📑 TABLE DES MATIÈRES
📖 Le texte
– À ton âge, si j’avais mis de la poudre et du rouge aux lèvres, et de la gomme aux cils, que m’aurait dit ma mère ? Tu crois que c’est joli, ce bariolage, ce… ce masque de carnaval, ces… ces exagérations qui te vieillissent ?
Ma fille ne répond rien. Ainsi j’attendais, à son âge, que ma mère eût fini son sermon. Dans son mutisme seul, je peux deviner une certaine irrévérence, car un œil de jeune fille, lustré, vif, rétréci entre des cils courbes comme les épines du rosier, est aisément indéchiffrable. Il suffirait, d’ailleurs, qu’elle en appelât à ma loyauté, qu’elle me questionnât d’une manière directe : « Franchement, tu trouves ça laid ? Tu me trouves laide ? »
Et je rendrais les armes. Mais elle se tait finement et laisse tomber « dans le froid » mon couplet sur le respect qu’on doit à la beauté adolescente. J’ajoute même, pendant que j’y suis, quelque chose sur « les convenances », et, pour terminer, j’invoque les merveilles de la nature, la corolle, la pulpe, exemples éternels, – imagine-t-on la rose fardée, la cerise peinte ?…
Mais le temps est loin où d’aigrelettes jeunes filles, en province, trempaient en cachette leurs doigts dans la jarre à farine, écrasaient sur leurs lèvres les pétales de géranium, et recueillaient, sous une assiette qu’avait léchée la flamme d’une bougie, un noir de fumée aussi noir que leur petite âme ténébreuse…
Qu’elles sont adroites, nos filles d’aujourd’hui ! La joue ombrée, plus brune que rose, un fard insaisissable, comblant, bleuâtre ou gris, ou vert sourd, l’orbite ; les cils en épingles et la bouche éclatante, elles n’ont peur de rien. Elles sont beaucoup mieux maquillées que leurs aînées. Car souvent la femme de trente à quarante ans hésite : « Aurai-je trente ans, ou quarante ? Ou vingt-cinq ? Appellerai-je à mon secours les couleurs de la fleur, celles du fruit ? » C’est l’âge des essais, des tâtonnements, des erreurs, et du désarroi qui jette les femmes d’un « institut » à une « académie », du massage à la piqûre, de l’acide à l’onctueux, et de l’inquiétude au désespoir.
Dieu merci, elles reprennent courage, plus tard. Depuis que je soigne et maquille mes contemporaines, je n’ai pas encore rencontré une femme de cinquante ans qui fût découragée, ni une sexagénaire neurasthénique. C’est parmi ces championnes qu’il fait bon tenter – et réaliser – des miracles de maquillage. Où sont les rouges d’antan et leur âpreté de groseille, les blancs ingrats, les bleus-enfant-de-Marie ? Nous détenons des gammes à enivrer un peintre. L’art d’accommoder les visages, l’industrie qui fabrique les fards, remuent presque autant de millions que la cinématographie. Plus l’époque est dure à la femme, plus la femme, fièrement, s’obstine à cacher qu’elle en pâtit. Des métiers écrasants arrachent à son bref repos, avant le jour, celle qu’on nommait « frêle créature ». Héroïquement dissimulée sous son fard mandarine, l’œil agrandi, une petite bouche rouge peinte sur sa bouche pâle, la femme récupère, grâce à son mensonge quotidien, une quotidienne dose d’endurance, et la fierté de n’avouer jamais…
Je n’ai jamais donné autant d’estime à la femme, autant d’admiration que depuis que je la vois de tout près, depuis que je tiens, renversé sous le rayon bleu métallique, son visage sans secrets, riche d’expression, varié sous ses rides agiles, ou nouveau et rafraîchi d’avoir quitté un moment sa couleur étrangère. Ô lutteuses ! C’est de lutter que vous restez jeunes. Je fais de mon mieux, mais comme vous m’aidez ! Lorsque certaines d’entre vous me chuchotent leur âge véritable, je reste éblouie. L’une s’élance vers mon petit laboratoire comme à une barricade. Elle est mordante, populacière, superbe :
– Au boulot ! Au boulot ! s’écrie-t-elle. J’ai une vente difficile. S’agit d’avoir trente ans, aujourd’hui – et toute la journée !
De son valeureux optimisme, il arrive que je passe, le temps d’écarter un rideau, à l’une de ces furtives jeunes filles qui ont, du lévrier, le ventre creux, l’œil réticent et velouté, et qui parlent peu, mais parcourent, d’un doigt expert, le clavier des fards :
– Celui-là… Et celui-là… Et puis le truc à z’yeux… Et la poudre foncée… Ah ! Et puis…
C’est moi qui les arrête :
– Et qu’ajouterez-vous quand vous aurez mon âge ?
L’une d’elles leva sur mon visage un long regard désabusé :
– Rien… Si vous croyez que ça m’amuse… Mon rêve, c’est d’être maquillée une fois pour toutes, pour la vie ; je me maquille très fort, de manière à avoir la même figure dans vingt ans. Comme ça, j’espère qu’on ne me verra pas changer.
Un de mes grands plaisirs, c’est la découverte. On ne croirait jamais que tant de visages féminins de Paris restent, jusqu’à l’âge mûr, tels que Dieu les créa. Mais vient l’heure dangereuse, et une sorte de panique, l’envie non seulement de durer, mais de naître ; vient l’amer, le tardif printemps des cœurs, et sa force qui déplace les montagnes…
– Est-ce que vous croyez que… Oh ! il n’est pas question pour moi de me changer en jeune femme, bien sûr… Mais, tout de même, je voudrais essayer…
J’écoute, mais surtout je regarde. Une grande paupière brune, un œil qui s’ignore, une joue romaine, un peu large, mais ferme encore, tout ce beau terrain à prospecter, à éclairer… Enviez-moi, j’ai de belles récompenses après le maquillage : le soupir d’espoir, l’étonnement, l’arrogance qui point, et ce coup d’œil impatient vers la rue, vers l’effet que ça fera », vers le risque…
Pendant que j’écris, ma fille est toujours là. Elle lit, et sa main va d’une corbeille de fruits à une boîte de bonbons. C’est une enfant d’à présent. L’or de ses cheveux, en suis-je tout à fait responsable ? Elle a eu un teint de pêche claire, avant de devenir, en dépit de l’hiver, un brugnon très foncé, sous une poudre aussi rousse que le pollen des fleurs de sapin… Elle sent mon regard, y répond malicieusement, et lève vers la lumière une grappe de raisin, noir sous son brouillard bleu de pruine impalpable :
– Lui aussi, dit elle, il est poudré…
Introduction
En 1932, Colette, déjà reconnue comme une des plus grandes écrivaines françaises, surprend son entourage en inaugurant un institut de beauté au 6, rue de Miromesnil, à Paris. Cette initiative peut sembler incongrue pour une femme de lettres, mais elle s’inscrit dans une cohérence parfaite avec sa fascination pour le corps, la sensualité et la transformation. Plus qu’un simple commerce, cet institut devient un véritable laboratoire d’expérimentation où Colette observe, manipule et sublime les visages des femmes qui viennent à elle. Dans ses écrits, elle a toujours montré un intérêt profond pour l’apparence, non comme un simple vernis superficiel, mais comme un langage à part entière, une interface entre l’intime et le regard des autres. L’institut ne fait que prolonger cette réflexion en lui donnant une dimension concrète et quotidienne.
Ce projet est soutenu financièrement par son amie Winnaretta Singer, princesse de Polignac, mécène des arts et héritière de la fortune des machines à coudre Singer. Colette, bien loin de se contenter d’un rôle de patronne passive, s’implique personnellement dans la création de ses propres produits cosmétiques. Elle rédige les modes d’emploi avec une plume malicieuse, prodigue des conseils personnalisés et n’hésite pas à tester elle-même les fards et crèmes qu’elle commercialise. Cette proximité avec le monde de la beauté transforme son regard sur le maquillage : il n’est plus seulement un artifice de coquetterie, mais un outil de métamorphose, un masque social, un bouclier contre l’usure du temps et les assauts du quotidien.
C’est dans ce contexte que naît la nouvelle Maquillages, qui sera ajoutée en 1934 au recueil Les Vrilles de la vigne. Dans ce texte, Colette interroge la dualité du maquillage : dissimule-t-il la femme ou révèle-t-il au contraire une part d’elle-même qu’elle choisit de mettre en avant ? Cette question traverse toute l’œuvre de Colette et trouve une résonance particulière dans son époque. Les années 1920 et 1930 sont marquées par une profonde évolution du rapport des femmes à leur image : l’essor du cinéma hollywoodien popularise l’usage du maquillage, tandis que l’émancipation féminine passe aussi par une appropriation du corps et de ses artifices. Dans un Paris où les instituts de beauté se multiplient, où les actrices comme Marlene Dietrich ou Greta Garbo imposent de nouveaux canons esthétiques, où les cosmétiques deviennent un secteur florissant, Colette s’inscrit pleinement dans son époque, tout en y apportant son regard unique, à la fois tendre, ironique et lucide.
Loin d’être une simple description du maquillage comme phénomène de mode, Maquillages propose une véritable réflexion sur la condition féminine. L’auteure y met en scène plusieurs figures de femmes qui, à différents âges, entretiennent un rapport contrasté avec le maquillage. De la jeune fille qui cherche à affirmer son identité à la femme mûre qui lutte contre les ravages du temps, en passant par la cliente en quête d’une illusion de jeunesse, toutes expriment, à travers ce rituel, leur relation au désir, au regard des autres et à leur propre image. Colette explore ainsi un paradoxe fascinant : le maquillage est à la fois un mensonge et une vérité, une contrainte sociale et un moyen d’émancipation, une dissimulation et une affirmation de soi.
L’écrivaine ne porte jamais de jugement tranché. Son regard oscille entre amusement et admiration, entre nostalgie et modernité. Elle célèbre la ruse féminine, cette intelligence du paraître qui permet aux femmes d’échapper, ne serait-ce qu’un instant, à la fatalité du vieillissement et aux diktats de la société. Mais elle ne cache pas non plus une certaine mélancolie face à cette nécessité de masquer les traces du temps. À travers une prose poétique, sensuelle et incisive, elle nous invite à dépasser la simple question du maquillage pour toucher à quelque chose de plus profond : la lutte incessante des femmes pour contrôler leur propre image, entre injonctions sociales et volonté personnelle d’exister pleinement.
Dans cet article, nous analyserons la manière dont Colette fait du maquillage un symbole puissant des tensions entre artifice et naturel, entre conformisme et liberté individuelle. Nous verrons comment son style d’écriture, à la fois sensoriel et analytique, sublime ce sujet en apparence léger pour en faire une réflexion universelle sur l’identité féminine.
Le maquillage comme masque social
Dans la nouvelle Maquillages, ajoutée au recueil Les Vrilles de la vigne, Colette propose une réflexion profonde sur le rôle du maquillage dans la société et dans la vie des femmes. Loin d’être un simple artifice esthétique, le maquillage devient ici un véritable « mensonge quotidien » qui permet aux femmes de masquer leurs souffrances, d’affronter le monde avec dignité et de se conformer aux attentes sociales. À travers un style à la fois ironique et poétique, Colette met en lumière la pression exercée sur les femmes pour paraître éternellement séduisantes, tout en soulignant leur résilience face à un monde souvent hostile.
Loin d’être une simple parure, le maquillage est décrit par Colette comme un outil de transformation sociale. Il s’agit d’un « mensonge quotidien » qui permet aux femmes d’effacer les marques du temps et de la fatigue, mais aussi de cacher leurs émotions profondes. Dans un passage particulièrement évocateur, l’autrice écrit :
« Plus l’époque est dure à la femme, plus la femme, fièrement, s’obstine à cacher qu’elle en pâtit. »
Cette phrase résume parfaitement la fonction paradoxale du maquillage : il dissimule non seulement les rides, mais aussi la douleur et l’usure du quotidien. Dans une société où l’apparence joue un rôle prépondérant, les femmes trouvent dans le maquillage une forme de protection. Colette, qui a elle-même dirigé un institut de beauté dans les années 1930, connaissait bien cette réalité.
Le maquillage devient ainsi une « armure » qui permet aux femmes de maintenir une illusion de jeunesse et de vitalité. Cette idée n’est pas propre à Colette : tout au long du XXe siècle, les produits cosmétiques ont été largement commercialisés comme des instruments de pouvoir pour les femmes, leur promettant confiance en elles et réussite sociale. Mais dans Maquillages, cette quête d’une beauté artificielle est aussi empreinte d’une certaine mélancolie : derrière le fard, Colette devine la lutte quotidienne des femmes pour rester visibles et désirables.
L’une des oppositions les plus marquantes dans le texte est celle qui existe entre les jeunes filles et leurs aînées. Colette observe avec un mélange d’amusement et d’admiration la dextérité des jeunes générations face aux produits de maquillage :
« Qu’elles sont adroites, nos filles d’aujourd’hui ! La joue ombrée, plus brune que rose, un fard insaisissable, comblant, bleuâtre ou gris, ou vert sourd, l’orbite ; les cils en épingles et la bouche éclatante, elles n’ont peur de rien. »
Contrairement aux femmes plus âgées, qui hésitent sur la couleur de leur fard et sur les techniques à adopter, les jeunes filles maîtrisent pleinement l’art du maquillage. Elles l’utilisent non seulement pour embellir leur visage, mais aussi pour affirmer leur identité et leur modernité. Dans cette opposition, Colette illustre l’évolution des normes de beauté et des usages cosmétiques au fil des générations.
Pourtant, malgré cette apparente aisance, une forme d’angoisse persiste : l’une des jeunes filles confie à Colette qu’elle aimerait « être maquillée une fois pour toutes, pour la vie », afin que son visage reste le même au fil des années. Cette déclaration, teintée de résignation, révèle la peur du vieillissement et l’obsession de la permanence dans une société où l’apparence féminine est scrutée en permanence.
Le maquillage, chez Colette, n’est pas seulement une parure : il est aussi un moyen pour les femmes de résister au passage du temps. Dans Maquillages, l’autrice décrit avec une grande finesse les différents âges de la vie féminine et la manière dont chaque génération appréhende les artifices de la beauté.
Les femmes de trente à quarante ans, dit-elle, hésitent encore : elles se demandent s’il vaut mieux adopter les couleurs des fleurs ou celles des fruits, elles tâtonnent entre différents styles. Mais après cinquante ans, quelque chose change. Selon Colette, les femmes plus âgées ne se laissent pas abattre : elles s’emparent du maquillage avec une assurance nouvelle, cherchant non plus à masquer leur âge, mais à s’affirmer à travers lui. Loin du désespoir, ces femmes deviennent « des championnes », prêtes à « tenter – et réaliser – des miracles de maquillage ».
Cette vision rejoint les idées que Colette développe ailleurs dans son œuvre sur le vieillissement et la condition féminine. Plutôt que de céder à la nostalgie de la jeunesse, les femmes plus âgées qu’elle décrit dans Maquillages choisissent d’assumer leur âge tout en continuant à soigner leur apparence. Ce choix est à la fois un acte de résistance et une forme d’acceptation du temps qui passe.
Si Colette se moque parfois avec ironie des excès du maquillage – elle évoque par exemple les erreurs des débutantes ou les couleurs criardes d’autrefois – son regard reste bienveillant. Elle comprend l’importance du maquillage dans la vie des femmes et ne le condamne pas. Au contraire, elle le célèbre comme une forme d’art, un savoir-faire qui nécessite patience et habileté.
Son ton oscille ainsi entre admiration et amusement, entre observation sociologique et réflexion intime. En cela, elle s’inscrit dans une tradition littéraire où le maquillage est perçu à la fois comme une tromperie et comme une affirmation de soi. Cette ambivalence est également présente chez d’autres écrivaines du début du XXe siècle, comme Virginia Woolf ou Edith Wharton, qui ont elles aussi exploré la place de la beauté et de l’artifice dans la vie des femmes.
L’artifice au service de la liberté
Colette propose une vision nuancée du maquillage, bien loin d’une simple pratique esthétique ou d’un outil de séduction. Elle perçoit cet artifice comme une forme de langage, un moyen d’expression et même un acte d’affirmation de soi face aux normes sociales. Contrairement aux critiques morales ou aux discours essentialistes sur la « beauté naturelle », elle explore la façon dont les femmes s’approprient le maquillage pour en faire une arme de liberté et de résistance.
Si Maquillages souligne l’ambiguïté du maquillage – à la fois masque social et art de la transformation –, Colette montre également qu’il peut être un outil de pouvoir, permettant aux femmes d’échapper aux carcans imposés par la société. En croisant son expérience personnelle et son regard acéré sur la condition féminine, elle dresse un tableau où l’artifice se transforme en émancipation.
Dans Maquillages, Colette raconte une scène du quotidien entre une mère et sa fille : l’adolescente se maquille sous le regard à la fois critique et admiratif de sa mère, qui se souvient de ses propres affrontements avec l’autorité maternelle. La narratrice s’exclame :
« À ton âge, si j’avais mis de la poudre et du rouge aux lèvres, et de la gomme aux cils, que m’aurait dit ma mère ? »
Ce passage met en lumière une réalité immuable : le maquillage est souvent perçu comme un enjeu générationnel, un espace de tension entre tradition et modernité. Ce que la mère critique chez sa fille, elle l’a elle-même vécu en son temps. Colette montre ainsi que le maquillage, bien qu’associé à la séduction, est avant tout un outil de transgression des normes imposées aux femmes.
Dans cette nouvelle, l’adolescente ne répond pas aux remontrances de sa mère. Son silence est stratégique : elle refuse de justifier son choix, imposant ainsi une forme de résistance passive. Ce refus de se conformer, combiné à une maîtrise presque instinctive du maquillage, illustre la manière dont les femmes s’approprient ce qui, au départ, était censé les enfermer dans des codes rigides. En jouant avec l’artifice, elles détournent les injonctions sociales pour en faire une forme d’expression personnelle.
Colette souligne d’ailleurs cette habileté nouvelle des jeunes filles :
« Qu’elles sont adroites, nos filles d’aujourd’hui ! La joue ombrée, plus brune que rose, un fard insaisissable, comblant, bleuâtre ou gris, ou vert sourd, l’orbite ; les cils en épingles et la bouche éclatante, elles n’ont peur de rien. »
Loin des maladresses des générations précédentes, ces jeunes femmes manipulent les cosmétiques avec aisance, affirmant leur individualité à travers le maquillage.
Pour comprendre la relation de Colette au maquillage, il faut se pencher sur son propre parcours. Contrairement aux moralistes de son époque, qui considéraient l’artifice comme une tromperie, elle y voit une forme d’art et de réinvention.
Dans les années 1900, alors qu’elle quitte son mari Willy, Colette se produit sur scène dans des spectacles de music-hall. Le maquillage y est omniprésent, utilisé pour accentuer les traits, capter la lumière et donner vie aux personnages. Cette immersion dans le monde du théâtre influence profondément sa vision du maquillage : elle comprend qu’il ne s’agit pas seulement de cacher, mais aussi de révéler une facette de soi.
Plus tard, en 1932, Colette ouvre son propre institut de beauté rue de Miromesnil à Paris. Cette entreprise, loin d’être une simple fantaisie, témoigne de son intérêt pour la cosmétique et son rôle dans la construction de l’image de soi. Dans un contexte où la beauté féminine est soumise à des normes toujours plus strictes, elle propose un espace où les femmes peuvent se réinventer.
Dans Maquillages, elle exprime cette conviction :
« Depuis que je soigne et maquille mes contemporaines, je n’ai pas encore rencontré une femme de cinquante ans qui fût découragée, ni une sexagénaire neurasthénique. »
Cette phrase illustre la vision pragmatique de Colette : pour elle, le maquillage est un moyen pour les femmes de se réapproprier leur apparence, de s’accorder une nouvelle énergie et de défier les signes du temps.
Le maquillage, chez Colette, est aussi un outil d’émancipation, un moyen pour les femmes d’affirmer leur présence dans l’espace public.
Dans une société où les femmes sont souvent cantonnées à des rôles domestiques ou d’objets de désir, le maquillage devient un acte de rébellion. Il permet aux femmes d’afficher une image maîtrisée d’elles-mêmes, de jouer avec les codes sans jamais être totalement définies par eux.
Colette souligne cette dimension à travers une réflexion sur le vieillissement. Dans Maquillages, les femmes mûres ne cherchent pas à cacher leur âge par désespoir, mais par fierté. Elles utilisent les cosmétiques pour conserver une part de mystère et de contrôle sur leur image. Cette attitude est particulièrement visible dans la déclaration d’une cliente de son institut :
« J’ai une vente difficile. S’agit d’avoir trente ans, aujourd’hui – et toute la journée ! »
Cette phrase, à la fois humoristique et révélatrice, montre bien que le maquillage est utilisé comme un moyen de navigation sociale. Il ne s’agit pas seulement de plaire, mais de s’adapter, de répondre aux attentes tout en gardant une part de pouvoir sur son apparence.
Colette va encore plus loin en montrant que certaines femmes rêvent d’un maquillage permanent, qui figerait leur image et leur éviterait d’être confrontées à leur propre évolution :
« Mon rêve, c’est d’être maquillée une fois pour toutes, pour la vie ; je me maquille très fort, de manière à avoir la même figure dans vingt ans. Comme ça, j’espère qu’on ne me verra pas changer. »
Ce passage met en lumière une angoisse fondamentale : celle du temps qui passe et de la nécessité d’un « masque » stable pour affronter le regard des autres.

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