1. Partie I
  2. Partie II : Le capitaine
  3. Partie III : Les sauvages

Partie I

Dans la première partie de cette œuvre autobiographique , Colette dresse un portrait vibrant et poétique de sa mère, Sidonie Landoy, affectueusement surnommée Sido. Cette section est une plongée intime dans les souvenirs d’enfance de l’auteure, mettant en lumière la personnalité fascinante de sa mère et l’influence profonde qu’elle a exercée sur sa vie.​

Sido est dépeinte comme une femme d’une vitalité exceptionnelle, profondément enracinée dans la vie provinciale de la Bourgogne. Elle incarne une figure maternelle aimante, dotée d’une forte personnalité et d’une sagesse naturelle. Son attachement à la nature est central dans le récit : elle entretient avec passion le jardin familial, qu’elle considère comme un sanctuaire. Chaque plante, chaque fleur est pour elle une source d’émerveillement et de contemplation. Cette communion avec la nature reflète une philosophie de vie simple et authentique, éloignée des artifices urbains.​

La relation de Sido avec Paris est ambivalente. Bien qu’elle ne s’y rende que rarement, elle en revient toujours chargée de trésors hétéroclites : étoffes, denrées exotiques ou parfums. Cependant, elle observe la vie parisienne avec une certaine condescendance, privilégiant les valeurs et la simplicité de la vie provinciale. Cette dualité souligne son esprit critique et sa capacité à apprécier la beauté sans se laisser éblouir par le superficiel.​

Les interactions familiales sont au cœur de cette première partie. Colette exprime une admiration profonde pour sa mère, tout en reconnaissant des moments de tension et de jalousie. Sido n’hésite pas à critiquer avec franchise les choix de ses enfants, notamment lorsque Colette exprime des envies d’adopter des habitudes citadines. Cette dynamique familiale complexe enrichit le récit et offre une vision nuancée des relations mère-fille.​

À travers des anecdotes pleines de vie, Colette illustre la personnalité lumineuse et imaginative de sa mère. Sido se distingue par sa vivacité d’esprit et son sens aigu de l’observation. Elle manifeste un amour débordant pour la vie, qu’elle transmet à travers des gestes quotidiens empreints de poésie, comme lorsqu’elle relève délicatement les roses pour admirer leur « visage » ou partage des fleurs avec les voisins. Ces descriptions poétiques renforcent l’image d’une femme en harmonie avec son environnement.​


Partie II : Le capitaine

Dans cette partie du récit, Colette livre un hommage émouvant à son père, Jules-Joseph Colette, surnommé affectueusement « le Capitaine » en raison de son passé militaire. Elle y évoque avec une sensibilité subtile les complexités d’un homme dont la personnalité semble lui avoir longtemps échappé. Si l’auteure se concentrait passionnément sur sa mère dans la première partie, elle avoue ici une certaine ignorance de son père, dont elle commence à saisir seulement à l’âge adulte les nuances profondes.

Le Capitaine apparaît d’abord comme un personnage silencieux et discret, presque effacé derrière l’éclat rayonnant de Sido, son épouse. C’est un homme qui exprime difficilement ses émotions, même envers ses enfants, préférant une retenue pleine de pudeur à des démonstrations ouvertes d’affection. Colette se rappelle ainsi avec nostalgie les rares instants partagés avec lui durant son enfance : il lui confectionnait des jouets minutieux, des maisons pour hannetons, des bateaux, et la laissait profiter, sans réprimande, des larges pains à cacheter qu’elle mangeait en cachette. Cependant, cette affection était souvent voilée par une apparente indifférence ou un détachement feint, que Colette associe à une timidité propre aux pères de cette époque.

Mais au-delà de cette façade réservée, le Capitaine portait une blessure profonde, à la fois physique et morale : il avait perdu une jambe pendant la guerre d’Italie, à la bataille de Melegnano en 1859. Colette souligne avec finesse comment cette amputation, bien qu’acceptée avec une apparente dignité, marqua définitivement son caractère. Il cultivait une certaine fierté dans l’épreuve, et, bien qu’il fût diminué physiquement, nageait mieux que ses contemporains valides. Cette blessure façonna en partie sa mélancolie, lui donnant un air secret et taciturne, camouflé par un chant joyeux, presque exagéré, qu’il entonnait régulièrement comme pour se protéger du regard des autres.

Son amour pour Sido domine également ce récit. Il en est profondément épris, avec une intensité parfois inquiétante, marquée par une jalousie latente. Colette raconte comment il observait discrètement sa femme avec admiration, amour, mais aussi une vigilance presque anxieuse. Ce sentiment amoureux puissant explique peut-être aussi son attitude distante vis-à-vis de ses enfants, comme si leur présence dérangeait le tête-à-tête rêvé avec son épouse. Il est d’ailleurs évoqué avec délicatesse que le Capitaine souffrait sans doute de voir que son amour, si fort et exclusif, était partagé avec leurs enfants, notamment Colette elle-même.

À travers divers épisodes familiaux, Colette dépeint un homme en quête de reconnaissance, qui souhaitait éblouir son épouse par son talent littéraire ou musical, tout en craignant profondément de la perdre ou de la voir souffrir. Elle relate, par exemple, la scène bouleversante où il promet la mort à un médecin incapable de sauver sa belle-fille, montrant à la fois sa sensibilité cachée et son tempérament vif et ardent sous une apparence calme et posée.

Colette évoque aussi les tensions intérieures du Capitaine, homme aux rêves frustrés : en citadin contraint à vivre à la campagne, il cherchait désespérément à plaire à sa famille par des sorties en pleine nature qui finalement ne convenaient qu’à lui-même. Ces escapades dominicales prenaient souvent une tournure mélancolique où, face au silence de ses enfants et à la distance pudique de Sido, il s’efforçait d’afficher une jovialité forcée. Ses récits lyriques et ses envolées poétiques sur la beauté des paysages trahissaient paradoxalement son mal-être, sa difficulté à accepter une vie qui semblait éloignée de ses aspirations initiales.

Le portrait que dresse Colette du Capitaine est également celui d’un homme profondément triste, qui se cachait derrière la musique, les vers, et une fausse insouciance pour masquer la dureté de ses expériences passées et présentes. Elle raconte notamment comment, lors d’un séjour à Paris, il revint ému et bouleversé d’avoir reçu une rosette en remplacement du ruban rouge de la Légion d’honneur, une émotion dont personne dans sa famille ne comprenait pleinement la signification profonde, mais qui révélait clairement ses regrets d’une gloire passée, inaccessible désormais.

À mesure que l’âge avance, le Capitaine perd progressivement cette capacité à masquer ses émotions, et son amour pour Sido devient plus ouvertement exprimé, presque désespéré. Colette relate avec une grande sensibilité les dernières années où, inquiet des maladies successives de sa femme, il se montrait maladroit, presque colérique face à sa souffrance. Il avait du mal à accepter la fragilité croissante de celle qui était son ancrage dans le monde, et cela éveillait en lui une inquiétude brutale, qui s’exprimait par une violence inhabituelle.

Enfin, Colette conclut ce portrait avec une touchante révélation : après sa mort, elle découvre que son père avait longtemps rêvé d’écrire, laissant derrière lui de nombreux cahiers remplis de pages blanches, symboles d’une vie intérieure riche mais restée inachevée. Ce secret dévoilé sur le tard éclaire rétrospectivement son caractère, son silence et ses mélancolies, dessinant ainsi le portrait poignant d’un homme complexe, partagé entre rêve et réalité, amour passionné et solitude silencieuse.


Partie III : Les sauvages

Dans cette troisième et dernière partie, Colette dépeint avec finesse et sensibilité ses deux frères, qu’elle surnomme affectueusement les « sauvages » en raison de leur tempérament singulier et de leur rejet profond des normes sociales. Sido, leur mère, observe ces deux garçons avec une forme d’émerveillement mélangé d’inquiétude, se demandant constamment ce qu’elle pourra bien faire de ces enfants si particuliers, dont elle admire pourtant la beauté et la vitalité. L’aîné, à dix-sept ans, avec ses yeux pers et son allure fière, porte une grâce naturelle mais distante, tandis que le cadet, âgé de treize ans, dégage une beauté plus secrète, des yeux bleu-gris semblables à ceux de leur père, mais habités par un esprit rêveur et mystérieux.

Ces garçons préfèrent aux raffinements de la table une nourriture simple, rustique, composée essentiellement de pain bis, d’œufs frais, de fromage et de tartes aux légumes. Ce goût pour la frugalité les éloigne d’autant plus des habitudes bourgeoises et les rapproche d’une vie libre, sauvage, presque animale, en harmonie profonde avec leur environnement rural. Ils évoluent ainsi dans une sorte d’autonomie naturelle, complices et indissociables, partageant une complicité silencieuse que personne d’autre ne peut véritablement pénétrer.

Chacun possède cependant une personnalité bien distincte. L’aîné, destiné à la médecine, semble accepter avec sérénité un avenir déjà tracé pour lui, tandis que le cadet, quant à lui, refuse toute contrainte, tout plan préconçu. Sa fantaisie permanente l’isole du reste du monde, et il ne rêve que de liberté absolue, de solitude et de silence. Colette évoque d’ailleurs avec nostalgie et tendresse ce frère qui, dès l’enfance, possédait un talent musical extraordinaire, capable de reproduire spontanément au piano les mélodies captées lors de ses errances, mais qui finalement échappera à toutes les attentes familiales, préférant rester en marge, tel un sylphe insaisissable.

Ces deux garçons ne jouaient guère comme les autres enfants ; ils étaient animés d’un désir permanent de découverte, d’évasion, mais refusaient catégoriquement tout ce qui ressemblait à un jeu traditionnel. Leur enfance était marquée par une indépendance absolue : ils disparaissaient régulièrement, introuvables des heures durant, cachés dans les lieux les plus inattendus comme la glacière du château ou encore les combles de l’horloge municipale. Ces escapades donnaient lieu à des inquiétudes maternelles sincères, bien qu’éphémères, toujours apaisées par leur retour inattendu et silencieux.

Un souvenir particulier illustre avec finesse la psychologie du cadet : pendant plusieurs soirs, il réclame obstinément des noisettes et des pruneaux à sa mère, tardivement, quand tout est fermé, sachant bien que ses demandes sont impossibles à satisfaire. Sa mère, comprenant intuitivement qu’il cherchait seulement à exercer son pouvoir de demander, finit par lui offrir généreusement deux énormes sacs de ces friandises convoitées. Désemparé, il finit par éclater en sanglots, avouant qu’il ne les aime pas réellement, mais voulait seulement les réclamer, révélant ainsi un profond besoin d’attention mêlé à une résistance secrète aux limites parentales.

Colette s’attarde également sur leur amour de la lecture, qui les unit dans une complicité intellectuelle singulière. Les deux frères élaborent des jeux littéraires précis, où ils classent les livres selon des critères insolites, par exemple, bannissant le terme « mignonne », qu’ils prononcent avec une grimace volontairement exagérée. Ils vivent leurs lectures avec passion, jusque dans l’excès, cachés dans des lieux improbables, dévorant les ouvrages au point d’en faire une véritable économie parallèle, avec amendes et récompenses. Ces pratiques renforcent leur complicité fraternelle tout en marquant clairement leur rejet des conventions et des apparences.

Toutefois, la sauvagerie charmante des deux frères prend parfois des teintes plus sombres, voire inquiétantes. Colette évoque ainsi comment, un jour, dissimulés dans un bois, ils observent secrètement un camarade, Mathieu M., qui passait naïvement devant eux sans se douter de leur présence. Ce jeu enfantin prend soudain une tournure plus grave, les deux garçons évoquant avec une pointe de plaisir pervers la facilité avec laquelle ils auraient pu le tuer. Ce fantasme partagé les trouble autant qu’il les amuse, montrant une frontière ténue entre innocence et cruauté, mais ils s’arrêtent juste avant tout acte concret, laissant entendre que leur sauvagerie reste avant tout symbolique, mentale, une révolte contre le monde ordinaire.

Le récit des escapades adolescentes, de leur errance sur les murs du village, se prolonge également dans l’évocation des souvenirs nostalgiques d’un lieu disparu, « la Cour du Pâté ». Cette cour, dont le portail grinçant marquait autrefois leur enfance, symbolisait pour eux un territoire sacré, désormais détruit ou transformé au point d’être méconnaissable. Le retour du cadet adulte en ces lieux révèle douloureusement que ce territoire intime a été profané, jusqu’à la grille, autrefois grinçante, désormais huilée et silencieuse, effaçant à jamais une note chère à leur mémoire. Cette déception apparemment mineure devient, pour eux, la preuve irrécusable de la fin définitive de leur enfance sauvage et inviolée.

La relation entre ces deux « sauvages » est empreinte d’une affection tacite, solide, indestructible. Pourtant, à mesure que le temps passe, ils se heurtent à la vie réelle, que le cadet rejette totalement, préférant rester fidèle à son éternelle enfance, à ses rêves et à sa liberté intérieure. L’aîné, lui, finit par accepter les responsabilités, non sans conserver un lien intime et fort avec cette sauvagerie initiale, capable encore, à l’âge adulte, de bondir hors d’une fenêtre pour fuir une visite inopportune. La vieillesse elle-même ne pourra jamais briser entièrement cette complicité fraternelle, nourrie d’un rejet viscéral de la société ordinaire.

Colette clôt cette évocation touchante de ses frères par l’image poétique et douloureuse d’un homme vieillissant, qui, malgré les années, continue à chercher en lui-même l’enfant qu’il fut, ce petit être libre, insaisissable, refusant éternellement de s’adapter aux contraintes du monde adulte.



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