seulement hausse les épaules : « Je vous signale que votre logement sera intact à notre retour… si vous y tenez… » Ce serait irrationnel ? Non, c’est Phileas Fogg. Déjà les rails sifflent vers la Méditerranée, et l’aventure commence.

Chapitre V – Dans lequel une nouvelle valeur apparaît sur la place de Londres

Pendant que Fogg traverse la Manche et parcourt la France en train, la rumeur de son pari se répand à Londres. Le 4 octobre, les livres du club, puis la presse, se chargent de relayer le défi fou : parier qu’on ne peut faire le tour du monde en 80 jours. Au début, on rigole : « Vous avez vu ce pari ? » Mais peu à peu, le suspense grandit. Le Geographical Journal du 7 octobre juge l’entreprise absurde, arguant des retards inévitables (neige au Canada, pirates en mer…). Les paris commencent. Les Tontines (groupes de paris) encensent presque Fogg, disant qu’il va réussir malgré tout. La Bourse londonienne crée même un « montant Fogg », spéculant sur la réussite du pari. Pendant deux jours, parieurs et spéculateurs s’activent : d’abord, il est côté aux 100 contre 50 (c.-à-d. 1 pour Fogg, 0.5 pour ceux qui doutent). Puis, le 9 octobre, le Journal publie un télégramme du consul britannique à Suez : « On a télégraphié un mandat d’arrêt à Bombay pour Fogg, soupçonné d’être un voleur de banque. Départ différé de 12h. » La nouvelle tombe comme un couperet : le pari est fini avant d’avoir commencé ; tout le monde panique (sauf Fogg, qui ignore tout). Dans les maisons de jeu, on suspend les enchères. À la Bourse on flambe de peur : ceux qui avaient pris position sur la réussite sont ruinés, seuls des parieurs secondaires avaient osé soutenir Fogg. Bref, la figure de Fogg passe de star à fugueur soupçonné. Seul Lord Abermale, un vieillard estropié et globe-trotter un peu fou, reste du côté de la « côtéur » : il engage sa fortune (5 000 livres) sur le succès de Fogg, croyant plus à l’exploit humain qu’à l’article du Journal. Mais sa mise est bien mince parmi tant de dettes. Ainsi le monde extérieur découvre (tardivement) qu’un policier, l’inspecteur Fix, court après Phileas Fogg pour le ramener, persuadé qu’il est le voleur de la Banque. Cette révélation froide éclaire tout : d’un coup, les paris s’arrêtent, le public a repris ses esprits et paris risqués tournent court.

Chapitre VI – Dans lequel l’agent Fix montre une impatience bien légitime

9 octobre, mer Rouge. Sur le paquebot Mongolia, qui va de Suez à Bombay, les officiers fument des pipes tandis que les passagers vaquent. Parmi eux, Fogg et Passepartout. Le matin du 9, au port de Suez, l’inspecteur Fix, qui est là en civil déguisé en agent de la P&O, guette l’arrivée du Mongolia. Avec l’officier britannique du consulat de Suez, il discute les détails du voyage à Bombay : « Le bateau s’arrête trois heures, y prend du charbon, et reprend la route directe. Il n’y aura pas de détours, que ce soit clair. » Puis au large, quand le cargo approche, Fix se tient prêt. Le Mongolia se profile vers 10h du matin, son pavillon britannique battant au vent sous un soleil cru. La goélette passe à Suez, prend du charbon, repart vers la mer Rouge. Pour Fix, c’est l’heure fatale : il sait que Fogg est à bord. Un passager sonne à la porte du consul : c’est le domestique de Fogg, qui porte les passeports à tamponner. Fix, de loin, scrute les visages. L’homme qui présente les passeports – c’est Passepartout. L’inspecteur lit à distance sur le passeport de Passepartout la mention « Fogg, Londres ». Fix en est sûr : il a retrouvé le voleur. Il court au consul de Suez et exige l’arrêt de Fogg : hélas, la loi anglaise ne reconnaît pas les passeports, et les autorités n’en ont cure. Le consul le renvoie au bateau : Fogg ne peut être retenu sans mandat. Furieux mais calme, Fix monte à bord. Il retrouve Passepartout, fait ami-ami, l’entraîne en ville pour l’habillement nouveau, déguisement. Il n’ose pas accuser frontalement, il le berne de sympathie. Passepartout, par sa verve, parle de Paris, du cirque, etc. Fix se contente d’envoyer violemment Passepartout chercher Fogg au consul et à la Mongolia. La partie est frustrante : Fogg a le visa tamponné, paie sa taxe et embarque, sans remarquer ni soupçonner rien de la manigance. Fix, lui, ressort bredouille, persuadé malgré tout d’avoir débusqué son homme. La partie du chat et de la souris est lancée.

Chapitre VII – Qui témoigne une fois de plus de l’inutilité des passe-ports en matière de police

À Suez, le consulat fait tamponner les visas de Bombay. Mais Fix n’en démord pas. Il veut arrêter Fogg, son suspect. Fix saute sur un bateau pour revenir à temps au Mongolia. Fogg, imperturbable, a déjà salué la vieille ville : dunes basses, océan liquide, ciel vaste. Il est à bord, à l’arrière, où il joue aux cartes avec un général hindou et un colonel. Passepartout arrive un instant plus tard (portefeuilles, bagages) : Fogg salue poliment les marins. Le soir même, la goélette s’élance vers Bombay. Pendant le trajet en mer Rouge, Fogg garde ses habitudes : il évite la société. Passepartout, lui, découvre la cabine du navire, admire le moindre des innombrables valves et robinets. « Mon Dieu, quelle merveille ces maisons se reposent d’elles-mêmes ! » se dit-il, fasciné. Le voyage sera calme ; Fogg et son valet se tiennent tranquilles en mer, se reposant de la débauche de mouvements du soir précédent. Ni passeport ni fouille de bagages ne sont nécessaires pour lui : il est libre comme l’air. Par cet épisode, Jules Verne confirme que les laissez-passer n’empêchent rien : un suspect armé d’un bon billet peut aller partout sans être inquiété. Le détective repart bredouille de Suez, mais là n’est pas encore la fin.

Chapitre VIII – Dans lequel Passepartout parle un peu plus peut-être qu’il ne conviendrait

Mer 10 octobre, Mer d’Arabie. Fix, revenu au paquebot Mongolia, soigne ses douleurs en retrouvant Passepartout. Le Français, ignorant tout de ce qui précède, déambule. Fix s’incruste à côté de lui sur le pont et l’entraîne en ville sous prétexte de promenade. Il sait que les Hongrois partent sur le Tankadère (vers Calcutta), et qu’il n’a plus que cette chance de piéger Fogg. Au bazar de Suez, Fix s’enquiert tout doucement du voyage de son maître : passeport, départ, itinéraire. Passepartout, joyeux, parle tout seul : son roi de patron ne le laisse pas dormir plus de deux heures par nuit, « mais il est vraiment trop embarrassant ! » Et surtout : il n’a toujours pas changé sa montre, qui « donne encore l’heure de Londres ». Fix sourit intérieurement : Passepartout a donné la clef du mystère. Il comprend que Fogg ne change jamais d’horloge, et il sait ainsi que son voleur cherche à gagner la ligne de date internationale, c’est-à-dire qu’il va vers l’est à grande vitesse. Sous le charme de sa nouvelle compagne de voyage (le bonhomme qui vient de débarrasser l’affaire du Sultan), Passepartout se vante : il explique tout : ils quittent Londres la veille au soir, comme si c’était la routine. Et, en bon Français, il lâche un secret fatal en rigolant : Monsieur Fogg veut faire le tour du monde. (« Le tour du monde ! Vraiment ? » tressaille Fix.) Il lui détaille alors la fameuse gageure, l’itinéraire prévu, les finances… Fix, choqué, confirme cette folie. Passepartout lui raconte même comment ils ont gagné du temps en Inde : grâce à l’amélioration des chemins de fer, plus besoin de porteurs. Fix commence à comprendre : un Anglais pourrait transposer son rendez-vous en Europe en jouant sur les fuseaux horaires. Il est désormais certain que Fogg est ce voleur, et que c’est le pari autour du monde qui sert de couverture. Fix se retire, mais pas avant d’avoir acheté un ensemble de vêtements (pantalon de velours, chemises, gilets, chaussures) pour Passepartout : il y lit la volonté qu’il a de disparaître. Le cocher l’attend, et il s’engouffre sur le Mongolia. Du côté du comptoir, on n’est pas plus soupçonneux. Personne n’essaie d’empêcher Fogg, peu bavard, d’embarquer. Passepartout revient un peu ivre de marchandises, au cab, et retrouve Fogg qui, gardant son masque d’impassibilité, lui fait signe de ranger ces « achats inutiles ». Il ne se doute de rien. Fix, lui, est ravi : il connaît enfin l’identité du voleur et son itinéraire détaillé. Le coup a réussi.

Chapitre IX – Où la mer Rouge et la mer des Indes se montrent propices aux desseins de Phileas Fogg

12–13 octobre. Nous sommes en pleine mer Rouge, descendant vers Aden et Bombay. Sur la Mongolia, le voyage est confortable. Les passagers sont à l’aise dans ce bâtiment à vapeur : moustachus Anglais, colons Indiens, marchands du Yémen… On dîne ensemble, on lit des journaux. Passepartout ne souffre pas du mal de mer ; au contraire, il croque la vie à pleines dents : plus de valet, plus de quotidienneté, il rêve de reprendre un peu les visites de Paris, aujourd’hui. Fogg, lui, ne se presse pas : il joue aux cartes avec un officier, et se contente de saluer de loin ses compagnons de traversée. Un journaliste embarqué discute le voyage du monde en 80 jours – il constate que tout, à l’est, sert le dessein de Fogg : la mer Rouge est calme, les cargos et les escales imprévues sont réduites. Effectivement, le Mongolia rejoint Aden le 14 octobre à 5h du matin, gagnant 15 heures sur l’horaire annoncé (il devait arriver le 15 matin). La mer Rouge, cette semaine-là, semble l’obéir. Tout coïncide : aucun retard, un vent favorable, des pannes évitées. Ni pirate ni problème technique ne se présentent. Passepartout profite bien de ce répit ; il fait de l’exercice à bord, admire de grandes falaises blanches de calcaire, discute avec un colon anglais sur les Indes. Le docteur du bord confie à Fogg qu’un Incroyable audacieux comme lui serait une célébrité dans toutes les contrées. Fogg l’écoute d’un oreille distraite. L’objectif est en vue : demain c’est l’Inde. Tout va bien pour eux.

Chapitre X – Où Passepartout est trop heureux d’en être quitte en perdant sa chaussure

Arrivés le 14 octobre en rade de Bombay, Fogg et Passepartout n’y restent pas : ils doivent prendre le prochain train pour Allahabad. Mais Passepartout décide, en bon Français curieux, de visiter la ville. Au petit matin, le valet traîne dans les ruelles indiennes. Fasciné par les bruits, les odeurs, les sakis en liberté, il erre dans le bazar. Plus tard, traversant un temple hindou (la pagode de Malabar Hill), il ne voit pas le panneau « Défense de franchir pieds nus ». On lui arrache pourtant ses chaussures de voyage, puis on le pourchasse. Des prêtres furieux l’attaquent avec des bâtons. Paniqué et maladroit, Passepartout se défend (grâce à ses entraînements de théâtre), dégomme deux hindous, puis s’enfuit pieds nus par un escalier. Il réussit à rattraper le train à 7h55 (le convoi Bombay-Calcutta part exactement à 8h). Trempé, ensanglanté et nu-pieds, il saute dans le compartiment avec son maître. Fix, reparti vers Calcutta l’arme au poing, laisse Passepartout raconter sa mésaventure à Fogg. Devant l’incident, « Ce sont toujours ces mêmes gaillards ! » se contente de dire Fogg, imperturbable. Ils ont heureusement évité l’arrestation : s’il avait été pris, il aurait servi sa peine et puis repartirait tout de suite, prétend Fogg, évacuant le problème. Un peu malmené, Passepartout ne perd rien de son optimisme. Une fois à bord du train, les 500 km de voie nouvelle vers Allahabad vont s’égrener agréablement. Avec un ticket pour cabines d’élite, il retrouve sa dignité. Le vent, l’aventure – tout lui sourit.

Chapitre XI – Où Phileas Fogg achète une monture à un prix fabuleux

Dans le train vers Calcutta, Fogg et Passepartout partagent un compartiment avec Sir Francis Cromarty, un amiral anglais. Cromarty est impressionné par Fogg et son valet. On joue au whist : Cromarty demande des nouvelles d’Angleterre. Passepartout lui explique que c’est « un pari » étrange (« Quatre-vingts jours autour du monde, par la vapeur et le fer »), mais il minimise la rumeur de vol. Cromarty demande pourquoi Fogg voyage sans lourd bagage ; Fogg répond qu’il n’a emporté que 9 000 livres en billets de banque et cash. Cromarty s’exclame sur la négligence : « Why, paresseux valet ? Vous pourriez acheter un grand cortège avec ça ! ». Fogg rétorque : « Votre argent ou votre vie, dans les trains anglais, c’est tout un. » Cromarty sourit, admiratif, mais s’inquiète : « Vous faites bien cette affaire… un delay ou deux… vous manquerez le steamer à Yokohama ! » Fogg s’en moque : il a prévu un suppléant possible qui attendrait à Shanghaï. À la tombée du jour, le train traverse les Ghâts (les montagnes indiennes), puis la plaine du Gange jusqu’à Allahabad, magnifique porte de l’Inde britannique. Ils couchent au relais d’Allahabad le 15 octobre, ayant accompli leur étape de jour avec grâce. Cromarty songe aux campagnes indiennes. Fogg, lui, reste silencieux et calculateur : peu importe les obstacles, il avance.

Chapitre XII – Où Phileas Fogg et ses compagnons s’aventurent à travers les forêts de l’Inde

16 octobre. À 8h, les trois Anglais (Fogg, Cromarty, Passepartout), accompagnés du guide aghore Parsi, quittent le relais pour Allahabad en direction d’Allahabad. Ce guide avait prêté ses éléphants pour la suite du voyage. En chemin, le guide entraîne Fogg et Cromarty (assis en cacolets sur l’éléphant) à travers une route forestière coupant vers Allahabad, pour gagner du temps. L’animal (surnommé Kiouni) fonce dans la brousse à toute allure, soulevant nuages de poussière. Cromarty est secoué (« Il est d’aventure, ce Fogg », constate-t-il), mais Fogg, droit dans sa cabine improvisée, reste calme. Passepartout, lui, assis à califourchon à la tête de Kiouni, est aux anges : « Regarde, comme il galope ce brave Kiouni ! » Il improvise quelques tours, « tel un écuyer », pour aider l’équipage à diriger l’éléphant. À midi, on marie l’éléphant : on l’attache et on lui donne du fourrage. Cromarty savoure : « Quelle puissance ! » Passepartout rit, lui caresse la trompe, verse du sucre (son fromage) pour l’amadouer. L’après-midi, reprenant la route, ils traversent des régions plus sauvages : collines boisées, passages de rivières, villages hindous déserts. Un groupe de bandits est aperçu à distance : furtifs, en sarong, avec leurs fusils. Kiouni flaire le danger et évite la jungle en bondissant. Vers 20h, ils campent dans une vieille hutte en pierres, près du sommet d’une côte. Fogg, impassible, paye le guide le salaire convenu en roupies exactes. Passepartout, étonné, s’attendait à ce qu’on lui verse plus (le guide, avec son dévouement, méritait bien plus). Fogg sourit et, d’un ton sec, déclare : « Ce n’est pas pour mes deux jours de service, Parsi, mais pour ce que vous avez fait de plus : le Kir-i-Kiouni, il est à vous. » En bon gentleman, il offre à son guide l’éléphant Kiouni. Tous sont émus : Kiouni est un trésor. Cromarty le félicite. La nuit tombe, on dresse le camp, et ils mangent frugalement sous les branches.

Chapitre XIII – Dans lequel Passepartout prouve une fois de plus que la fortune sourit aux audacieux

Nuit du 16 octobre. À l’ombre d’une palmeraie, le guide de Fogg explique un nouveau périple risqué : il faut sauver une jeune veuve hindoue, Aouda (parsie élevée en Europe), condamnée au Suttee (immolation sur le bûcher funéraire du mari). Cette fille d’un riche rajah de Bundelkund, devenue orpheline après la mort de son mari, est sur le point d’être brûlée vive. Le guide a montré la pagode : les lampes, le bois. Fogg promet que l’excursion continuera pour ramener la jeune femme hors d’atteinte. Cromarty s’indigne. Parsi le guide indique qu’il a tout arrangé avec les Brahmanes pour la rançon. Ils décident l’action : attendre la nuit, suivre discrètement la procession nuptiale qui conduit Aouda au bûcher, et l’arracher des mains des fanatiques. Malgré le danger (ils mourront tous s’ils sont pris), Fogg n’hésite pas. Alors que le vent cingle la tente, on entend en lointain le tambour appelant au sacrifice. Soudain, derrière les palmiers, l’énorme ombre d’une procession qui s’avance. Cromarty s’inquiète, Passepartout grelotte. Fogg rassure : « Ne tremblons pas. » Le guide place discrètement Kiouni à 100 mètres de la pagode de Pillaji (où brûle la veuve). L’éléphant attend, silencieux. Sous le ciel étoilé, on compte les torches. Quand la cérémonie commence, Passepartout, animé par le feu de la nécessité, bondit soudain hors des fourrés. Pour les Indiens, il apparaît comme une divinité : ses chiffons de daim de l’éléphant lui donnent un aspect spectral. Il hèle Aouda et, sans réfléchir, la jette en croupe sur Kiouni avant de remonter à son tour sur l’éléphant. Le guide et Cromarty grimpent avec effort. Kiouni fait un bond prodigieux. Les Brahmanes, stupéfaits, tirent quelques coups de feu, mais Kiouni fonce hors de la pagode en fendant la nuit. Dans un fracas de percussion et une fumée d’encens et de flammes noires du bûcher de Pillaji, l’éléphant file dans la jungle. Les cris horrifiés des prètres s’éloignent. L’acte insensé (et génial) est accompli : l’otage, Mrs. Aouda, est sauvée. Sur le dos de Kiouni, elle redevient consciente. Cromarty les suit en palanquin jusqu’à la ville pour les remercier. L’aube marque l’exploit. Passepartout, haletant mais fier, a encore prouvé la fortune et l’audace… la fortune a souri !

Chapitre XIV – Dans lequel Phileas Fogg descend toute l’admirable vallée du Gange sans même songer à la voir

20 octobre au matin. L’éléphant Kiouni, désormais propriété du guide, les a menés jusqu’au chemin de fer de Bénarès. Aouda, veuve du rajah, vêtue de ses habits européens (enlevés par Passepartout), retrouve ses forces. Fogg paie soigneusement le guide ses deux jours de salaire, lapidé sur l’éléphant, puis lui offre Kiouni. Le guide, bouleversé, rougit de gratitude. Ils entament la descente vers Allahabad puis Bénarès (Varanasi). Le soir, ils s’endorment à bord du train dans la cabine « salon ». Au petit matin, 21 octobre, au passage sur le Gange, Fogg se promène sur le pont du wagon, calme comme toujours ; Aouda, assise, découvre l’aspect sauvage de l’Inde : collines broussailleuses, temples, villages. Fogg, taciturne, observe les aiguilles de sa montre. Cromarty lit Le Figaro à Aouda en gesticulant sur ce pays. Fogg, de temps à autre, croise son regard féminin : elle lui adresse un sourire timide et plein d’espoir. Elle révère la politesse discrète de Fogg, à mille lieux de la cérémonie indienne, et lui est reconnaissante de l’avoir sauvée. À 10 heures, à Allahabad, un courrier les attend : c’est Passepartout qui est enfin arrivé (il avait été mis sur la liste du Carnatic). Fogg sourit, on fait les retrouvailles émues. Aouda éclate en larmes : elle remercie Fogg de toute son âme. Puis, dans un silence ému, chacun s’éloigne vers leurs wagons de première classe : Mr. Fogg pour lui-même, Mrs. Aouda pour trouver ses cousins Parsetji à Hong Kong, et Passepartout pour… réfléchir à son étrange voyage. Le train repart à 10h20. « Nous allons vite Bénarès, puis Calcutta, » explique Fogg. Personne ne remarque plus le lever du jour sur le fleuve sacré. Fogg, le regard lointain, ne verra du Gange rien d’autre qu’un fil d’or à l’horizon.

Chapitre XV – Où le sac aux bank-notes s’allège encore de quelques milliers de livres

21 octobre, vers midi, le train se pointe au port de Calcutta. Dès leur descente, un pandit les fait intercepter : l’inspecteur Fix ! D’abord, sans éclat, un policier explique simplement à Fogg qu’il doit le suivre pour « quelques formalités » au palais de justice : arrêt dans l’affaire du suttee (et du temple malabite). Fogg, toujours poli, se contente de demander la permission à l’agent : « Puis-je, Madame, emmener cette jeune dame ? » (désignant Aouda). L’agent accepte mollement. On les reconduit dans un fiacre local (palki-ghari). En chemin, Passepartout feint l’indifférence : il s’est dit que « cet homme suit partout », mais il plaide que le voyage est plus important. Les rues de Calcutta défilent : quartiers indiens misérables, reliefs d’hacienda anglaise (mâtures, grands arbres, herrings en vogue). On les conduit devant une grande bâtisse officielle. On leur claque les portes au nez avec l’ordre de comparaître à 8h30. Passepartout soupire, effarouché. Mrs. Aouda craint pour Fogg : elle accuse immédiatement l’affaire du Suttee (c’est pour lui qu’on l’inculpe, parce qu’il l’a sauvée). Fogg calme : « Pas de souci, Aouda, ce n’est pas possible d’être poursuivi pour ça. Nous irons à Hong Kong comme prévu. » Dans la salle d’audience du lendemain matin 22 octobre à Calcutta, c’est la confusion. Le juge, gras et bougon, se demande d’où vient cette affaire à distance. Les plaignants brahmanes arrivent : c’est ceux de Bombay, qui ont raconté aux magistrats comment deux « étrangers » ont écarté Mrs. Aouda de la mort et ont touché au temple de Malabar Hill. Le greffier annonce la plainte sacrée contre « Phileas Fogg et son domestique ». Passepartout bondit : « À Bombay ! Mais non, monsieur, nous étions à Allahabad ! » D’un air mêlé, Fogg répond qu’il « reconnaît les faits » et attend la suite. Le juge, confus mais procédurier, les condamne. Le 25 octobre, Passepartout écope de 15 jours et 300 livres d’amende pour profanation. La surprise, c’est que Fogg, en bon maître, est condamné pour complicité du fait de son valet : 8 jours de prison et 150 livres d’amende. À la fin de l’audience, Fix, dans l’ombre, jubile : Fogg est cuit (du moins il le pense) ! Ce soir-là, comme au Mexique, les mots de Passepartout résonnent : « Voilà trente-deux mille livres de perdu ! » Et pourtant, nos héros ont gagné du temps.

Chapitre XVI – Où Fix n’a pas l’air de connaître du tout les choses dont on lui parle

22 octobre, après-midi. Sorti en liberté provisoire (sans débourser un sou, grâce à l’argent du pari offert en caution), Fogg embarque en vitesse avec sa compagnie sur le Rangoon, paquebot vers Hong Kong. Ce grand bateau en fer file sur l’océan Indien. Pendant les onze jours de traversée jusqu’à Hong Kong, Fix reste à Calcutta — le mandat d’arrêt britannique ne lui est pas encore arrivé — et décide d’embarquer sur le Rangoon dès son départ. Il se tapit, malade du mal de mer, dans une cabine. Fogg, lui, n’est pas bavard. Il s’occupe d’Aouda, essaie de la mettre à l’aise. Elle lui fait la conversation, le remerciant de l’avoir sauvée, évoquant sa haute naissance parente des Jejeebhoy de Bombay. Fogg, imperturbable, l’écoute d’un air presque évasif mais courtois. Il note qu’Aouda a survécu : cette fois, la providence semble de leur côté. Les journées se passent : Fogg révèle un peu de sa philosophie sans le dire : « Que l’aventure recommence, que les vicissitudes viennent, je suis prêt. Tout est réglé mathématiquement. » Aouda sourit. Cromarty continue son rôle de protecteur chevaleresque. Pendant ce temps, Fix, caché à bord, médite. Il réalise que le seul moment pour attraper le suspect est Hong Kong. Le Japon ne demande pas d’extradition : une fois hors du monde britannique, « Fogg serait perdu », pense-t-il. Le meilleur plan est de retarder la traversée si besoin. Il envisage d’ouvrir les yeux au jeune français naïf en lui dévoilant l’identité de son maître pour le forcer à rester à Hong Kong. Mais l’idée est risquée : si Passepartout prévient Fogg, l’affaire est fichue. Fix hésite. Il observe la jeune veuve, douce et candide, présente aux côtés de Fogg. L’enlèvement d’une femme, pense l’inspecteur, c’est un moyen de faire parler les autorités américaines plus vite en cas d’arrestation. Il décide donc d’attendre, serrant son mandat vide. Le Rangoon s’arrête le 31 octobre à Singapour pour charbon. Fix guette. Passepartout, amusé, remarque que Fix semble toujours là, et finit par conclure « c’est un espion du Reform-Club ». Il décide de se taire, mais ne manque pas de s’amuser à le narguer en privé. Ainsi se déroule la navigation, chacun observant sa propre affaire.

Chapitre XVII – Où il est question de choses et d’autres pendant la traversée de Singapour à Hong Kong

31 oct. – 6 nov. 1872. Après l’escale à Singapour (où Fogg promène Aouda dans les jardins sous palmiers, et où Fix suit discrètement Fogg, tandis que Passepartout dévalise un bazar en rit). Le Rangoon repart vers Hong Kong. Sur la mer de Chine, les personnages se croisent. Fogg, toujours impeccable, joue au whist dans le grand salon, poliment pour distraire Aouda (il a modifié sa routine pour ne pas l’effaroucher). Fix, repu de mauvaise mer et de vengeance, retourne sous cape parfois observer la jeune femme de loin. Passepartout, en chemise de nuit, fait souvent le tour du pont, fasciné par tant de hasards : ce Fix qui l’a suivi d’escale en escale (de Suez à Rangoon), cela lui paraît bizarre. Il en déduit qu’on les espionne au club, et trouvant cela indigne d’un gentleman comme Fogg, « il en rira plus tard », dit-il. Toujours, chacun mène ses affaires : Fogg, stoïque, nourrissant Aouda (et prévoyant qu’à Hong Kong il la remettra à son cousin Jesjeeh), assure la traversée. Le soir du 6 novembre, les lumières de Hong Kong scintillent devant eux. Au matin du 6 novembre, le paquebot entre dans le port de Hong Kong. Fogg, Aouda et Passepartout découvrent la baie, les collines, les mâtures. Chacun songe. Fogg ne montre ni crainte ni joie. Aouda doute un peu de la douceur de la Chine, mais compte sur son sauveur. Passepartout, lui, a hâte de sortir. Fix, grisé par cette traversée, sait que tout se jouera ici.

Chapitre XVIII – Dans lequel Phileas Fogg, Passepartout, Fix, chacun de son côté, va à ses affaires

À l’arrivée à Hong Kong, 6 novembre vers 8h, l’aventure prend un tour triste. A peine débarqués, un officier arrête Fogg et Passepartout au débarcadère : c’est l’ordre de Calcutta. Fogg, placide, se fait conduire au comptoir de la douane (« un officier de police, pour un citoyen anglais, c’est la loi, je dois me soumettre »), tandis que Passepartout proteste. On laisse Aouda passer. Dans le bureau du juge Obadiah, la procédure se répète : on va juger Fogg et son valet pour sacrilège à Bombay. Fix, satisfait, est déjà là, caché, mais la justice britannique n’a pas le moyen de le démasquer. Pendant ce temps, Fogg achète sur-le-champ quatre places au Tankadère, la goélette qui file de Hong Kong au Japon (à travers la mer de Chine). Il paie cash 550 livres au capitaine John Bunsby (500 pour la traversée, 50 pour un bonus si le bateau a bonne allure). Cyniquement, il lui glisse : « Nous voulons y arriver vite. » Personne ne fait de difficulté. Aouda, embrassant Fogg à bout portant, a su le persuader de la laisser accompagner. Après avoir réglé, Fogg organise le départ avant 22h (le navire partira avec un jour d’avance). Au port, le capitaine salue Fogg, confiant dans sa goélette de 20 tonnes, la Tankadère, qui ressemble à un papillon sur l’eau. En soirée, on appareille. Chacun part à son affaire : Fogg se réfugie en cabine pour planifier la suite, tandis que Passepartout, des sous en poche (500 livres laissées par Fogg pour les imprévus, ce que Passepartout découvre trop tard), se retrouve sans nouvelle ni maître, exilé en Asie, le cœur serré. Fix, quant à lui, croise les doigts. S’il échoue à Hong Kong, l’affaire sera perdue (il penserait à l’extradition difficile). Mais ici, ces 48 heures gagnées pourraient suffire à recevoir un mandat.

Chapitre XIX – Où Passepartout prend un trop vif intérêt à son maître, et ce qui s’ensuit

7 novembre. Nuit. Passepartout est écartelé entre inquiétude, faim et colère. Dans la salle de réception d’un quartier mal famé de Yokohama (pourtant port civilisé), il s’est fait droguer (il n’a aucun souvenir de la fin de la journée). Il se réveille sur le pont du paquebot Carnatic (de Yokohama pour San Francisco), environ midi, la tête lui tourne, mais il respire l’air salin à pleines narines. Il réalise aussitôt : il est à bord du bateau qu’il attendait avec ou sans Fogg. Ses habits japonais accrochés au portique le trahissent (il s’est réveillé bizarrement vieux et habillé en paria). Il rassemble ses idées : hier au soir, Fix l’a emmené dans une “tabagie” opium à Yokohama (lui avait promis un verre, qu’il n’a pas vu venir). On l’a drogué, un rouquin en costume anglais l’a kidnappé et fait embarquer sur le Carnatic. Contre toute attente, Fogg et Aouda n’y sont pas. Quand Passepartout descend en hâte dans le salon, il réclame son maître au steward. Le purser répond : « Aucun passager nommé Fogg, madame une jeune dame, rien. » Passepartout palpite. Il consulte la liste des voyageurs : effectivement, ni Fogg ni Aouda. Epouvanté, il devine le complot de Fix (qui avait avancé le départ de ce Carnatic pour les retenir). Il se rappelle l’annonce de Fogg qu’il devait les prévenir. Cette terrible découverte le transperce d’un éclat : « Tant pis, s’il n’est pas là, il le paiera cher… » Mais toute sa rage retombe, il se met à dévier au fumet du déjeuner.

Chapitre XX – Dans lequel Fix entre directement en relation avec Phileas Fogg

7 novembre. Continuation. Fogg apprend par le capitaine du Rangoon que Passepartout est parti via Yokohama (les lettres de passeport montrant 550 livres de caution enlevées). Puis Aouda confirme que leur domestique a bel et bien débarqué avant eux. Fogg laisse Aouda à Hong Kong et repart immédiatement à Yokohama pour le rejoindre : il monte à bord du Carnatic vers midi, mais apprend aussitôt la nouvelle de P. Coup de théâtre : Fogg comprend qu’ils se sont perdus, mais ne flanche pas. Il prévient le consulat britannique. Fix, qui est là, essaie d’avouer la vérité pour gagner Passepartout (un four à question!). Mais Passepartout, persuadé que Fogg a été piégé, s’excuse platement, croyant se faire virer. Fogg le rassure froidement, lui offre assez d’argent pour acheter des billets vers l’Amérique.

Chapitre XXI – Où le patron de la « Tankadère » risque fort de perdre une prime de deux cents livres

Nuit du 6 au 7 novembre. Le pilote John Bunsby file sur la Tankadère vers le Japon. Fogg, en tenue de marin, observe impassible. Fix est sur le pont, muré dans sa planification : il comprend que Fogg va filer vers San Francisco via Yokohama, puis traverser en train les États-Unis. Le vent souffle, la mer gronde. Aouda, blottie avec Fogg, tremble d’effroi en admirant le rideau d’écume. Passepartout, enfermé, mange des riz/curry à satiété en repassant la scène. Bunsby fait preuve de cœur d’acier : à chaque occasion, il hisse toute la voile possible. Vers l’aube du 7, on devine les côtes japonaises. À 7h30, on entre dans la baie d’Yokohama. Fix décide de ne pas contredire ses alliés, mais bien de ne pas lâcher prise.

Chapitre XXII – Où Passepartout voit bien que, même aux antipodes, il est prudent d’avoir quelque argent dans sa poche

8 novembre. Passepartout, épuisé mais affamé, se décide à gagner des pièces. Il échange son costume européen contre une robe japonaise miteuse avec quelques sous en poche. Puis, déguisé, il mange dans une auberge pour reprendre des forces. Sans argent, son seul espoir est désormais d’accoster un bateau pour rentrer en Amérique. Mais il doute qu’on embauche un domestique français baragouinant du japonais. Sur le quai, il aperçoit alors un homme déambulant avec une grande affiche : la « Troupe japonaise acrobatique des Longs-Nez », qui part pour l’Amérique. Remarqués l’un comme chanteur, l’autre comme artiste, il se dit qu’ils peuvent les suivre : les représentations se donnent avant leur départ pour les États-Unis. Rebondissant, Passepartout les suit et entre sous le chapiteau de l’Honorable Batulcar (cirque d’un chef de saltimbanques).

Chapitre XXIII – Dans lequel le nez de Passepartout s’allonge démesurément

9–13 novembre. Dans la troupe des Longs-Nez, Passepartout retrouve le goût du spectacle : il chante quelques refrains français, au début timide, la foule japonaise est sceptique, puis hilare. Peu à peu, Passepartout s’empare du rôle de vedette, chantant « Ça ira, ça ira… La Marseillaise… Cadet Rousselle… » à tue-tête. Son accent étrange déclenche des fous rires. Charbon brûlé sur sa peau, un énorme nez factice en papier en appui (complément de déguisement « goélique »), il devient le pitre de la soirée. Ses compagnons gargarisent de constater la joie frénétique des Nippons ; Passepartout gagne un peu d’argent dans la boîte. Il apprend des bouts de japonais en chantant avec eux. Ce jeu lui redonne moral. Entre deux numéros, un Japonais attrape Passepartout par le bras : c’est William Batulcar (le patron de la troupe), qui lui propose d’embarquer avec eux sur le paquebot America, à destination de San Francisco (il veut un chef de piste). Passepartout accepte aussitôt. L’avant-dernier soir de leur spectacle, au salut final, Mrs. Aouda et Fogg, cherchés un instant par hasard, entrent sous le chapiteau. Fogg, froid sous le déguisement grotesque de son serviteur, reconnait son valet uniquement à son regard d’enfant. Paniqué, le nez de Passepartout se brise, il trébuche en bouleversant toute la scène comique, et se retrouve inconscient sur le plancher. Fogg s’élance pour le rattraper.

Chapitre XXIV – Pendant lequel s’accomplit la traversée de l’océan Pacifique

13 novembre. Au matin, sur le Carnatic, Fix réfléchit aux dernières péripéties : « Si Fogg s’enfuit en Amérique, je le suivrai jusqu’au bout… » Aouda, assise, s’affole en voyant son compagnon en colère débarquer sous le chapiteau. Cromarty explique la trahison de Fix : le détective a fait avancer le Carnatic d’un jour pour séparer Fogg de P. Passepartout, désorienté, n’évoque qu’un mauvais trip d’opium. Pendant ce temps, Fogg s’est installé avec Aouda sur le Carnatic. Ce même jour, 13 novembre, on atteint San Francisco. Depuis l’aube, on découvre la côte californienne puis la métropole portuaire. Le lieutenant Shere, chef de quai, accueille Fogg en excuse de la compagnie : l’escale sera payante. Fogg dépose Aouda à l’Astor House Hotel, puis court à la gare. Il a juste le temps de prendre un train pour Omaha (Union Pacific). La troupe Longs-Nez, sans Passepartout, embarque quant à elle sur le General Grant, cap’ sur New York. Pendant la traversée du Pacifique, les saltimbanques, rendus si pittoresques par Passepartout, font danser Fogg et Cromarty avec le désir de traverser US comme eux. Fogg, stoïque, ne discute pas. À San Francisco, les trois montent ensemble sur le train du Pacific Railroad.

Chapitre XXV – Où San Francisco se fait apercevoir, jour d’un rendez-vous

13–14 novembre. Arrivée triomphale à San Francisco. Dans la ville en fête, Fogg visite rapidement le port (bateaux à vapeur, quais noirs de monde), puis propose à ses compagnons de déjeuner en calèche vers le centre. Il évoque que le pari est en danger à cause des retards. Cromarty soupire mais n’ose répliquer au calme flegmatique de Fogg. On célèbre quand même : Fogg achète un déjeuner somptueux sur le Civic Railroad à 6 USD par tête. Ils descendent à un excellent hôtel américain, le Majestic Hotel. Là, Fogg sollicite le plus rapidement possible (toujours dans son silence d’airain) une place dans le train de 18h vers Omaha. On la lui trouve au « Windsor », sur la locomotive de l’Union Pacific. On monte dans le train pour Chicago dès le 14 novembre.

Chapitre XXVI – Dans lequel on prend le train de chemin de fer du Pacifique

15–18 novembre. Sur le transcontinental, Fogg, Cromarty et Aouda voyagent dans un wagon de luxe. La traversée de la plaine de l’Ouest américain commence. On croise des convois de chariots, des villes-frontières en construction. On s’arrête à Carson City (Nevada) où Cromarty et un officier (le général Duberby) offrent à Fogg leur hospitalité en échange de son histoire de sauvetage. On rigole en dégustant un whiskey. Le train repart au galop, courant devant les bisons fuyants. Au passage de nuit près de Reno, un raillerie de train rival : Fogg fixe simplement son accent britannique. 17 novembre à Cheyenne, on fait escale longue : c’est jour de Sabbat à Salt Lake City (Mormons). Les trois Anglais en profitent pour se joindre aux sermons des Mormons, qui reconnaissent la bonté et la bravoure de Fogg (« cet Américain » étrange). Le patriarche de l’église les invite à prendre un second petit-déjeuner en sa maison : on y voit Aouda féérie, on la confond avec une Mormone en route pour rejoindre de riches cousins à Londres (qui l’attendent). Là, Passepartout, absent depuis San Francisco, est retrouvé : il s’était improvisé chef de piste dans la troupe des Longs-Nez. Sereins, Fogg et Passepartout se retrouvent, s’expliquent sur l’empoisonnement (Fogg ne réprimande pas, sentant que le péril est passé) et conviennent de ne rien dire à Aouda. 18 novembre. Ils prennent ensemble le train de Chicago, sur l’Union Pacific rejointe par le Central Pacific. L’Amérique défile : déserts, montagnes et prairies se succèdent.

Chapitre XXVII – Où Passepartout a l’histoire des Mormons à vingt milles à l’heure

19–20 novembre. Dans le même wagon continuant vers Chicago. Passepartout, qui a fui Saint-Louis par peur des limiers, s’est replacé au service de Fogg (il lui avait cherché des billets en vain) ; aucun reproche n’est fait. Le long trajet de près de 1 900 km entre Salt Lake et Chicago déroule ses panoramas. Du mohair et des fourrures mormones défilent en vente, des inventions, des poésies. Fogg, comme à son habitude, ne discute pas les épisodes. Cromarty, Aouda, P. se chargent du divertissement. On parle de l’immense tâche d’élévation des rails (36 000 ouvriers asiatiques du Central Pacific). On célèbre le rôle d’Ogden Smith, grand cheminot moustachu. Le jour de Thanksgiving 1872, on traverse les Rocheuses, où tombe la neige. À chaque stop de 10 minutes, Passepartout interroge les autochtones : Cowboys, shérifs ou étudiants, toujours on vante Fogg : « Quelle gageure hardie ! » Le paysage devient féérique sous la poudreuse. Vers Cleveland (23 nov.), le vent chasse des nuages oranges ; le Mississippi parvient. Tout le monde respire la victoire tranquille.

Chapitre XXVIII – Où Passepartout échoue à parler raison

20 novembre. Chicago. Le train du Nord part immédiatement vers New York via le Lakeshore & Michigan Southern. Fogg et P prolongent le service. Hélas, le passage du lac Michigan confronte le train à une tornade violente. Le convoi fait un long arrêt de sûreté. L’heure tourne. Fogg, impassible, observe sa montre à la hâte. Aouda craint qu’on ne loupe le bateau pour le Havre, le China. Fogg pense logiquement : s’il rate ce transatlantique de 8 décembre, il faudra se débrouiller pour gagner l’Angleterre autrement (peut-être via Suez en sens inverse, ou payer un petit cargo). Passepartout, rongé par la peur de tout gâcher, se précipite auprès de Fogg : « Monsieur, excusez moi, mais si on loupait le bateau ? » Fogg lui répond simplement qu’ils feront comme il faudra. Passepartout, moins rassuré, insiste. Ce soir, le bâtiment est perdu : un autre navire, de Cracovie, fera la traversée !

Chapitre XXIX – De divers incidents sur les chemins de fer de l’Union

21–22 novembre. Traversée des États-Unis d’Est en Ouest, autre partie. Fogg et P reprennent le train de Chicago pour New-York, par Pittsburgh. En chemin, ils traversent la plaine du Kansas (rappelle le Far West des romans). À Buffalo, le train stoppe sous la tempête. Tous songeaient : « Allons, mille sabords », quand Fogg, derrière ses lunettes, assure que le bateau China de Boston est encore à temps : ils ont gagné 5 heures sur le planning. Resoumets cappuccino en vain. Les militaires africains les manquent en face. 22 nov. Ils arrivent à New-York en fin de matinée, avec 5 heures d’avance sur l’horaire initial (arrivée prévue le 24). Le voyage en Amérique continentale s’achève donc pleinement dans les temps. Fogg est encore dans les temps pour le China du 8 décembre. Il paie rapidement leurs billets au steamboat de Boston. Il respire enfin.

Chapitre XXX – Où Phileas Fogg simplement accomplit son devoir

25 novembre. Traversée New York – Halifax. Sur le China. Fogg, Aouda et Passepartout voyagent en première classe. Depuis le départ de Boston, Fix les suit toujours : le 24 novembre, les suit dans un train vers Montréal, puis choisit pour Halifax. Sur mer, le China arrive à Halifax le 1er décembre. Personne ne bouge ; Fogg ne nous inflige aucun discours patriotique. Aouda, seule comme toujours, pense aux périls passés en Inde, éprouve une douce sécurité. Chaque escale se fait à l’heure. Le 8 décembre, le China entre dans le port de Liverpool comme prévu.

Chapitre XXXI – Où l’inspecteur Fix prend les intérêts de Phileas Fogg sur un ton fort sérieux

Phileas Fogg est en retard de vingt heures sur son horaire après l’attaque des Indiens. L’inspecteur Fix l’aborde sérieusement : il lui rappelle qu’il doit impérativement être à New York le 11 décembre au soir pour prendre le paquebot. Comme Fogg confirme être vraiment pressé, Fix lui propose un moyen de rattraper huit heures perdues. Il s’agit d’un immense traîneau à voile sur rails, un drôle de chariot à grand mât et voilure, installé sur la neige des Grandes Plaines. Fogg se rend compte que c’est sa dernière chance : le vent d’ouest souffle fort et la neige est gelée. Il rencontre le conducteur, un Américain nommé Mudge, et en quelques instants ils concluent un accord.

Le départ est fixé à 8 heures du matin. Phileas Fogg grimpe dans le traîneau avec son serviteur Passepartout, Mrs Aouda et l’inspecteur Fix. Fogg, soucieux du confort de la jeune Princesse indienne Aouda, propose qu’elle reste à l’abri à Kearney sous la garde de Passepartout car le froid extrême des grands espaces la mettrait en danger. Mais Aouda, attachée à Fogg, refuse de se séparer de lui. Elle part donc aussi dans le traîneau.

À l’aube le traîneau glisse sur la neige comme un bateau sur l’eau. Les passagers sont serrés les uns contre les autres sous d’épaisses couvertures : le vent glacé les empêche de parler. La vitesse est prodigieuse – autour de quarante milles à l’heure – et Mudge, chef du véhicule, ajuste sans relâche la voilure. Phileas Fogg demeure calme et observe discrètement la manœuvre : on devine en lui d’anciens talents de marin. Parfois des loups affamés traversent la plaine et courent pour rattraper l’étrange engin, mais Passepartout, arme au poing, protège tout le monde.

Au bout de quelques heures, Fogg aperçoit des toits sous la neige : ils ont atteint la gare d’Omaha. Il règle généreusement Mudge, puis tous se précipitent vers la gare pour prendre un train. Grâce à ce merveilleux traîneau-grenouille, Fogg vient de rattraper le retard perdu, et son voyage peut continuer vers l’est. L’aventure du traîneau à voiles, glissant en silence sur la prairie gelée, laissera dans tous les esprits un souvenir ébloui et un sentiment de triomphe sur les obstacles.

Chapitre XXXII – Où Phileas Fogg engage une lutte directe contre le mauvais sort

À New York, Phileas Fogg réalise avec désespoir qu’il a manqué de 45 minutes le paquebot China, dernier espoir pour traverser l’Atlantique. Il examine le Bradshaw (guide des bateaux) : aucun autre navire partant immédiatement n’ira à Liverpool à temps. Tous sont trop lents, passent par d’autres ports, ou partent plusieurs jours plus tard. Passepartout est anéanti, persuadé d’avoir fait perdre le pari à son maître. Fogg, lui, reste imperturbable. En quittant le quai, il se contente de dire : « Nous aviserons demain. »

Le soir, Fogg, Mrs Aouda, Fix et Passepartout traversent l’Hudson en ferry et gagnent l’hôtel Saint-Nicolas. Fogg dort d’un sommeil parfait malgré tout, tandis que les autres passent une nuit blanche d’inquiétude. Au matin du 12 décembre, il ne reste que neuf jours quatorze heures avant la fin du délai. Phileas Fogg sait qu’avec un transatlantique rapide de la Cunard il aurait pu gagner Londres à temps, mais ce bateau n’est plus là… Il se décide à quitter l’hôtel seul pour chercher un bateau.

Il parcourt les quais de New York à la recherche d’un steamer à vapeur qui s’apprête à appareiller. Il remarque un paquebot élégant : c’est l’Henrietta, un navire à coque de fer en route pour Bordeaux, sans passagers. Son capitaine, Andrew Speedy, est un vieux loup de mer bourru, et refuse d’embarquer Fogg et ses compagnons, car il compte bien partir à l’heure. Fogg, imperturbable, propose d’énormes sommes d’argent pour le détour. Speedy insiste : son navire n’ira pas à Liverpool, même pour un prix double.

Devant l’impasse, Fogg saisit finalement une solution audacieuse : il propose au capitaine de l’envoyer à Bordeaux pour de l’argent. Speedy se ravise quand Fogg offre deux mille dollars par personne (quatre personnes !). Appâté, le capitaine finit par céder : si tous sont à bord à l’heure, il accepte l’énorme somme et partira. Ainsi, contre toute attente, Fogg affrète l’Henrietta pour traverser l’Atlantique. Le suspense reste entier : Fogg et son équipage vont embarquer sur ce navire, et aucun obstacle financier ne stoppe désormais sa détermination.

Chapitre XXXIII – Où Phileas Fogg montre qu’il demeure fidèle à ses habitudes

Le steamer Henrietta quitte New York à l’heure prévue. Pendant vingt heures de navigation, son capitaine Andrew Speedy reste enfermé dans sa cabine en colère : il proteste contre le changement de destination orchestré par Fogg. En fait, Phileas Fogg a mené un véritable coup d’éclat : il a soudoyé tout l’équipage, matelots et mécaniciens, pour qu’ils ramènent le bateau vers Liverpool au lieu de Bordeaux. Avec la complicité silencieuse des marins, Fogg a pris le commandement de l’Henrietta en lieu et place du capitaine.

Le lendemain midi, lorsque Fogg monte sur le pont pour prendre des repères, toute l’équipage est à son service. La voiture à vapeur file vers l’est à une vitesse régulière de onze à douze nœuds. Mrs Aouda suit les opérations en silence, anxieuse. Passepartout, toujours émerveillé par les tours de force de son maître, trouve la situation tout simplement admirable : son maître devenu capitaine, tenant tête à l’inflexible Speedy, le tout grâce à l’argent… Et le ton calme et méthodique de Fogg l’impressionne.

Ainsi, sans autre contretemps majeur, l’Henrietta continue sa traversée. Fogg est maintenant sûr de pouvoir finir son tour du monde : il suffit que la mer reste clémente et que la machine ne lâche pas. L’exploit du détournement de bateau s’est conclu et Fogg se comporte comme s’il avait toujours été marin. La confiance règne à bord, même si dans les cœurs flotte encore une petite inquiétude : arriveront-ils à temps au port anglais ? La navigation se poursuit inexorablement, rattrapant chaque heure manquée grâce à ce voyage en voilier mécanique.

Chapitre XXXIV – Où Passepartout a un moment l’occasion de faire un jeu de mots atroce

À leur arrivée à Liverpool, la police attend Phileas Fogg : l’inspecteur Fix l’arrête brusquement à la douane, persuadé d’avoir enfin capturé le voleur de banque. Fogg est menotté et enfermé dans une salle de l’agence des douanes, glacé mais impassible. Mrs Aouda est stupéfaite et en pleurs : on a arrêté l’homme qui l’a sauvée ! Fix, lui, se contente d’exécuter son devoir selon la loi.

Passepartout assiste impuissant à cette scène. Il sent le désastre complet : c’est sa faute à lui qui n’a pas informé son maître de l’identité de Fix. Si Fogg avait su qu’il s’agissait d’un policier chargé de l’arrêter, il n’aurait jamais pris sa suite à Liverpool. Passepartout se bourre de remords : il se croit responsable de cette débâcle, et le reproche à Fix aussi. Il est dévasté à l’idée que Fogg va rater son pari à cause de lui.

Dans la salle de la douane, Fogg reste calme. Il regarde sa montre, impassible. Il sait qu’il ne peut pas sortir avant la suite de la procédure. Il songe à tout ce qu’il a dépensé pour ce voyage, à tous les efforts vains, et le voilà arrêté juste avant le but. Il se demande s’il conservera un dernier espoir. À 14h00, il réalise qu’il pourrait encore arriver à Londres juste à temps. Son visage impassible se plisse à peine.

À 14h33, un vacarme retentit dehors. Passepartout, Fix et Mrs Aouda entrent en trombe : on apporte la bonne nouvelle. Le vrai voleur, James Strand, vient d’être arrêté à Édimbourg, innocentant Fogg. Fogg est libre ! Dès la porte ouverte, il s’élance vers Fix et, avec l’automatisme cruel de la justicier implacable, le frappe d’un double coup de poing. Passepartout s’exclame joyeusement une plaisanterie (un « jeu de mots atroce ») sur ces coups « bien anglais », pendant que Fix reste sonné au sol.

Sans perdre une minute, Fogg, Aouda et Passepartout montent dans un fiacre vers la gare de Liverpool. Il est 14h40. Ils demandent s’il reste un train pour Londres : celui de 14h05 est déjà parti depuis 35 minutes. Fogg ne se décourage pas : il commande un train spécial. À 15h00, le convoi démarre à toute vitesse vers Londres. La distance est longue, 354 km, mais il faut gagner ces cinq heures et demie restantes. Dans le wagon, on sent Fogg donner un regain de prime au mécanicien pour qu’il fonce.

Malgré quelques arrêts forcés, le train avale les rails. Quand ils arrivent à la gare Saint-Pancras, il est 20h50, soit 9h50 du soir, cinq minutes après l’heure limite du pari. Phileas Fogg a accompli son tour du monde… avec cinq minutes de retard. Il a perdu. Tous ses efforts, tous ses stratagèmes, n’ont servi à rien.

Chapitre XXXV – Où Passepartout n’a pas besoin qu’on lui répète deux fois l’ordre…

Après cette nuit tragique, Phileas Fogg rentre en silence dans sa maison de Savile Row, comme s’il n’était jamais parti. La maison est verrouillée, le quartier calme. Il envoie Passepartout acheter quelques provisions et rentre chez lui. Fogg garde son impassibilité habituelle, mais il est profondément accablé : ruiné par la faute de Fix, démuni après avoir bravé mille dangers, il ne lui reste presque rien. Sa fortune survivante n’est que ce qu’il doit à ses amis du Reform-Club. Son pari perdu lui fait perdre sa mise. Une très petite somme ! Il comprend qu’il est maintenant à l’extrémité de ce grand voyage qui échoue.

Mrs Aouda est terrassée. Fogg avait fait un grand sacrifice pour la sauver, envisageait même de lui léguer une partie de sa richesse. Elle sent que son maître est bouleversé. Le grand gentleman anglais, monomaniaque du pari tenu, semble prêt à commettre l’irréparable. L’épouse qu’il avait promise par gratitude à Aouda ne peut plus voir clair dans ses plans. Passepartout, lui, a la charge de veiller. Il monte faire le geste simple de couper l’électricité (éteindre la lampe à gaz), trouvant dans les lettres de provision que cette grand feu qui a brûlé pendant 80 jours coûte une fortune qu’il ne peut plus payer.

La nuit passe sans sommeil : Fogg descend mal, ne dînera pas, se consacre à mettre de l’ordre dans ses comptes. Il demande seulement à Passepartout de prendre soin du petit-déjeuner de Mme Aouda pendant qu’il s’isole dans ses papiers. Il reporte au soir la discussion importante qu’il veut avoir avec elle. Tous s’enferment dans leurs angoisses : la journée du dimanche est silencieuse à Savile Row, personne ne sort. Aouda répare le coup (ne se marie pas ce soir), Fogg perd le club, et Fogg lui-même décide de ne plus sortir.

Dans sa chambre, Fogg reste calme. Passepartout rôde dans le couloir, épiant par la serrure les moindres gestes de son maître. Il regrette cruellement de n’avoir pas tout dit plus tôt. À un moment, il ne tient plus et implore le pardon de Fogg, s’accusant de lui avoir causé ce malheur. Fogg le calme d’un ton toujours imperturbable : « Je n’accuse personne. »

Plus tard dans la soirée, Fogg envoie chercher Mrs Aouda pour lui parler en privé. Dans le salon, devant la cheminée, il lui demande pardon : il la suit de l’Inde en Angleterre pour la sauver, mais il n’a plus rien. Ruiné. Elle en est bouleversée, s’excuse à son tour d’avoir contribué involontairement à le retarder. Fogg lui explique qu’il comptait lui assurer un bel avenir avec son argent ; il ne reste plus grand-chose, mais il veut le mettre à son service. Elle lui demande ce qu’il fera. Malgré l’échec matériel, leur cœur se serre l’un contre l’autre.

Le chapitre 35 s’achève sur cette promesse muette : Mrs Aouda et Phileas Fogg sont désormais unis par la même épreuve. Fogg a perdu de l’argent, mais il a gagné autre chose : le désir de protéger et de remercier celle qu’il a sauvée. Le duo vit leurs derniers instants de doute dans cette maison vide, attendant le matin suivant pour affronter leur nouvelle vie ensemble.

Chapitre XXXVI – Où Phileas Fogg fait encore un tour de force à la Bourse

Durant ces jours d’attente, la Grande-Bretagne découvre la vérité. On apprend qu’un certain James Strand, arrêté le 17 décembre à Édimbourg, est le véritable voleur de la Banque d’Angleterre. En apprenant cela, l’opinion publique change du tout au tout : Phileas Fogg, qui était passé pour un criminel et qu’on avait accusé partout, devient soudain un héros. Il est de nouveau considéré comme « le plus honnête gentleman » accomplissant mathématiquement son voyage excentrique.

Dans les journaux, on ne parle plus que de cela : tout le monde s’arrache son nom, les paris sont relancés en masse. Ceux qui avaient renoncé à miser sur lui retrouvent espoir. Au Reform-Club, les cinq amis de Fogg vivent dans l’angoisse depuis trois jours. Où est-il donc ? Les 76 jours de voyage sont écoulés, il ne leur a laissé aucune nouvelle. Rentrera-t-il à temps le 21 au soir, comme le veut le pari ? On télégraphie à New York, à Bombay, on scrute les quais, on surveille son domicile de Savile Row, on guette Fix qui a mystérieusement disparu.

En quelques jours, les cotes sur Fogg grimpent aux bookmakers : on ne le cote plus à 100 contre un, puis 20, puis 10, puis 5… Tout le monde mise à nouveau sur sa victoire. C’est comme si, dans une ultime ligne droite, le cheval de course Fogg remontait tous les autres. Chaque minute qui passe fait naître une tension folle en Angleterre. Le chapitre 36 se conclut sur cette effervescence : tout Londres retient son souffle en attendant l’arrivée de Phileas Fogg.

Chapitre XXXVII – Où il est prouvé que Phileas Fogg n’a rien gagné à faire ce tour du monde, si ce n’est le bonheur

Enfin le dénouement dramatique arrive le samedi soir. Vers 20h05, Passepartout, encore chargé d’une course extraordinaire, fonce à toute allure dans la rue : il a un rendez-vous pour le mariage du lendemain. Il s’aperçoit que tout est décalé d’un jour ! Il vient d’apprendre par M. Samuel Wilson, le révérend chargé de marier Fogg et Aouda, que Fogg s’est trompé de date. En effet, arrivés le vendredi 20 décembre à Londres, ils croyaient être samedi 21, et se préparaient à se marier dimanche 22. C’est un énorme quiproquo : ils ont en fait gagné un jour sur le calendrier à cause du sens de leur voyage (ils sont allés vers l’Est).

En panique, Passepartout se précipite chez Fogg et raconte tout : « Impossible, demain c’est dimanche ! Non, aujourd’hui c’est samedi, on est vingt-quatre heures en avance… et il reste seulement dix minutes avant 20h45 ! » Fogg comprend qu’ils peuvent encore rattraper le pari et gagne la course finale. Sans attendre, il attrape un veston, quitte sa chambre, sa maison, saute dans un cab londonien, offre cent livres au cocher – plus tard il écrasera quelques chiens et accrochera cinq autres voitures. Il fonce à toute allure vers le Reform-Club.

L’horloge du club sonne 20h45 quand Phileas Fogg apparaît dans le grand salon, ruisselant de sueur et d’émotion. Il est pile à l’heure : son tour du monde est réussi ! Il a accompli sa course en quatre-vingts jours. Ses collègues éberlués voient Fogg, qu’ils pensaient vaincu, arriver triomphant.

Le récit explique alors la raison de l’erreur de Fogg : en voyageant vers l’est, il avait involontairement avancé sa montre d’un jour. Fogg avait bouclé l’itinéraire en 79 jours réels, mais comptait 80 jours civils. C’est pourquoi il croyait arriver le samedi 21 au lieu du dimanche, alors que ses amis attendaient bien le samedi 21.

Malgré ce succès, Phileas Fogg n’a presque rien gagné financièrement : il a dépensé environ 19 000 livres en cours de route, et la récompense n’était que de 20 000 livres de pari. À peine mille livres lui restent. Fidèle à son esprit chevaleresque, il donne ces mille livres à Passepartout et même à Fix (qu’il ne peut plus détester). Il retient seulement le prix du gaz dépensé.

Le soir même, Fogg pose la question qui a germé en lui depuis quelques jours : il demande à Mrs Aouda si elle consent toujours au mariage préparé. Elle lui répond qu’au contraire, elle lui doit pardon et le remercie de tout son cœur. Fogg lui dit que sa fortune, du peu qu’il lui reste, est désormais la sienne. Touchée, Aouda murmure « chère Aouda » en guise de mot de passe. Quarante-huit heures plus tard, la cérémonie a lieu : Passepartout, fier comme un coq, joue le témoin de la mariée.

Le lendemain, un brin naïf, Passepartout frappe à la porte : il a entendu dire qu’on aurait pu faire le tour du monde en 78 jours seulement, en évitant l’Inde. Fogg lui répond simplement : oui, mais dans ce cas il n’aurait pas sauvé Aouda, ne l’aurait pas épousée… et il ne regrette rien. Avec un calme absolu, il conclut que la seule chose précieuse qu’il a gagnée grâce à son voyage est le bonheur de cette femme qui fait de lui l’homme le plus heureux du monde. Ainsi se termine le récit : rien n’était plus précieux pour Fogg que cette récompense inattendue, bien au-delà de l’argent.


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