Au commencement du roman, Zilia, jeune Inca vierge consacrée au Soleil, vit au bord de l’océan Pacifique auprès de son fiancé, le futur Inca Aza. Le récit s’ouvre sur l’horreur : un peuple d’envahisseurs inconnus sème la panique à Cuzco. Dans la première lettre, Zilia évoque avec effroi l’assaut du Temple du Soleil. Elle y était réunie avec les autres vestales quand des sauvages impies (les conquistadors espagnols) attaquent brutalement le sanctuaire. Les prêtresses fuient, le tapis d’or est foulé au pied, et les gardiennes sont massacrées sous les armes. Zilia se cache derrière l’autel, figée par l’horreur. Elle voit en silence brûler les Parures sacrées et entend les cris des mourantes. Bientôt, des mains cruelles l’arrachent de son refuge : on lui bande les yeux, on la traîne et l’entraîne hors du Temple. Le choc est si violent que Zilia perd connaissance. À son réveil, enchaînée, elle se retrouve enlevée de force : elle est totalement coupée d’Aza et du monde qu’elle connaît. Impuissante et désespérée, elle ne peut communiquer avec ses ravisseurs barbares. Elle adresse désespérément ses cris et ses larmes à Aza, priant pour qu’il ait survécu. Son amour pour lui est son unique secours contre la panique et la douleur.

Dans la seconde lettre, Zilia a pu établir un maigre contact grâce à un citoyen français bienveillant. Par un intermédiaire (l’interprète apporté par les Espagnols à Aza), elle reçoit la nouvelle que son fiancé est vivant et qu’il envoie de l’espoir. L’âme de Zilia s’enivre de soulagement : elle remercie Pachacamac (leur dieu) de cette réponse. Au milieu de sa joie renaissante, elle n’oublie pas sa prudence. Elle suspecte que les Espagnols manipulent Aza. Zilia supplie alors son fiancé de ne pas se fier à leurs paroles enjôleuses. Dans un élan de passion, elle lui rappelle que son seul vrai bonheur serait de renoncer à son pouvoir impérial et de fuir avec elle dans une vie simple, à l’écart des fastes d’un royaume menacé. Elle évoque leur premier regard, la beauté des Vierges du Soleil ce jour-là, et confie combien Aza, tel le soleil levant, avait illuminé son cœur. Cette lettre mêle extase et crainte : Zilia est comblée de savoir Aza en vie, mais elle pressent pour lui de grands dangers sous la domination étrangère.

La troisième lettre montre Zilia embarquée de nuit sur un étrange édifice flottant. Dans l’obscurité, deux guerriers espagnols l’arrachent à sa sombre geôle et la hissent sur un bateau gigantesque, qu’elle devine suspendu et ne touchant point la terre. Elle est ballottée sur cette maison qui se balance en continu, l’air malsain du navire lui provoquant nausée et douleurs. Au matin, un bruit monstrueux la tire du sommeil : le navire vibre comme ébranlé par la chute de la lune. Zilia pense que le monde va périr. Soudain, des hommes ensanglantés font irruption dans sa cabine. Sous le choc, elle s’évanouit. À son réveil, la nuit dernière paraît n’être qu’un cauchemar : autour d’elle, des étrangers au visage bienveillant veillent sur elle, ce ne sont plus les féroces Espagnols mais l’équipage d’un bâtiment français. Le capitaine du navire, le chevalier Déterville, a combattu et vaincu les assaillants. Malgré son extrême faiblesse, Zilia prend peu à peu conscience de son étrange salut. Elle se sent trop lasse pour parler. Dans un demi-élan onirique, elle imagine Aza, tremblant à l’idée qu’elle ait péri. Cette vision de son fiancé en pleurs la ramène brusquement à la vie : elle rejette la mort en se demandant, entre larmes, s’il ne reste plus en ce monde que le sacrifice de son bonheur pour que son amour vive. Ainsi s’achève sa troisième lettre, sur cette résolution mêlée de ferveur et de douleur.

Au fil des lettres suivantes, Zilia découvre la bonté de ceux qui l’ont sauvée, tout en restant prisonnière de son chagrin. Dans la quatrième lettre, elle exprime tout le poids du désespoir. Sa vie ne lui appartient plus : chaque respiration n’est qu’un hommage à l’amour d’Aza. Appliquée à apprendre quelques gestes et mots du langage français sous l’œil patient du capitaine, elle se sent toujours exclue par l’incompréhension. Elle s’obstine à garder les yeux ouverts pour ne pas sombrer dans la solitude intérieure, mais tout autour d’elle la déroute : ces hommes à l’apparence grave et sévère sont étrangement compatissants et maladroits. Deux d’entre eux veillent jour et nuit à son chevet : l’un, que Zilia prend pour un Cacique tant son maintien est noble, offre respect et soins; l’autre, plus impétueux, lui apporte les remèdes avec rudesse. Ce dernier, d’un geste brusque, s’empare de la main de Zilia ; elle repousse sa familiarité, provoquant son étonnement. Pour échapper aux mains blessantes, Zilia finit par céder : elle ouvre sa main en signe de soumission chaque fois que le jeune homme l’exige, soumise par fatigue plus que par volonté. Seule la broderie de ses quipus – le tressage de cordons qui exprime ses pensées – lui procure un semblant de répit : le mouvement familier de nouer les cordelettes est son seul langage secret pour dire « je t’aime ». Ainsi, malgré son effondrement, le cœur de Zilia reste entier pour Aza. Elle se décrit, dans cette lettre, comme objet d’un supplice car on l’empêche même de se confier à ses proches par écrit.

Dans la cinquième lettre, Zilia relate sa tristesse profonde après un deuil : on a voulu lui retirer définitivement ses quipus. Privée de ce lien vers Aza, elle ressent un abattement extrême. Néanmoins, ses ravisseurs lui rendent finalement ces cordelettes – après bien des larmes – lui accordant ce qu’elle appelle son trésor de tendresse. Mais ce retour est amer : elle doit à nouveau concilier l’absence d’Aza avec la nécessité d’exprimer ses sentiments. Isolée au milieu d’étrangers, elle en vient à douter de la sincérité des moindres gestes qui l’entourent. Son logis devient un dédale de visites et de cérémonies incompréhensibles. Elle interprète certaines manifestations comme de la vénération aveugle : le Cacique adopte une posture de prière devant elle, cueille délicatement sa main et y dépose des baisers ou la caresse en signe de respect profond. Zilia imagine un culte féminin, où les statues ne sont plus Dorado ni le Soleil sacré, mais la femme elle-même. L’idée la trouble : si elle était vraiment une déesse pour ces gens, au lieu de l’enchaîner on l’honorerait. Au contraire, elle reste enfermée comme une princesse captive. Malgré les contradictions, elle s’accroche à l’espoir de revoir Aza : un seul de ses regards suffirait à faire fondre l’emprise de ses geôliers.

La sixième lettre est un tournant : Zilia découvre par elle-même l’ampleur de sa captivité. Profitant d’un moment où les regards se détournent, elle se glisse vers une fenêtre et, alentour, toute une nuit, lutte contre la peur d’ouvrir le battant. Lorsqu’elle se décide enfin, l’effroi glace son sang : autour d’elle, l’horizon n’est que mer infinie. Elle comprend brutalement qu’elle a quitté le pays des Incas sur une maison flottante espagnole, et qu’on la conduit probablement loin, très loin de son Aza. Privée de toute liberté, elle se croit désormais perdue : le même ciel ne la verra plus jamais. Le monde lui semble soudain vide et immense, et son amour inachevable est tout ce qu’il lui reste. Dans un cri désespéré, Zilia se résout à mourir : elle prétend offrir sa vie à l’océan comme ultime sacrifice à l’amour. Mais un souffle de lucidité l’arrête. Dévorée de chagrin, elle prend conscience qu’il lui faut d’abord affronter la vérité sur son fiancé. Ainsi s’achève cette lettre sur la conviction que sa vie, pourtant perdue, demeure tout entière à Aza.

Dans la septième lettre, Zilia apprend que, si elle a pu écrire la précédente, c’est grâce à la vigilance de Déterville et de sa sœur Celine, qui ont surpris sa tentative de suicide en refermant la fenêtre. Bannie l’idée de mourir : c’est le dégoût et le remords qui l’accablent désormais. Elle se sent indigne de l’amour d’Aza et se reproche sa faiblesse. Autour d’elle, l’équipage français fête sa victoire ; dans la cale, des chants et des danses se mêlent au tintement d’une boisson rougeâtre. Zilia refuse de participer : le retour à la vie lui paraît indigne de ce bonheur. Tout elle sombre dans la peine. Mais Déterville se fait plus tendre : il l’isole peu à peu des autres et veille uniquement sur elle. Dans leurs longs instants de silence partagé, Zilia découvre un étrange réconfort. Le feu de ses yeux lui rappelle fugitivement celui d’Aza. Elle s’y blottit avec un mélange de gratitude et de tristesse : douce illusion passagère, qui ranime en elle la sensibilité et déchire le cœur de nostalgie dès qu’elle disparaît. À travers la houle des émotions contraires, l’Inca reste fidèle à son amour originel.

Dans la huitième lettre, un nouveau prodige technologique renforce l’espoir de la capturée. Le Cacique, qui la traite désormais par gestes avec patience, la pousse légèrement vers un périscope artisanal – une longue barre tubulaire en bambou creux. Par cet instrument, Zilia voit pour la première fois la terre ferme se dessiner à l’horizon : de larges plaines s’étendent au loin. Les Français lui font comprendre qu’on approche. Bouleversée, elle comprend que c’est là la province vers laquelle on la conduit. Pour elle, l’espoir revient comme une inondation : ce nouveau sol semble baigné par le Soleil de son empire inca ! Déconvenue : les Espagnols n’ont pas remporté tous leurs combats, et Zilia se trouve désormais sous le pavillon français. Elle se persuade que, grâce au ciel de son dieu, cette terre perdue n’est qu’une autre part du monde d’Aza. Larmes et joie se mêlent dans ses yeux : la délivrance est à portée. Son être tout entier frémit à l’idée de retrouver ce qu’elle aime. La bienveillance de Déterville lui paraît alors plus précieuse que jamais : cet officier, qui l’a arrachée aux fers des cruels Espagnols, devient le bienfaiteur qui l’a ramenée sous les lois du Soleil, dans l’espoir de la réunir à son amour. Elle promet, au fond d’elle-même, d’offrir à ce sauveur mille remerciements lorsqu’ils seront à Paris.

Dans la neuvième lettre, Zilia se familiarise avec des mots de la langue française glanés auprès de sa jeune gouvernante chinoise. Elle apprend notamment que le nom de leur compagnie est Déterville et que la terre vers laquelle ils naviguent se nomme « France ». D’abord, ce nom l’effraie : elle n’en connaît pas l’équivalent sous le Soleil. Mais le regard persistant des cieux, sa constante amulette, la rassure : si le Soleil règne ici aussi, c’est une terre amie. L’espoir renaît définitivement. Elle imagine déjà Aza honorant généreusement le gentilhomme qui les unit. Zilia confie avec tendresse qu’elle est traitée non plus comme esclave mais presque comme protégée : les soins et sourires de Déterville remplacent les cruautés passées. Bien qu’elle oscille encore entre crainte et joie envers ce peuple inconnu, sa résolution d’atteindre Aza prend l’aspect d’une promesse. Elle remplit le reste de la lettre d’une gratitude effusive envers le capitaine, ne doutant plus qu’il agit par vertu et non par illusion.

Dans la dixième lettre, Zilia est finalement débarquée dans cette Terre promise. Le regard hébété, elle traverse une ville portuaire richement bâtie : maisons élancées, ornements inconnus, prodiges architecturaux qu’elle ne peut nommer. Tout la frappe étrangement ; à chaque pas, son jugement vacille. D’abord, elle croit reconnaître au fond d’une encoignure de draperie la silhouette d’une Vierge du Soleil qu’elle connaît. Dans un mouvement d’élan, elle court vers l’image, mais percute brusquement un espace vide. Déconcertée, Zilia réalise qu’elle vient de rencontrer son propre reflet : à travers une glace ou une vitre, elle a vu son double. Le choc est tel qu’elle se fige, incapable de démêler la réalité de l’illusion. Déterville, à ses côtés, cherche à la réconforter en lui expliquant doucement qu’elle est bien en présence de son image. Plus tard, on la vêt d’habits français chatoyants. Sa compagne chinoise, toute jeune et curieuse, l’aide à enfiler ces riches étoffes nouvelles. Zilia aime la douceur de retrouver une paire de femmes aidantes, mais leur regard la déstabilise : aucune d’elles n’a vu le Temple du Soleil, leur maintien est différent de celui des Vierges de Cuzco.

Malgré ses craintes, Zilia refuse de conclure trop hâtivement sur ces us et coutumes. Elle se replie en elle-même : seule sa quête de bonheur véritable, l’amour d’Aza, compte. Elle jure de ne trouver le bonheur qu’en son fiancé. Les derniers paragraphes de cette lettre ont un ton prophétique : elle affirme qu’elle ne désire que ce bonheur sans lequel tout ne peut être que peine et qu’elle attend patiemment le jour où elle retrouvera les traits d’Aza.

Dans l’onzième lettre, trois jours après son arrivée, Zilia a toujours du mal à saisir sa situation. Elle note simplement que les Français lui paraissent bons et humains, chantant et joyeux, comme s’ils vivaient en liberté sur leurs terres. Face à leur différence, elle cherche appui dans l’exemple de sa propre terre : le père d’Aza, le dernier Inca, avait soumis autrefois des contrées lointaines aux coutumes très différentes des siennes. Elle se convainc que, à l’instar du Soleil qui brille ici, cet horizon est sous la protection de sa divinité. Le moindre doute lui semblerait un crime : elle restera fidèle à son espoir de retrouver Aza.

Zilia passe ses instants de liberté à apprendre le français. Chaque leçon est un sacrifice pour la quitter, mais elle se persuade que le dialogue à venir serait le plus précieux des cadeaux. Celine et son frère lui apprennent quelques mots : elle sait désormais nommer Déterville, le vaisseau et sa destination France. Le nom France l’avait d’abord effrayée – ne figurait-il pas dans aucun récit de l’Empire du Soleil ? –, mais la lumière ininterrompue de leur astre conjure sa peur. Elle n’a désormais plus qu’une inquiétude : combien de temps lui faudra-t-il encore attendre avant d’apprendre enfin ce qui l’amène dans cette terre lointaine. Car elle est sûre d’une chose : elle reviendra chez Aza. Elle imagine déjà comme un honneur les richesses qu’Aza offrira à Déterville, le bienfaiteur qui les a réunis.

Douzième lettre : Zilia, promenée au cœur de la ville, reste pantelante devant chaque nouveauté. Elle remarque la densité prodigieuse de la population, bien au-delà de ce qu’elle connaissait dans les vallées andines. Elle cherche – en vain – à retrouver dans les quais ou les ponts une esquisse de Quito, sa capitale légendaire : ici tout est différent. Les maisons sont si hautes, les rues si vastes, qu’elle se sent minuscule. Sur les murs et les meubles du palais de Déterville, l’or brille comme au temple du Soleil, et les tapisseries chantent la nature en mille couleurs.

Déterville la présente à sa famille. Ils se rendent d’abord auprès de Madame, sa mère, étendue sur un grand lit. L’atmosphère s’alourdit dès l’abord : Madame prodigue un baiser à son fils, mais ce geste maternel semble étranger à ses yeux, distancié et rigide. Quand Déterville lui indique Zilia, la mère détourne le regard, absorbée dans la bouclerie d’un cordon doré entre ses doigts. Zilia s’efface par respect.

Puis, un homme imposant salue Déterville ; peut-être un ministre, peut-être un dignitaire. Le chevalier remercie poliment chacun de ses égards. Enfin apparaît Celine, la sœur cadette de Déterville, presque du même âge que Zilia. Déterville l’embrasse tendrement ; les yeux de Zilia se remplissent d’émotion : elle imagine qu’elle aurait fait de même avec Aza, et caresse en silence cette vision fraternelle.

Zilia reste ensuite aux côtés du portrait de la Pallas : ce nom désigne dans leur vocabulaire une femme d’un rang illustre. Par politesse, elle ne quitte pas place, malgré les regards sévères et intimidants de la maîtresse de maison. Soudain, comme la jeune fille avait deviné son malaise, elle s’approche et la prend par la main. Les deux jeunes femmes s’installent près de la fenêtre. Malgré la barrière des mots, leur échange se fait par la langue universelle du sourire et des yeux bienveillants. Zilia, heureuse de ce lien spontané, tente de réciter à haute voix quelques phrases françaises apprises : la jeune fille écoute, sourit gentiment et jette un coup d’œil amusé vers Déterville à chaque mot. Mais leurs instants de gaieté sont brusquement interrompus : la Pallas intervient d’une voix ferme. La sœur de Déterville a un geste de contrition et abandonne Zilia aussitôt.

Peu après, une vieille dame à la mine farouche surgit. Sans ménagement, elle saisit le bras de Zilia et la remonte à l’étage, dans une petite pièce solitaire au sommet de la demeure. Zilia réalise qu’on l’a isolée. Elle avait espéré finir son voyage en retrouvant enfin les bontés humaines de la famille qui l’accueillait, mais elle se retrouve seule et abandonnée. Amère, elle s’assoit et pleure d’incompréhension et de solitude. Dans ce moment de désarroi, une source de réconfort apparaît : sa servante chinoise, la China de ses précédentes lettres. Zilia la serre dans ses bras en sanglotant. Leurs larmes unies leur donnent un peu de chaleur. Bien que la jeune fille ne puisse parler ni entendre les confidences, l’expression généreuse de ses yeux suffit : Zilia se sent moins misérable. Dans ce petit coin du monde étranger, la tendresse d’une autre femme pacifie sa peine : les paroles imparfaites n’ont plus d’importance quand le cœur entend le cœur.

Dans sa quatorzième lettre, Zilia se voit uniformément vêtue comme à Cuzco : robe légère, ceinture et parures du Soleil. Chaque jour, de nombreuses personnes – français, serviteurs et invités – défilent autour d’elle dans la grande salle de réception. Zilia se retrouve involontairement au centre d’un spectacle permanent. Cette effervescence sociale la distrait parfois de ses pensées amoureuses, mais à chaque instant elle retrouve Aza dans ses comparaisons : mon chagrin vs leur légèreté, ses vertus vs leur insolence.

L’incident notable de cette lettre est l’attitude impérieuse des étrangers. Une Française en particulier, vêtue d’un or étincelant comme une Pallas, se met à regarder Zilia de haut, comme si c’était un objet curieux. Brisant soudain le murmure de la foule, elle quitte son siège et fait asseoir Zilia face à un jeune homme somptueusement vêtu. Ces deux sauvages examinent sans gêne l’Inca : l’homme passe la main sur la gorge de Zilia comme pour vérifier sa pureté, ce que celle-ci repousse avec indignation. À la volée, Déterville intervient. D’un mot brusque, il met fin aux rires moqueurs et calme la situation. Zilia, troublée par ce manque de pudeur, ne peut s’empêcher de vanter dans son cœur la réserve d’Aza. Elle lui rend hommage : le fiancé parti valant mieux que ces prétendants effrontés, et leur réserve naturelle lui semble maintenant un trésor. Une fois encore, Zilia affirme que seul l’amour d’Aza lui suffit.

Dans la quinzième lettre, Zilia dresse un tableau de ceux qui partagent son sort chez Déterville. Elle s’émerveille de la bonté qu’elle trouve chez le chevalier et sa sœur. Celine, avec sa candeur simple et sa gaieté modeste, rappellerait aux vierges du Soleil les grâces naturelles de la jeune enfance ; Déterville lui-même, dans sa gravité sérieuse, évoquerait le sang même des Incas. Ils l’ont traitée avec une humanité qu’elle aurait rendue au centuple si le sort de la guerre les avait échoués parmi son peuple. Zilia est même persuadée qu’ils sont bons tributaires d’Aza, c’est-à-dire qu’ils se considèrent allégeance à son époux légitime. Chaque jour, le chevalier lui fait apporter des cadeaux fantastiques de son pays : des prismes et instruments en verre (machine qui double les objets), des gemmes légères et brillantes pour ornement corporel, des outils de métal poli. Certains objets servent à broder et à créer de nouvelles parures, d’autres découpent l’étoffe d’un coup de ciseau. Celine lui montre comment s’en servir. Zilia collectionne ces merveilles, préservant chaque objet avec soin. À ses yeux, ils ne peuvent être destinés qu’à Aza : leur éclat et leur utilité sont dignes du futur chef impérial. Elle s’emploie à deviner dans ces attentions la vérité : selon elle, le Cacique sait qu’elle doit devenir la compagne d’Aza. En la traitant en « Mama-Oella » (future grande mère de l’Empire), Déterville agit comme si la dignité de Zilia lui était révélée. Cette pensée la rassure : il ne lui manque plus que la liberté d’exprimer son alliance à Aza ou de demander son retour. En attendant, cependant, elle sait que son sort dépend de la volonté du maître de maison.

Toutefois, Zilia ne peut ignorer le contraste qui la blesse : Madame, la mère de Déterville, ne partage pas leur bienveillance. Dans sa lettre suivante, elle constate la froideur et le mépris que Madame lui témoigne à chacune de ses apparitions. Plus curieux encore : Madame exige la présence ininterrompue de Zilia à ses côtés. C’est pour la captive un poids insupportable. Déterville et sa sœur n’osent plus lui parler librement en sa présence. La contrainte pèse partout, comme un sourire agité sous un ciel menaçant. Celine et son frère n’ont parfois d’autre audace que de glisser des regards complices à Zilia. Ils finissent par se glisser la nuit dans sa chambre – le seul moment où ils peuvent profiter en paix de sa compagnie. Bien que Zilia soit trop accablée pour participer aux conversations, leur simple présence l’apaise. Leur sollicitude semble infinie : si l’affection de l’un et de l’autre ne lui garantit pas le bonheur, elle lui prouve pourtant qu’elle n’est pas totalement abandonnée.

Dans les dernières lettres, le fil des espoirs de Zilia se rompt brutalement. Un message venu d’Espagne lui apprend l’inimaginable : Aza est infidèle. Il s’est lié avec une jeune femme espagnole et le mariage qu’il avait promis à Zilia ne se fera pas. La découverte de cette trahison est dévastatrice. Dans la lettre trente-deux (par opposition à sa numérotation initiale), elle écrira qu’au cœur de tous ses tourments le plus cruel est la bonne foi violée, l’amour méprisé. Au nom de la religion espagnole – qu’elle qualifie de cruelle –, elle se croit désormais répudiée : l’Église lui commande de renoncer à son amour et à ses coutumes. Avec l’amertume d’une âme qu’on a vendue, elle accuse Aza de l’avoir abandonnée pour le superficiel honneur européen. Il est parti en France non pour lui sauver la vie, mais pour la délivrer de ses serments et dégager officiellement ses sens d’Inca. Zilia lui lance ces mots brûlants : ce mariage d’apparat à venir, où il récompense son fantasmagorique honneur, ne l’aveuglait plus à présent. Conquise par les charmes d’une infidèle, Aza a rompu sa promesse et lui a tout pris. L’abandon se précise : il s’apprête à épouser une autre, la reniant sans remords.

Rongée par la douleur et la honte, Zilia se trouve prête à en finir, persuadée que sa vie n’a plus de sens sans Aza. Mais, dans le tourment de la lettre trente-six, elle confie à Déterville l’horreur de son désarroi : trop tard, elle est remise au monde en écho au souvenir fatal d’Aza. Son corps, amaigri par le chagrin, menace de céder. Elle revoit les instants où elle s’était jetée à ses pieds, éperdue de larmes. Le regard d’Aza fuir sa propre image l’a blessée au-delà de toute mesure. Dans un geste de désespoir, elle regrette de n’avoir pu suivre son ingrat sous sa nef en fuyant à Malte, car ainsi elle l’aurait vu encore, peut-être même serait-elle morte avec l’honneur retrouvé de mourir à ses yeux. À Déterville, elle avoue sa colère : pourquoi l’avoir laissé partir seul ? Lui, qui aurait pu changer le cours des événements par sa générosité et sa raison, il l’a cru morte. Hélas, Aza se trouve déjà en Espagne, au comble de ses vœux, laissant Zilia à sa douleur.

Pour autant, Zilia n’accuse pas Déterville. Dans ces lettres de rupture, sa gratitude envers le chevalier est intacte. Elle le sait plein de compassion pour elle, lorsqu’elle lui demande pardon de ses mots blessants, témoin de sa douleur trop vive pour la raison. Elle implore finalement Déterville de l’oublier à jamais, de s’éloigner de cette malheureuse en perdition qui ne veut plus vivre. Le sort des Amours malheureux est connu, pense-t-elle ; à mesure qu’elle revient à elle, sa lettre trente-sept assure que ses jours lui reviennent, non par joie mais par résignation. Grâce au dévouement de Celine, Zilia retrouve la santé. L’amour qu’elle éprouve reste intact, mais elle abandonne l’idée de le combler.

Dans la lettre trente-huit, ultime missive à Déterville, Zilia se relève pour la première fois et se parle à elle-même en paix. Elle refuse ses avances : elle ne veut plus lui donner d’illusions. Mon cœur n’appartient plus à l’amour, mais à l’amitié, écrit-elle. Fidèle envers et contre tout au souvenir d’Aza, elle persiste à faire valoir son serment initial : elle ne pourra jamais prendre d’autre époux. À Déterville seul, en revanche, elle concède sans détour tous ses sentiments d’amitié et de reconnaissance. Ni parjure, ni ingrate, dit-elle, mais respectueuse des vœux sacrés qu’elle a faits.

À la fin du récit, Zilia accepte son sort parmi les Français. Elle se consacre désormais à ce nouveau foyer qui lui permet de survivre, trouvant refuge dans la fréquentation bienveillante du chevalier Déterville et de sa sœur. Elle se promet de développer entre eux des liens humains profonds, fondés sur la confiance, la curiosité et le partage d’amusement. Dans le dernier paragraphe, elle décrit avec poésie la douceur inouïe d’exister pleinement, reconnaissante de pouvoir puiser dans la nature et dans l’amitié les plaisirs innocents et durables qui viendront apaiser sa peine. Elle y voit un enseignement : sa vie, oubliée, ignorée de tant d’aveugles humains, devient un hymne au simple fait d’être. Zilia invite Déterville à découvrir avec elle les merveilles du monde visible, à adorer l’existence même comme une grâce. Le pardon et le dépassement de la passion trahie se nouent en elle dans un projet de bonheur nouveau : elle offrira son cœur loyalement en amie, fidèle à sa nature, éclairée par la perte douloureuse de son amour. Ainsi finit ce voyage épistolaire où Zilia, revenant du désespoir jusqu’à la quiétude, trouve enfin la force d’accepter son destin.


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