Vous retrouverez sur cette page deux résumés du roman américain l’Appel de la forêt de Jack London. 😉 Le premier est un résumé court qui tient sur une page 📄, tandis que le deuxième est détaillé pour chaque chapitre. Il existe aussi une analyse complète en cliquant sur le lien ci-dessous.


  1. 📘 Résumé court
  2. 📑 Résumé par chapitre
    1. Chapitre 1 : La loi primitive
    2. Chapitre 2 : La loi du bâton et de la dent
    3. Chapitre 3 : Buck prend le commandement
    4. Chapitre 4 : Les fatigues du harnais et de la route
    5. Chapitre 5 : Amitié
    6. Chapitre 6 : L’Appel résonne

📘 Résumé court

Tout commence dans la vallée ensoleillée de Santa Clara, en Californie. Buck, un splendide chien de grande taille, croisement entre un Saint-Bernard et un chien de berger écossais, vit une existence de rêve au domaine du juge Miller. Il est le roi du jardin, le maître incontesté de la maison. Sa vie est douce, rythmée par les jeux, les promenades et les caresses. Rien ne le prépare à ce qui l’attend.

Mais à plus de trois mille kilomètres de là, dans les terres glacées du Klondike, la ruée vers l’or bat son plein. Les hommes cherchent désespérément des chiens robustes capables de tirer des traîneaux à travers la neige. Buck est arraché à son confort et trahi par un domestique cupide. Il est vendu en cachette, sans ménagement, battu, transporté, enchaîné. Dans le train puis sur le bateau, Buck entre dans un nouveau monde, où la douceur n’existe plus. Il découvre l’homme au gourdin — un dresseur brutal — qui lui fait comprendre en une leçon terrible et définitive que, désormais, seule la force compte. « Le bâton et la dent » régissent les rapports.

La métamorphose commence. De chien domestiqué, Buck devient survivant. Jeté dans les grands froids, il apprend rapidement. Les crocs remplacent les jeux, les morsures deviennent un langage, et le vol de nourriture une nécessité. Il est vendu à deux Canadiens expérimentés, Perrault et François, qui l’intègrent à une meute de chiens de traîneau. Là, Buck découvre un univers où chaque jour est une lutte. Il apprend à dormir dans la neige, à détecter la trahison dans un regard, à se battre pour sa place. Il n’y a pas de pitié. Spitz, le chef de la meute, impose sa loi par la peur, mais Buck, plus intelligent, plus rusé, et animé d’une rage nouvelle, finit par le défier. Leur affrontement est féroce, sauvage, presque rituel. Buck en sort vainqueur. Il devient le nouveau meneur, respecté, obéi, admiré.

Sous sa direction, l’attelage devient plus rapide, plus efficace. Mais le monde des hommes est instable. Buck change de maîtres. Les kilomètres s’accumulent, les provisions s’épuisent, les chiens s’épuisent. Un trio désastreux, composé de Charles, Mercedes et Hal, prend possession du traîneau. Incompétents, arrogants, ils maltraitent les bêtes, les surchargent, les affament. Buck, désormais amaigri, abîmé, sent ses forces l’abandonner. Mais son instinct, toujours plus vif, le tient encore debout.

Un jour, au bord de la rivière, Buck refuse d’avancer. Hal, furieux, veut le battre à mort. C’est alors qu’un homme intervient : John Thornton. Il sauve Buck in extremis, le détache, le soigne. C’est un tournant décisif. Entre l’homme et le chien se tisse un lien d’une intensité rare. Buck découvre la fidélité profonde, l’attachement libre. Thornton ne commande pas, il aime. Et Buck, en retour, lui offre une loyauté absolue. Il sauve la vie de son maître à plusieurs reprises, tire des charges inimaginables pour le défendre, gagne un pari fou et fait gagner à Thornton une fortune. Ce n’est plus l’obéissance forcée qui le guide, mais un amour farouche, brut, sincère.

Mais au fond de lui, quelque chose d’ancien l’appelle. Dans ses rêves, Buck voit des images de forêts primordiales, entend des hurlements lointains, ressent un frisson archaïque. L’appel de la forêt, ancestral, irrésistible, grandit en lui. Il commence à disparaître, à explorer les bois, à chasser seul. Il rencontre un loup. Ils se reniflent, se défient, se reconnaissent. Quelque chose d’intime, de profond, résonne en Buck. Le passé du chien rejoint l’origine de l’espèce. La nature le réclame.

Mais Buck revient toujours à Thornton. L’amour est encore plus fort que l’appel. Jusqu’au jour où tout bascule.

Alors qu’il est parti plusieurs jours dans la forêt, Buck revient au camp pour découvrir l’horreur : Thornton et ses compagnons ont été massacrés par une tribu indigène, les Yeehats. Le choc est violent. Buck, déchaîné, laisse libre cours à une rage primitive. Il attaque, tue, venge. Puis, quelque chose se rompt. L’attache humaine est brisée. Il n’a plus de raison de rester.

Il disparaît alors dans la forêt. On raconte qu’un chien-loup hante les montagnes, qu’il guide une meute de loups avec autorité, qu’il chasse comme aucun autre, qu’il hurle la nuit avec une intensité qui glace le sang. C’est Buck, devenu légende. À la fois mémoire de l’homme et enfant de la nature.

Il revient chaque année au lieu où Thornton est mort. Il s’y allonge un moment, puis repart. Le lien n’est pas mort. Mais désormais, Buck appartient à la forêt. À la vie libre. Sauvage. Infinie.


📑 Résumé par chapitre

Chapitre 1 : La loi primitive

Buck, un chien puissant à moitié saint-bernard et colley, mène une vie confortable et noble dans la vaste propriété du juge Miller, en Californie. Roi incontesté du domaine, il se comporte en aristocrate, choyé par la famille et respecté de tous les autres chiens. Depuis quatre ans, Buck vit ainsi « l’existence d’un aristocrate blasé, parfaitement satisfait de soi-même et des autres », profitant des chasses et des baignades avec les enfants du juge. Il ignore tout des rumeurs lointaines de ruée vers l’or qui attisent la convoitise des hommes du Nord. En 1897, pourtant, dans tout l’Ouest américain, on recherche frénétiquement de grands chiens robustes pour tirer des traîneaux dans le Klondike glacé. Buck, avec sa fourrure épaisse et sa force, aurait su le danger s’il avait lu les journaux, mais comme le dit l’ouverture du roman, « Buck ne lisait pas les journaux et était loin de savoir ce qui se tramait vers la fin de 1897, non seulement contre lui, mais contre tous ses congénères ».

Un soir, profitant de l’absence du juge et de sa famille, un domestique sans scrupules nommé Manuel trahit Buck. Attiré hors de la maison sous prétexte d’une promenade, Buck est brusquement ligoté et enlevé. Il est vendu en secret pour une poignée de dollars. Commence alors pour lui une descente aux enfers : d’abord enfermé dans une caisse étouffante, il est expédié par train puis par bateau vers le Nord. Privé d’eau et de nourriture, Buck, furieux, tente de se libérer, mord et lutte de toutes ses forces, mais en vain. Arrivé à Seattle, affamé et assoiffé, il est extrait de sa cage par un homme à la chemise rouge. Ce dresseur brutal va lui enseigner la première leçon du Nord : la loi du bâton. Armé d’une massue, l’homme neutralise Buck qui se jette sur lui. Buck attaque de rage, mais chaque assaut est écrasé par un coup de bâton impitoyable. Bientôt, le noble chien gît ensanglanté, vaincu pour la première fois de sa vie. L’homme au maillot rouge l’apostrophe d’un ton bourru : s’il se conduit bien, tout ira bien, sinon « voici un bâton qui lui enseignera la sagesse ». Buck comprend alors que « Buck, vaincu, venait d’apprendre une leçon qu’il n’oublierait de sa vie : c’est qu’il ne pouvait rien contre un être humain armé d’une massue ». Malgré sa fierté intacte – jamais il ne rampera servilement comme d’autres chiens battus – Buck sait désormais qu’il doit obéir à plus fort que lui.

Chaque jour, de nouveaux chiens capturés arrivent, subissent à leur tour la dure correction du bâton, et Buck voit se confirmer cette loi primitive de soumission à la force brutale. Lorsque Buck a repris assez de forces, on le met en vente. Un matin, un petit homme vif aux manières étranges – un Canadien français nommé Perrault – apparaît et s’extasie devant Buck : « Sacré mâtin !… Le diable m’emporte !… Combien ? ». Quelques instants plus tard, Buck est vendu pour trois cents dollars et confié à Perrault, messager du gouvernement canadien. Perrault achète également une chienne nommée Curly, puis embarque ses deux acquisitions précieuses sur un navire en partance pour le Grand Nord.

Sur le paquebot Narwhal, Buck découvre la compagnie de deux autres chiens déjà rompus à la vie d’attelage. L’un est un grand chien blanc du nom de Spitz, au caractère sournois : dès le premier repas à bord, Spitz vole effrontément la ration de Buck, ce qui lui vaut un coup de fouet de François, le collègue de Perrault, pour rendre le « butin mal acquis ». Buck en conçoit du respect pour ces deux hommes justes et expérimentés – Perrault et François – qui traitent les chiens sévèrement mais loyalement. L’autre chien, Dave, est taciturne et indifférent à tout sauf à manger et dormir. Tandis que le navire progresse vers le nord, la température chute ; Buck n’a jamais connu un tel froid. Enfin, le Narwhal accoste en Alaska. Lorsqu’on le débarque, Buck pose ses pattes sur une surface blanche, molle et froide qui s’enfonce sous lui. Intrigué et surpris, il goûte cette chose inconnue : c’est glacé et cela fond sur sa langue. C’est la neige – Buck la voit pour la première fois de sa vie.

Chapitre 2 : La loi du bâton et de la dent

Dès sa première journée sur la grève de Dyea, Buck est plongé en plein chaos. Arraché brutalement au confort de Santa Clara, il se retrouve « sans transition rejeté du cœur de la civilisation au centre même de la barbarie ». Partout autour de lui, des dizaines de chiens de traîneau aboient, se battent et hurlent comme des loups. Ici, règnent la violence et l’urgence de la survie : ni paix ni repos, seulement la loi du bâton et de la dent. Buck assiste d’abord à un spectacle sanglant qui le marque à jamais. Curly, la chienne amicale qui voyageait avec lui, s’approche innocemment d’un grand chien husky pour le saluer. En une fraction de seconde, l’étranger lui saute à la gorge et lui fend la face. Curly riposte, mais le husky la renverse au sol d’un choc brutal. Aussitôt, une meute de chiens sauvages se rue sur Curly à terre. Avant que Buck comprenne, la pauvre chienne disparaît sous une masse hurlante de crocs et de fourrures. François accourt avec une hache et, aidé d’autres hommes, disperse les assaillants à coups de bâton, mais il est trop tard : deux minutes après le début de l’attaque, Curly gît sans vie sur la neige ensanglantée. Bouleversé, Buck comprend qu’ici celui qui tombe est perdu. Jamais il n’oubliera la leçon de la mort tragique de Curly.

Buck remarque surtout l’attitude de Spitz pendant ce drame : le grand chien blanc, loin d’être choqué, darde sa langue rouge en un rictus moqueur – sa façon de rire. Buck ressent alors pour Spitz une inimitié farouche. Spitz est le chef de l’attelage de Perrault et François, un vétéran dominateur habitué à régner sur les autres chiens. Buck, fier et indompté, ne se soumettra pas facilement à lui. Une rivalité sourde naît entre les deux mâles.

Cependant, Buck doit d’abord apprendre à survivre dans ce nouvel environnement glacial. François l’attelle dès le lendemain au traîneau en compagnie de Spitz, Dave et des autres chiens de la meute. Au début, tout lui est inconnu : courir toute la journée dans la poudreuse, répondre aux ordres oraux (« Mush ! En avant ! ») et aux coups de fouet, s’arrêter, virer en courbe sans s’emmêler… Dave, qui court derrière lui, et Spitz, le leader devant, le corrigent à la moindre erreur à coups de dents. Buck encaisse ces morsures et réprimandes en silence, déterminé à apprendre vite. En quelques jours d’efforts acharnés, il devient un chien de trait accompli. Il ignore encore beaucoup de choses pratiques – comme l’art de dormir dans la neige sans geler – mais observe ses compagnons et s’adapte. Une nuit, épuisé, Buck cherche en vain un abri contre le froid mordant : le campement ne comporte ni niche ni feu pour les chiens. Désespéré, il finit par se jeter sur un creux laissé dans la neige… et y découvre Billee, un chien de l’attelage, blotti bien au chaud sous la couche blanche. Imite ses camarades, Buck se creuse alors un « lit » dans la neige et s’y roule en boule jusqu’au matin, sauvant ses forces.

La vie est rude : la ration quotidienne de chaque chien est limitée à une portion de poisson séché, et Buck, plus grand que les autres, a toujours faim. Il s’endurcit, perd son gras de chien domestique et gagne en muscles secs. Très vite, la nécessité lui fait perdre ses scrupules de bien élevé. Buck apprend à voler de la nourriture pour combler sa faim. Un jour, il subtilise discrètement du lard dans la réserve sans se faire prendre. Buck « ne volait pas par goût, mais seulement par besoin, en secret et adroitement, par crainte du bâton ou de la dent ». De même, il engloutit sa ration de plus en plus vite pour ne pas se la faire dérober par plus prompt que lui. Toutes ces ruses, il les adopte en observant ses congénères plus expérimentés. Ainsi, en peu de temps, Buck retrouve l’instinct de ses ancêtres sauvages : il devient plus dur, plus rusé, plus féroce au besoin. La transformation a commencé : la civilisation cède en lui la place à l’animal primitif. La nuit, sous les étoiles glacées, Buck se surprend même à lever le museau et à pousser de longs hurlements comme un loup, un appel ancestral qu’il ne comprend pas encore mais qui vibre en lui.

Au fil des jours, les affrontements se multiplient avec Spitz. Le chef estime qu’il faut mater ce nouveau venu orgueilleux. Buck, de son côté, n’a pas oublié le ricanement de Spitz devant la mort de Curly et n’attend que l’occasion de régler son compte à ce tyran. Leur animosité éclate à propos de tout et de rien : une querelle pour une place au couchage, une dispute autour d’un lapin chassé par les chiens… Buck provoque ouvertement Spitz en s’interposant constamment et en galvanisant les autres chiens contre lui. Spitz riposte avec dureté, punissant sévèrement les récalcitrants. La tension monte à mesure qu’ils parcourent des centaines de kilomètres à travers l’Alaska gelé, de campement en campement.

Chapitre 3 : Buck prend le commandement

L’occasion du duel à mort entre Buck et Spitz arrive lors d’une chasse au lapin neigeux. Par une nuit de pleine lune, aux abords du lac Bennett, toute la meute est excitée par la poursuite effrénée d’un lièvre à travers la neige. Buck, plus rapide, distance Spitz et s’apprête à saisir la proie, galvanisé par l’instinct de chasse. Mais Spitz, calculateur, profite d’un moment d’inattention de Buck pour lui couper la route. Il jaillit de côté et attrape le pauvre lapin sous les yeux de Buck. Fou de rage, Buck se jette alors sur Spitz. Le combat final est engagé, celui qui décidera du maître à bord.

Les autres chiens forment spontanément un cercle autour des deux adversaires, silencieux et haletants, comme un arène vivante. Buck et Spitz se tournent autour, crocs découverts. Spitz, champion aguerri des batailles du Nord, attaque le premier. Buck est blessé à l’épaule par un coup de croc éclair, puis à la patte – Spitz est plus rapide qu’il ne le pensait. Buck change de tactique : il feint l’épuisement, incitant Spitz à se jeter sur lui. Au moment où Spitz bondit pour l’achever, Buck esquive et, d’un élan puissant, heurte Spitz aux jambes. L’adversaire est déséquilibré et s’écroule. Aussitôt Buck se rue à la gorge de Spitz. Le cercle des chiens se resserre, prêt à fondre sur le vaincu. Spitz, brisé, tente de se relever, mais Buck lui broie impitoyablement une patte. Le grand chien blanc s’affaisse une dernière fois. En une seconde, la meute jusque-là passive se jette sur Spitz agonisant. Buck recule et s’éloigne, laissant ses camarades régler son compte à son ennemi juré. En quelques instants, Spitz est déchiqueté – victime, comme Curly avant lui, de la loi féroce du cercle. Buck, couvert de plaies mais vainqueur, reste seul chef.

À l’aube, Buck arrive boitillant au camp. Il a triomphé de Spitz et s’attend à prendre naturellement la tête de l’attelage. Mais François et Perrault, ignorants du drame nocturne, cherchent Spitz pour le harnais du chef de file. Comprenant la situation, ils décident de promouvoir un autre chien, Sol-leks, à la place de Spitz. Buck refuse catégoriquement cette injustice : il s’interpose, grogne dès qu’on approche Sol-leks de la position de tête et esquive tous les coups de fouet. Jamais encore il n’a défié ainsi l’autorité des hommes, mais cette fois son heure est venue. Il a tué Spitz, Buck s’estime en droit de mener la meute. Ni les cris ni le bâton brandi ne le font céder – Buck se souvient de la massue de l’homme en rouge et reste hors de portée, hors d’atteinte, mais déterminé. Les deux hommes ont beau pester et courir après lui, Buck esquive avec agilité. Finalement, Perrault comprend l’extraordinaire chien qu’il a sous les yeux et ordonne à François de ranger le bâton : « Jetez le bâton » dit-il simplement. Aussitôt Buck s’avance, frétillant, vers sa place légitime à la tête de l’attelage. François, bon joueur, sourit et l’attelle en tête.

Dès ce jour, Buck révèle des qualités de chef exceptionnelles. Sous ses ordres, la cohésion et la discipline de l’équipe deviennent exemplaires. Plus besoin du fouet – Buck maintient l’ordre par son seul prestige et quelques coups de crocs bien placés. Les autres chiens l’acceptent, même les plus grognons comme Joe, car Buck se montre à la fois juste et implacable. Le résultat est spectaculaire : le traîneau file plus vite que jamais sur la piste glacée menant vers l’est. Perrault et François exultent, fiers de leur nouveau leader. Ils doivent bientôt se séparer de leurs chiens, mission accomplie, mais louent Buck avec enthousiasme en le comparant aux meilleurs : « Il n’y a jamais eu un chien comme Buck, non jamais ! Il vaut mille dollars… » s’écrie Perrault, confiant que Buck permettra d’atteindre des records de vitesse. En effet, grâce à Buck, ils rattrapent le temps perdu et atteignent finalement Dawson bien plus tôt que prévu.

Après quelques semaines à sillonner le Yukon gelé, Perrault et François reçoivent de nouveaux ordres et doivent céder leur attelage. Le gouvernement vend Buck et ses compagnons à un “courrier” (facteur) canadien chargé de transporter le lourd courrier du Klondike. Commence alors pour Buck une période exténuante. Jour après jour, lui et l’équipe parcourent de longues étapes sur des pistes difficiles, tirant des sacs de lettres à travers la toundra. L’hiver est glacial, la charge pesante, les repos rares. Buck continue d’imprimer son esprit de solidarité et de courage à la meute, mais tous s’épuisent à la tâche. Dave, l’ancien limonier, tombe malade et souffre terriblement sans vouloir abandonner le harnais. Stoïque, il refuse de rester dans le traîneau et insiste pour reprendre sa place, au point qu’on finit par le laisser courir jusqu’à ce qu’il s’effondre. Le lendemain, le conducteur est contraint d’abattre Dave d’une balle de revolver pour abréger ses souffrances. Buck entend le coup de feu et comprend, le cœur lourd, qu’un de ses fidèles compagnons vient de mourir au travail. Le rude quotidien de la vie d’attelage se dévoile ainsi dans toute sa cruauté.

Chapitre 4 : Les fatigues du harnais et de la route

Après cinq mois d’un effort ininterrompu, Buck et les autres chiens atteignent finalement la ville de Skagway. Ils ont parcouru plus de 2 500 milles (4 000 km) en un temps record, n’ayant eu que quelques jours de repos. Exténués, blessés, squelettiques, les animaux peuvent à peine tenir debout. Buck lui-même a perdu la moitié de son poids. Il traîne péniblement les pattes, tout comme ses camarades Pike, Sol-leks ou Dub qui boitent et souffrent de multiples foulures. Jamais Buck n’a connu une telle fatigue : c’est une lassitude profonde, une usure accumulée qui ne se guérit pas en quelques heures. L’équipe a bien mérité du repos.

Mais le destin ne l’entend pas ainsi. À peine trois jours après leur arrivée, alors que les chiens dorment encore de tout leur soûl, survient un trio de chercheurs d’or inexpérimentés : Hal, un jeune homme de 19 ans armé jusqu’aux dents, son beau-frère Charles, quadragénaire aux yeux larmoyants, et Mercédès, la sœur de Hal et épouse de Charles. Ces trois “cheechakos” (nouveaux venus) décident d’acheter l’attelage épuisé pour une somme dérisoire. Buck voit avec appréhension ces maîtres brouillons prendre possession du campement. Très vite, il est évident qu’ils n’ont aucune idée de la façon de conduire un traîneau ni de survivre dans le Nord impitoyable. Leur camp est un véritable capharnaüm : au moment de repartir, ils entassent sur le traîneau une montagne insensée de bagages – vaisselle, vêtements en trop, tente volumineuse – ignorant les moqueries des autres voyageurs plus aguerris. Mercédès, bien que douce de prime abord, complique les choses en voulant superviser le chargement et en exigeant toutes sortes de conforts inutiles.

Lorsque Hal crie le départ, les chiens exténués s’arquent de toutes leurs forces… mais le traîneau surchargé refuse de bouger d’un pouce. Hal, furieux, fouette brutalement l’attelage pour le faire avancer. Mercédès, choquée, s’interpose en larmes en suppliant qu’on n’abatte pas les « pauvres chéris ». Une dispute éclate entre le frère et la sœur. Des passants compatissants interviennent : vos chiens sont fourbus, leur disent-ils, et votre chargement bien trop lourd. Hal, buté, refuse d’écouter et redouble de coups de fouet, forçant les bêtes exténuées à un ultime effort. Finalement, un spectateur lui conseille de briser les patins du traîneau collés par la glace au sol. En suivant ce conseil, le traîneau finit par se décoincer et part d’un coup dans une descente. Hal, mauvais conducteur, le renverse aussitôt. Le chargement vole en tous sens, éparpillant sur la neige vivres et équipements sous les rires de la foule. Hal est bousculé, piétiné, Mercédès affolée. Cette pitoyable scène force enfin le trio à revoir ses plans. Devant les regards goguenards des témoins, ils acceptent de réduire drastiquement leurs bagages. Mercédès pleure toutes les larmes de son corps lorsque son mari et son frère la contraignent à laisser là la plupart de ses robes et couvertures superflues. Malgré ces sacrifices, le traîneau reste encore trop chargé. Qu’importe, se disent-ils, si la charge est lourde, il suffit d’ajouter des chiens ! Ils achètent à la hâte six chiens supplémentaires, portant l’attelage à quatorze. Mais c’est une erreur de plus : ces nouveaux animaux sont des chiens ordinaires, non entraînés, incapables de fournir un réel renfort. Les quatorze chiens ensemble sont moins efficaces que l’équipe initiale épuisée. Bientôt, la nourriture vient à manquer car Hal et Charles, mauvais prévoyants, ont suralimenté les bêtes au début puis réduit brutalement les rations. Les chiens, trop nombreux, crèvent de faim sur la piste verglacée.

Commence alors un calvaire interminable. Buck et ses camarades titubent de fatigue et de malnutrition. Mercédès, qui d’abord s’apitoyait sur eux, en vient, sous l’effet de sa propre souffrance, à se faire charger sur le traîneau au lieu de marcher. Ses 55 kg s’ajoutent au poids déjà déraisonnable que doivent traîner les pauvres bêtes. Hal et Charles, exaspérés, la déposent un jour de force sur la neige pour qu’elle avance à pied ; mais la jeune femme se laisse choir en sanglotant et ils doivent la rembarquer plus loin. Le trio se chamaille sans cesse, chacun accusant l’autre de paresse et d’incompétence. Sous la neige épaisse, la piste se perd ; ils errent au hasard, sans plan, gaspillant leurs forces. Un à un, les chiens s’effondrent. La ration de viande se termine, et très vite Hal n’a plus rien à donner à l’attelage. Aux environs de Five Fingers, dans le Yukon, ils sont réduits à troquer le dernier pistolet de Hal contre quelques kilos de cuir de cheval congelé auprès d’Indiens locaux. Buck et les autres mâchent ce vieux cuir dur et rance – de la peau d’un cheval mort de faim – qui ne les nourrit guère mais les maintient en vie.

Par pur entêtement, Hal pousse toujours plus loin vers l’inconnu. Buck avance machinalement en tête, tel un automate pris dans un cauchemar. Sa belle fourrure jadis brillante pend maintenant en lambeaux souillés de boue et de sang séché. Ses côtes saillent sous sa peau flasque. Les autres chiens ne sont guère en meilleur état, traînant misérablement leurs carcasses décharnées. Ils ne sont plus que sept lorsque Billee, le gentil husky, s’écroule de fatigue pour ne plus se relever. Hal, ayant sacrifié son revolver, s’avance avec sa hache et achève Billee d’un coup sec sur le crâne. Il jette ensuite le corps sur le côté sans aucun ménagement. Horrifiés, Buck et les survivants comprennent qu’ils risquent le même sort. Le lendemain, c’est un des nouveaux chiens (Koona) qui meurt, réduisant l’attelage à cinq : Buck, Sol-leks, Joe, Pike et Teek. Ces derniers squelettes vacillent sur leurs pattes, insensibles aux coups tant leur épuisement est absolu. Seule la terreur du bâton les force encore à se relever de temps à autre pour avancer de quelques pas avant de retomber, pantelant.

Un jour gris et froid, la misérable caravane émerge titubante d’une forêt pour atteindre le campement d’un homme seul, John Thornton, installé près de la rivière White. John Thornton, un vétéran du Klondike aux manières franches, se remet là de gelures aux pieds en attendant ses compagnons. Il voit arriver avec stupéfaction cette troupe à l’agonie : Mercédès en larmes sur le traîneau, Charles titubant derrière, Hal fouettant frénétiquement les cinq chiens squelettiques. Thornton, indigné, les met en garde : la glace de la rivière, à peine prise, est sur le point de céder avec le dégel du printemps. Il leur déconseille vivement de la traverser. « La glace est à la veille de disparaître… Pour moi, je ne risquerais pas ma peau sur cette glace, quand on me promettrait tout l’or de l’Alaska ! » lance-t-il. Mais Hal refuse de l’écouter. Obsédé par l’idée d’atteindre Dawson coûte que coûte, il balaie les avertissements de John. Ce dernier sait qu’il a affaire à des fous imperméables au bon sens. Résigné, il reprend son ouvrage, non sans murmurer qu’on les a prévenus.

Hal ordonne alors le départ immédiat. Mais les chiens, à bout, se couchent dans leurs harnais et refusent obstinément d’avancer. Seul un fouet ou un bâton pourrait les contraindre, car depuis longtemps ils ne répondent plus à la voix. Hal, rageur, brandit son gros bâton et commence à frapper Buck avec acharnement. Le pauvre chien est trop épuisé pour bouger. John Thornton, qui observe la scène, ne peut contenir sa colère. « Si vous touchez encore à ce chien, je vous tue ! » hurle-t-il, la voix. Hal, surpris, se tourne vers lui, la mâchoire sanglante (il vient d’être bousculé et s’est mordu la langue). Il proteste violemment : Buck est sa propriété et il le fera marcher « ou qu’il dise pourquoi ». Le ton monte. Fou de rage, Hal dégaine un long couteau de chasse pour intimider Thornton. Mercédès se met à crier, persuadée qu’une tragédie va se produire. Mais John Thornton est plus rapide : d’un coup sec, il frappe le poignet de Hal, qui lâche le couteau, et ramasse l’arme. Sans un mot, Thornton se penche alors sur Buck gisant dans le harnais et tranche les courroies de cuir qui le retiennent au traîneau. Buck est libre. Hal, déconfit, a perdu son arme et tient à peine debout ; il capitule. De toute façon, pense-t-il, Buck est quasiment mourant et ne leur serait plus d’aucune utilité. Il préfère fuir avec les quatre chiens restants plutôt que d’affronter le regard meurtrier de Thornton. Charles et Mercédès, terrifiés, s’éloignent aussi. Bientôt, tous trois s’engagent obstinément sur la rivière gelée avec l’attelage survivant, malgré les supplications de Thornton qui les conjure une dernière fois de renoncer.

Buck, étendu sur le sol, voit ses anciens compagnons s’éloigner péniblement sur la grande nappe blanche. Il lève faiblement la tête, trop las pour bouger. À ses côtés, John Thornton s’agenouille et pose une main rugueuse mais infiniment douce sur lui, cherchant d’éventuelles. Il ne trouve que des contusions, des plaies et une maigreur squelettique – Buck est sauf, bien qu’extrêmement faible. Soudain, un craquement sec retentit dans le lointain. John et Buck tournent la tête vers la rivière : à un quart de mille, la surface glacée s’effondre brusquement sous le traîneau de Hal. Dans un fracas assourdissant, l’attelage et les humains basculent dans les eaux noires. « Bêtes et gens disparurent… la glace s’était rompue sous leur poids ». En un instant, Hal, Charles, Mercédès et les chiens restants sont engloutis. De la rive, John Thornton et Buck regardent, abasourdis, le vide soudain sur la rivière où leurs infortunés prédécesseurs ont disparu pour toujours. Buck comprend confusément qu’il vient d’échapper à une mort atroce. Il tourne vers Thornton un regard empreint de reconnaissance. L’homme soupire : « Pauvre diable ! » murmure-t-il en parlant de Hal et des siens. Buck, en réponse, lui lèche la main faiblement. Entre le chien et l’homme vient de naître un lien indéfectible, scellé dans l’épreuve.

Chapitre 5 : Amitié

Soigné par John Thornton, Buck recouvre progressivement ses forces sur le camp de la White River. C’est le printemps ; la nature renaît et Buck goûte un repos réparateur qu’il n’a jamais connu. Il passe de longues journées étendu au soleil près de la cabane de Thornton, à écouter le murmure de la forêt et le gargouillis du torrent, tandis que ses muscles se regonflent et que son pelage reprend du lustre. Deux autres chiens vivent avec John : Skeet, une chienne irlandaise douce qui lave affectueusement les plaies de Buck, et Nig, un gros chien noir au caractère enjoué. Buck découvre auprès d’eux et de John un foyer chaleureux. Il s’attache profondément à cet homme bienveillant qui lui a sauvé la vie. Pour la première fois, Buck éprouve un amour vrai, profond et passionné pour un maître humain. Au juge Miller, Buck avait été un compagnon loyal, mais jamais il n’avait aimé ainsi. Avec John Thornton, le lien est presque fusionnel : Buck le suit partout, le regarde avec adoration, prêt à tout pour lui plaire. Cet « admirable attachement du chien pour l’homme », ardent et exclusif, brûle désormais en Buck. John, de son côté, traite Buck comme son enfant préféré, le gratifiant de tapes affectueuses et de paroles bourrues que Buck prend pour des compliments. Loin de Santa Clara, dans la rude vie du Nord, l’homme et l’animal partagent un lien sincère et pur.

Buck manifeste son affection de façon singulière : parfois, dans un élan d’amour irrésistible, il approche sans bruit et referme doucement ses mâchoires sur la main de Thornton. Il ne serre pas à faire mal, juste assez pour sentir le contact, puis relâche en fixant John de ses yeux d’or. John a compris que ce mordillement est la façon qu’a Buck de “dire” je t’aime. Si d’autres mains que celles de Thornton en ressortent un peu meurtries, lui sait que derrière ce geste se cache le cœur débordant de tendresse de Buck. Touché, John répond par un juron affectueux ou une caresse sur la tête, ce qui comble Buck de joie.

Le courage et la loyauté de Buck envers Thornton se vérifient vite. À Circle City, lors d’une altercation dans un bar, un individu querelleur s’en prend à John en le frappant. Buck, qui somnolait au fond de la salle, surgit comme un éclair : « un véritable hurlement de loup se fait entendre… C’est Buck qui, d’un bond prodigieux, a franchi toutes les têtes » . Il se jette à la gorge de l’agresseur et le renverse lourdement, manquant de lui trancher la carotide. Il faut l’intervention de John lui-même pour rappeler Buck avant qu’il n’achève l’homme à terre. L’histoire de cette défense farouche se répand dans la région : on parle du chien de Thornton avec respect, et plus personne n’ose élever la main sur John en présence de Buck.

Plus tard, lors d’une expédition en rafting, John Thornton tombe accidentellement dans les rapides d’une rivière déchaînée. Sans hésiter, Buck plonge dans l’eau glacée pour le secourir. Il lutte contre le courant furieux, rejoint tant bien que mal son maître qui se noie, et lui permet de s’agripper à lui. Ensemble, ils sont emportés en aval, submergés à maintes reprises par les flots. Les deux compagnons de John parviennent finalement à les repêcher avec une corde. Exténué, Buck perd connaissance sur la berge, trois côtes fêlées, à moitié noyé. John, dès qu’il reprend vie, s’empresse de soigner Buck avec une infinie gratitude – il sait qu’il lui doit la vie. La prouesse de Buck force l’admiration de tous les prospecteurs présents : jamais on n’a vu chien plus dévoué.

Quelques mois passent. En cette fin d’hiver, John Thornton et Buck ont gagné le respect de la communauté du Yukon. Vient alors l’épisode du pari du traîneau, qui va encore accroître leur renommée. Un soir à Dawson, dans un saloon, John prend la défense de Buck dans une discussion. Un riche chercheur d’or affirme qu’aucun chien ne pourrait démarrer à lui seul un traîneau chargé d’une lourde cargaison. John, piqué au vif, déclare que Buck en est capable. Des paris s’engagent aussitôt. Un dénommé Matthewson mise mille dollars en poudre d’or que Buck échouera. La mise est énorme. Les amis de John, dubitatifs, l’aident à réunir la somme nécessaire pour couvrir le pari : ils rassemblent tout leur avoir, soit deux cents dollars, et un certain O’Brien lui prête le complément. Six cents dollars sont finalement alignés contre les mille de Matthewson – car l’enjeu est ajusté : Buck devra tirer un traîneau de cinq cents kilos sur cent mètres. L’épreuve attire une foule de curieux sur la grande rue glacée de Dawson.

On attelle Buck seul devant un lourd traîneau chargé de sacs de farine, figé dans la neige durcie. Le public retient son souffle. John Thornton s’agenouille auprès de son chien, lui caresse les oreilles et lui murmure doucement : « Fais cela pour moi, Buck, pour l’amour de moi !… ». Buck, comprenant à demi, halète d’excitation, le regard rivé sur son maître. « Maintenant, Buck ! » lance John d’une voix vibrante. Buck s’arc-boute de toutes ses forces. Le traîneau ne bouge pas d’abord. On craint qu’il soit gelé au sol. Buck grogne, patine, ses coussinets saignent sur la glace – puis le traîneau frémit, les patins craquent et se décollent brusquement. Sous les vivats, Buck fait lentement glisser le traîneau, pas à pas, puis prend de l’élan. Cent mètres plus loin, il s’arrête au commandement de John, la tâche accomplie. Buck a gagné le pari, contre toute attente. La foule éclate en acclamations. John enlace la tête de son chien, ému aux larmes, tandis que Matthewson, fair-play, dépose dans ses mains le sac d’or promis. Un riche homme d’affaires offre même d’acheter Buck sur-le-champ pour $1200, mais Thornton refuse avec un sourire fier. Ce triomphe rapporte à John et ses partenaires six cents dollars gagnés en cinq minutes. Soudain à l’aise financièrement, John Thornton peut réaliser un vieux rêve : partir à la recherche d’une mine d’or légendaire nichée au cœur des terres sauvages.

Chapitre 6 : L’Appel résonne

Au printemps suivant, Buck accompagne John Thornton et ses deux amis, Hans et Pete, dans une aventure hors des pistes connues. Guidés par des rumeurs et leur instinct, ils s’enfoncent à travers forêts, montagnes et rivières inconnues, en direction de l’Est, là où selon la légende un chercheur solitaire aurait jadis trouvé une fabuleuse mine d’or. Des mois durant, le petit groupe voyage et finit par atteindre une vallée reculée, vierge de toute présence humaine. Un ruisseau y charrie d’innombrables pépites et une poudre d’or en abondance. Thornton et ses compagnons ont trouvé “la mine fabuleuse” de leurs rêves. Ils installent leur camp près d’un étang dans cette vallée perdue et se mettent fiévreusement à la prospection. Jour après jour, ils tamisent le sol et remplissent des sacs entiers du précieux métal jaune, amassant des milliers de dollars en or. Pour eux c’est la fortune, et ils travaillent avec ardeur.

Buck, lui, mène une existence libre autour du camp. Aucun travail ne lui est demandé hormis chasser du gibier frais à l’occasion pour nourrir la petite équipe. Les hommes, absorbés par leur orpaillage, laissent Buck vagabonder à sa guise dans la nature sauvage. Le chien ressent alors avec une force croissante l’attraction de la forêt antique autour de lui. L’Appel de la forêt – ce mystérieux instinct hérité de ses ancêtres loups – retentit chaque nuit un peu plus fort dans son être. Buck passe de longues heures immobile, tête levée, oreilles dressées, à écouter les bruits du vent dans les cimes, à humer les odeurs musquées de la terre vierge. Son sang pulse au rythme de ce monde sauvage.

Bientôt, Buck commence à s’éloigner toujours plus loin du camp. Il part seul explorer les bois pendant des jours entiers. Redevenu chasseur, il course des lièvres, débusque des oiseaux. Une fois, il affronte même un énorme ours noir qu’il blesse mortellement avec ruse, non sans récolter quelques cicatrices. Sa force est à son apogée : bien nourri, totalement musclé et aguerri, Buck est redevenu un animal primordial, aussi habile sur terre que ses ancêtres loups. Il lui arrive de donner de la voix dans la nuit, et des loups lui répondent au loin.

Un crépuscule, il croise justement le chemin d’un loup solitaire au pelage gris. L’animal sauvage montre d’abord les crocs, mais Buck adopte une posture amicale. Ils se reniflent prudemment, et bientôt Buck et le loup trottent côte à côte dans une sorte de danse joyeuse. Ce loup semble étrangement familier à Buck – comme un frère oublié. Durant des heures, les deux courent ensemble dans la lune montante, grisés par l’élan de la liberté. Buck ressent une ivresse totale : il court aux côtés de son “frère le fauve”, plongé dans un rêve de retour aux origines. Il est tenté de suivre ce frère sauvage jusqu’au bout du monde. Mais lorsqu’ils s’arrêtent pour boire à un ruisseau argenté, Buck se souvient de John Thornton. L’image de son maître aimant traverse son esprit et retient son cœur au camp humain. Après un long moment d’hésitation, Buck décide de retourner vers John. Il rebrousse chemin à pas lents. Le petit loup gris l’accompagne un moment en gémissant doucement, cherchant à le retenir. Puis, comprenant la résolution de Buck, il s’assoit et pousse un long hurlement triste vers les étoiles. Buck lui répond par un aboiement d’adieu et continue seul. Cette nuit-là, tandis qu’il regagne le camp, Buck entend encore au loin la plainte lugubre de son frère sauvage qui résonne dans la vallée, mêlant une part de son âme à l’Appel de la forêt.

Malgré ces escapades, Buck revient toujours vers Thornton, par loyauté et amour. Toutefois, l’Appel ne faiblit pas. Une nouvelle voix, plus puissante, l’invite à rejoindre la vie sauvage. Buck partage désormais son temps entre le camp prospère et la forêt profonde. Il devient un redoutable prédateur : il pourchasse un grand élan (caribou) pendant plusieurs jours à travers bois et marais. Isolant le vieux mâle blessé de son troupeau, Buck le harcèle sans répit, rongeant sa détermination, jusqu’à ce que l’animal s’écroule d’épuisement. Buck l’abat et se gorge de cette viande fraîche avec fierté. Sa réussite dans la chasse solitaire scelle son statut de véritable animal du Wild. Chaque victoire dans la nature ravive en lui la fierté du loup, tandis que chaque retour vers John réaffirme son attachement humain. Buck vit alors un tiraillement intense entre deux mondes.

Un jour, revenant d’une chasse prolongée, Buck sent un parfum de mort planer sur le camp. Un silence inhabituel règne. Inquiet, il se met à courir vers l’étang où se trouve la tente de Thornton. Soudain, il perçoit des cris sauvages et aperçoit une scène cauchemardesque : la cabane de John est en ruines, et tout autour une bande d’Indiens Yeehats exécute une danse de guerre en poussant des hurlements. Buck entrevoit des corps étendus sur le sol – Nig et Skeet, ses deux compagnons chiens, gisent sans vie non loin de là. Terrassé par l’angoisse, Buck cherche Thornton du regard… Il distingue la jambe de John à moitié enfouie sous des débris. Son maître bien-aimé est immobile, tué par les Yeehats qui ont pillé le camp.

À cette vision, Buck est submergé par une fureur monstrueuse, la colère de la Bête primitive. Un grondement terrible monte de sa gorge. Les Indiens s’arrêtent, stupéfaits par l’apparition d’un grand chien spectral, poil hérissé, yeux injectés de sang, qui les fixe. Buck ne réfléchit pas : il charge. « Ivre de carnage et de mort, l’animal bondit de l’un à l’autre ». Il se jette au milieu des Yeehats ahuris comme un démon sorti de la forêt. Les flèches volent autour de lui sans l’atteindre. Buck renverse le premier guerrier d’un coup d’épaule, puis fond sur le chef indien : il lui saute à la gorge et « lui ouvre la gorge d’un coup de dent qui tranche la carotide ». Le chef s’écroule en crachant le sang, tandis que Buck déjà passe au suivant. En quelques instants de rage froide, il en tue deux autres, éventrant l’un d’un coup de crocs au ventre, brisant la nuque d’un autre d’un claquement sec. Les Yeehats, frappés de panique devant ce “Chien-Esprit” invincible, s’enfuient en criant. « La panique s’empare des Yeehats. Ils s’enfuient terrifiés dans la forêt, proclamant… l’apparition de l’Esprit du Mal ». Buck les poursuit un moment, les yeux rouges, incarnation même de la vengeance primitive. Puis il revient vers les ruines du camp, haletant parmi les cadavres. Plus aucun ennemi ne bouge.

Le silence retombe, seulement troublé par le bourdonnement des mouches attirées par le carnage. Buck s’approche du corps de John Thornton, effondré. Il renifle les mains inertes de son ami, lèche son visage sans vie. Buck sait que John est mort, que plus rien ne le rattache désormais aux hommes. Il pousse alors un long hurlement funèbre, un cri déchirant qui fait écho dans toute la vallée. C’est un son à glacer le sang, mêlé de douleur et de défi. L’appel de la forêt retentit en lui, plus impérieux que jamais.

Au lever de la lune, une meute de loups s’approche du camp détruit, attirée par l’odeur du sang. Ce sont les loups autochtones du Yukon. Ils tombent sur Buck, seul au milieu du champ de mort. Une douzaine de formes grises aux yeux brillants l’encerclent. Buck se tient prêt, chaque muscle tendu. Les loups attaquent ensemble. Mais Buck est transcendé par une force et une agilité sans égales. Il tourne sur lui-même, babines retroussées, et déjoue toutes leurs offensives. Il éventre l’un des assaillants d’un coup de croc à la gorge, en blesse gravement deux autres. Surpris par cette résistance héroïque, les loups reculent un instant, haletants et couverts de blessures. Buck, intelligent, en profite pour reculer et s’adosser contre un talus, protégeant ses arrières. Une deuxième charge survient mais Buck la repousse encore, si vaillamment que la meute hésite, incertaine.

Soudain, l’un des loups avance prudemment en gémissant – Buck reconnaît le loup gris, son compagnon d’une précédente escapade. C’est le premier loup qu’il avait rencontré et épargné. L’animal approche sans hostilité, la queue basse. Leurs museaux se touchent ; Buck sent son cœur battre d’une émotion étrange : il a retrouvé un ami, un frère sauvage. Presque aussitôt, un vieux loup balafré s’avance à son tour. Buck grogne puis le flaire avec curiosité et remue doucement la queue. Voyant cela, le vieux loup s’assied et lance vers la lune un long hurlement mélancolique. Toute la troupe de loups lui répond en chœur, gueules tournées vers le ciel. Buck reconnaît alors l’Appel mystérieux qu’il entend depuis si longtemps – ce hurlement ancien qui coule dans son sang. Il pointe son museau vers l’astre pâle et pousse à son tour un hurlement. À ce signal, les loups restants s’approchent et le reniflent. Plus aucune hostilité ne se manifeste : Buck est accepté parmi eux.

Tout à coup, les chefs de la meute donnent l’alerte par un jappement bref. Aussitôt, tous les loups s’élancent dans la forêt, en une file grisâtre qui ondoie entre les arbres. Buck part avec eux, galopant au côté de son frère sauvage, hurlant à l’unisson. Il disparaît dans l’ombre bleutée des sapins, enfin revenu à la vie qui est la sienne depuis toujours sans qu’il le sache : celle de la forêt libre. Ainsi prend fin l’histoire de Buck, le chien civilisé redevenu créature sauvage.

Dans les années qui suivent, les Yeehats, cette tribu indienne du Yukon, constatent des changements étranges dans la population de loups de la région. Certains jeunes loups naissent plus grands, avec parfois des marques fauves au museau ou une tache blanche sur la tête ou la poitrine. Et ils parlent de plus en plus d’un Chien-Esprit légendaire qui mène une meute redoutable. Ce loup géant à la fourrure magnifique, plus rusé que tous les autres, n’hésite pas à s’approcher des campements humains : il vole de la nourriture, brise les pièges des chasseurs, égorge leurs chiens et attaque même les guerriers isolés. Plusieurs chasseurs Yeehats, partis seuls en forêt, ne reviennent pas ; on retrouve plus tard leurs corps la gorge déchirée. Alors la peur grandit dans la tribu, alimentant la légende de ce Esprit du Mal invincible. Plus personne n’ose s’aventurer dans la vallée près de l’étang où John Thornton avait dressé son camp, car on murmure qu’un énorme loup fantomatique y apparaît à intervalles réguliers.

En effet, chaque année, à l’époque des longues nuits d’hiver, quand la lune scintille sur la neige, on peut voir ce grand loup solitaire quitter la meute un instant. Il descend vers une clairière au bord de l’étang abandonné, là où gisent encore, à demi enfouis sous les mousses et l’herbe sauvage, les sacs de cuir pourrissant qui débordent d’un trésor de métal jaune. Le grand loup s’arrête un moment, immobile parmi les reliques de la mine d’or, comme s’il rêvait. Puis il lève la tête et pousse un long hurlement triste qui fait frissonner même les arbres. C’est Buck, venu chaque hiver rendre hommage au souvenir de l’homme qu’il aimait. Après ce deuil, il retourne aux bois profonds qui sont désormais sa maison. Là, il redevient chef de meute. La nuit, on le voit courir en tête des loups sous la lune ou l’aurore boréale, plus grand que ses semblables, sa voix puissante donnant le ton au chant ancestral de la horde. Et les Yeehats savent, en entendant ce hurlement venu du fond des âges, que Buck – l’Esprit du Loup – répond à jamais à l’Appel de la forêt.


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