📑 TABLE DES MATIÈRES
- 📖 Le texte
- Introduction
- Une fable aux accents symboliques
- Une dimension autobiographique
- L’écriture de Colette
- Les thème principaux
📖 Le texte
Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.
Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.
J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.
Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…
Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…
Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.
Introduction
Le titre même de cette nouvelle intrigue et invite à la réflexion. Les « vrilles » sont ces fines excroissances des plantes grimpantes, comme la vigne, qui s’enroulent autour de supports pour assurer leur croissance et leur stabilité. Dans le contexte de la nouvelle, elles deviennent une métaphore puissante des entraves invisibles qui peuvent entraver la liberté individuelle et créative. Colette utilise cette image pour illustrer comment des forces externes ou internes peuvent limiter l’expression personnelle, nécessitant une lutte pour s’en affranchir.
La structure de la nouvelle est particulièrement intéressante. Elle débute par une fable mettant en scène un rossignol, un oiseau souvent associé à la poésie et à la musique. Ce rossignol, qui chantait autrefois uniquement le jour, se retrouve piégé une nuit par les vrilles d’une vigne. Après s’être libéré avec difficulté, il décide de ne plus dormir la nuit et commence à chanter pour rester éveillé. Cette transformation du rossignol, passant d’un chant diurne à un chant nocturne, symbolise une adaptation face à l’adversité et une quête de liberté malgré les obstacles.
Colette établit ensuite un parallèle entre l’expérience de l’oiseau et sa propre vie. La narratrice se reconnaît dans le rossignol, évoquant ses propres luttes contre les « vrilles » qui l’ont liée. Cette introspection révèle une profonde réflexion sur les contraintes sociales, personnelles et artistiques auxquelles elle a été confrontée. L’écriture devient alors un moyen de se libérer des entraves, tout comme le chant l’est pour le rossignol.
Le contexte de la vie de Colette au moment de l’écriture de cette nouvelle est également pertinent. En 1908, elle se sépare de son mari, Willy, un homme volage qui avait jusqu’alors signé de son nom les œuvres de Colette. Cette séparation marque pour elle le début d’une quête d’indépendance artistique et personnelle. Elle s’engage alors dans une carrière au music-hall et vit une relation amoureuse avec Mathilde de Morny, dite Missy. Ces expériences influencent profondément son écriture, et « Les Vrilles de la vigne » en est une illustration éloquente.
L’écriture de Colette dans cette nouvelle est empreinte de sensualité et de poésie. Ses descriptions de la nature sont riches en détails sensoriels, créant une atmosphère immersive pour le lecteur. Elle parvient à transmettre des émotions complexes à travers des images simples mais évocatrices, renforçant ainsi l’impact de son message.
Une fable aux accents symboliques
Colette déploie une fable riche en symboles, mettant en scène un rossignol dont l’évolution reflète des thèmes profonds liés à la condition humaine et artistique.
Le rossignol, traditionnellement associé à la poésie et à la musique, est dépeint initialement comme un oiseau diurne, chantant avec douceur du matin au soir. Cette représentation initiale évoque une certaine innocence et une routine paisible. Cependant, l’événement central de la fable — l’enchevêtrement du rossignol dans les vrilles de la vigne pendant son sommeil — introduit une rupture significative. Les vrilles, décrites comme « cassantes et tenaces », symbolisent des forces contraignantes, des obstacles qui entravent la liberté naturelle de l’individu. Cette image peut être interprétée comme une métaphore des entraves sociales, des obligations ou des attentes qui limitent l’expression personnelle et artistique.
La réaction du rossignol à cette épreuve est particulièrement significative. Plutôt que de se résigner, il choisit de transformer son expérience traumatisante en une nouvelle forme d’expression : il décide de chanter la nuit pour rester éveillé et éviter d’être à nouveau piégé. Ce choix symbolise la résilience et la capacité de l’artiste à transcender les difficultés pour créer quelque chose de nouveau et de beau. Le chant nocturne du rossignol devient ainsi une métaphore de l’innovation artistique née de l’adversité.
La fable prend une dimension supplémentaire lorsque la narratrice s’identifie au rossignol. Elle évoque ses propres luttes contre les « vrilles d’une vigne amère » qui l’avaient liée, suggérant des expériences personnelles d’oppression ou de limitation. Cette identification renforce l’idée que les obstacles peuvent servir de catalyseurs à une expression plus profonde et authentique. La « plainte » qu’elle jette tout haut et qui lui révèle sa voix illustre la manière dont la souffrance ou la contrainte peuvent conduire à une découverte de soi et à une libération créative.
Ainsi, à travers cette fable, Colette explore des thèmes universels tels que la liberté, la créativité et la transformation personnelle. Les symboles du rossignol et des vrilles de la vigne servent à illustrer comment les défis et les entraves peuvent être surmontés par la résilience et l’innovation, menant à une expression de soi plus riche et plus authentique.
Une dimension autobiographique
Colette mêle habilement une dimension autobiographique à sa fable animale. À travers l’histoire du rossignol pris au piège des vrilles, elle évoque de manière symbolique sa propre existence, marquée par des entraves et une quête de liberté. Cette nouvelle ne se contente pas d’être un récit poétique sur un oiseau transformé par l’épreuve ; elle reflète aussi le cheminement de l’auteure elle-même, qui a dû rompre avec certaines attaches pour s’émanciper.
La correspondance entre la narratrice et le rossignol est évidente dès qu’elle commence à raconter son propre combat contre les vrilles. Dans la nouvelle, elle déclare avoir été « liée » par une vigne amère alors qu’elle dormait « d’un somme heureux et sans défiance ». Ces mots renvoient directement à une période d’illusion et de passivité, durant laquelle elle ne se rendait pas compte de l’emprise qui se refermait sur elle. Lorsqu’elle se réveille brutalement, elle brise ces entraves et s’enfuit, à l’image du rossignol. Mais cet éveil ne signifie pas pour autant une libération sans douleur : elle réalise que ce sommeil insouciant ne lui est plus accessible.
Cette allégorie de l’emprisonnement et de l’émancipation peut être mise en relation avec la vie personnelle de Colette. Lorsqu’elle écrit cette nouvelle en 1908, elle est en pleine rupture avec son mari, Henry Gauthier-Villars, plus connu sous le pseudonyme de Willy. Ce dernier, écrivain reconnu, a profité du talent de sa femme en publiant sous son nom les Claudine, romans que Colette avait rédigés. Longtemps, elle a accepté cette situation, endormie dans une forme de résignation et d’aveuglement. Mais peu à peu, elle prend conscience de l’étau dans lequel elle se trouve et finit par se révolter. Elle quitte Willy et entame une nouvelle vie marquée par la volonté d’exister par elle-même, de se faire un nom en tant qu’auteure indépendante.
Cette rupture avec Willy marque un tournant, mais elle ne signifie pas une victoire immédiate. Comme le rossignol qui chante la nuit pour ne pas se faire reprendre au piège, Colette doit lutter pour ne pas retomber dans un état de dépendance. Elle cherche de nouvelles voies, explore des formes d’expression inédites, notamment à travers le théâtre et le music-hall, où elle se produit sur scène. Cette période de sa vie est à la fois une libération et une épreuve, un passage d’un monde connu à une existence nouvelle, marquée par l’incertitude et l’expérimentation.
Dans la nouvelle, la narratrice affirme qu’elle ne « connaît plus le somme heureux », mais en contrepartie, elle n’a plus peur des vrilles. Elle a appris à les identifier, à les éviter. C’est exactement le chemin parcouru par Colette : après avoir été naïvement prise au piège d’un système qui l’empêchait d’exister pleinement, elle a pris conscience de ses chaînes et s’en est défait. Mais ce réveil s’accompagne d’une lucidité parfois douloureuse : la liberté a un prix, celui de l’inquiétude et du refus du confort des illusions passées.
L’émancipation de Colette ne se limite pas à son indépendance artistique. Elle s’affranchit aussi des conventions sociales de son époque en revendiquant une liberté de mœurs qui choque une partie du public. Elle entretient une relation avec Mathilde de Morny, dite Missy, une femme aristocrate qui défie les normes en s’habillant en homme et en vivant ouvertement son homosexualité. Cette liaison, qui fait scandale, renforce la position de Colette en tant que femme indépendante, refusant de se soumettre aux attentes de la société bourgeoise du début du XXe siècle.
Dans cette perspective, la voix que découvre la narratrice en chantant dans la nuit peut être vue comme une métaphore de la parole libérée de Colette. Une parole qui ne craint plus d’exprimer ce qui dérange, qui ose dire tout haut ce qui se murmure à voix basse. Pourtant, la nouvelle souligne aussi la difficulté d’un tel exercice : à l’aube, une « sage main fraîche » se pose sur la bouche de la narratrice, l’empêchant de poursuivre son cri. Cette image suggère que, malgré sa libération, elle est encore rattrapée par certaines limites, peut-être celles de la bienséance ou du doute intérieur.
L’écriture de Colette
L’écriture de Colette se distingue par une richesse sensorielle et poétique qui immerge le lecteur dans une expérience à la fois intime et universelle. Son style, empreint de sensualité, traduit une profonde connexion avec la nature et les émotions humaines.
Dès les premières lignes, Colette évoque des images olfactives et visuelles précises : « les vignes en fleur qui sentent le réséda ». Cette description fait appel à l’odorat, transportant le lecteur au cœur d’un paysage printanier où les senteurs se mêlent aux couleurs. L’utilisation du verbe « sentir » associé au « réséda » – une plante au parfum délicat – enrichit la scène d’une dimension sensorielle forte, rendant l’atmosphère presque palpable.
La musicalité est également au centre de la narration. Le chant du rossignol est décrit avec une précision qui traduit la fascination de l’auteure pour la mélodie naturelle : « les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux ». Cette accumulation de termes musicaux crée une symphonie verbale, permettant au lecteur d’entendre, par-delà les mots, le chant envoûtant de l’oiseau. Colette parvient ainsi à transcender la simple description pour offrir une véritable expérience auditive.
La synesthésie, figure de style qui consiste à mêler plusieurs sens, est fréquemment utilisée. Par exemple, les « notes d’or » associent le son à la couleur, créant une fusion sensorielle qui enrichit la perception du lecteur. Cette technique poétique témoigne de la capacité de Colette à évoquer des sensations complexes et interconnectées, reflétant la richesse de l’expérience humaine.
Les métaphores et les comparaisons sont omniprésentes, conférant au texte une dimension lyrique. La vigne, avec ses « vrilles cassantes et tenaces », devient une allégorie des entraves de la vie, tandis que le rossignol symbolise l’artiste en quête de liberté. Ces images poétiques permettent à Colette d’aborder des thèmes profonds tout en conservant une légèreté stylistique.
L’usage du présent de narration dans certaines sections apporte une immédiateté au récit, plongeant le lecteur dans l’instant vécu. Cette temporalité, combinée à des descriptions détaillées, crée une immersion totale, rendant chaque scène vivante et tangible.
Enfin, la prose de Colette se caractérise par une fluidité rythmique, proche de la musicalité poétique. Les phrases, tantôt longues et sinueuses, tantôt courtes et percutantes, suivent le flux des émotions et des sensations, reflétant les mouvements de l’âme et de la nature.
Les thème principaux
Dans Les Vrilles de la vigne, Colette explore avec une rare intensité les notions de liberté et d’expression de soi. Ce texte, profondément introspectif, s’apparente à un cri du cœur, une affirmation de l’individu face aux entraves qui le menacent. Il est question d’une lutte, mais d’une lutte intime, presque silencieuse, où les mots remplacent les gestes et où le chant devient une nécessité pour exister pleinement. La narratrice, à l’image du rossignol enchaîné par les vrilles de la vigne, découvre dans la contrainte une impulsion vers l’expression. Ce n’est pas seulement un besoin de se libérer des liens visibles, mais aussi une volonté farouche de faire entendre sa voix, de ne plus se taire, de ne plus se laisser dompter par les forces qui voudraient la réduire au silence.
Cette quête de liberté est omniprésente dans l’œuvre de Colette, mais elle prend ici une résonance toute particulière, comme si elle atteignait un point de bascule. La narratrice, qui se décrit d’abord comme endormie dans un « somme heureux et sans défiance », se rend compte que ce sommeil était une illusion, une forme de léthargie imposée par l’habitude, par le confort d’une existence réglée. Le réveil est brutal, il est synonyme de douleur, mais il est aussi un éveil à soi. Rompre les liens qui l’entravaient signifie s’arracher à une certaine forme de douceur trompeuse, renoncer à une insouciance qui, en réalité, n’était qu’une prison. Cette rupture, loin d’être simplement physique, est avant tout psychologique et spirituelle. Elle prend conscience qu’elle ne peut plus revenir en arrière : une fois les liens brisés, une fois la voix découverte, il est impossible de redevenir muet.
L’écriture de Colette, dans ce texte, traduit parfaitement cette dualité entre l’angoisse et la libération. D’un côté, la narratrice ressent le vertige de celui qui se retrouve seul face à lui-même, sans plus aucun cadre pour le rassurer. Elle regarde monter « l’astre voluptueux et morose », une lune qui semble refléter son propre état d’âme, à la fois envoûtée par cette liberté nouvelle et inquiète de ce qu’elle implique. L’expression de soi n’est pas sans risque : elle expose, elle met à nu, elle force à une sincérité qui peut être douloureuse. La narratrice, d’ailleurs, avoue parfois hésiter, craindre d’aller trop loin, sentir une « sage main fraîche » se poser sur sa bouche, comme une réminiscence des interdits auxquels elle a été soumise. Mais malgré ces réticences, elle continue, parce que se taire reviendrait à renier ce qu’elle est devenue.
Le chant du rossignol devient alors une métaphore de l’acte d’écrire, de cette nécessité de s’exprimer pour exister. Ce n’est plus un choix, c’est une pulsion, une force irrépressible. Le rossignol, à force de chanter pour rester éveillé, devient un « chanteur éperdu, enivré et haletant », perdu dans sa propre musique, dans une extase qui dépasse la simple fonction de survie. Il ne chante plus seulement pour éviter les vrilles, il chante parce qu’il a trouvé dans ce chant un sens, une essence. De la même manière, la narratrice ne parle plus uniquement pour conjurer la peur du silence, elle parle parce que sa voix est désormais indissociable de son être. Elle veut « dire, dire, dire », une répétition qui exprime une urgence, un besoin impérieux d’exprimer tout ce qu’elle ressent, sans filtre, sans retenue.
Cette volonté de se dire entre en conflit avec les normes sociales qui imposent la discrétion, qui dictent ce qui peut être exprimé et ce qui doit rester caché. La narratrice s’en affranchit, brise ce carcan, mais elle ressent aussi la difficulté de cette révolte. À plusieurs reprises, elle avoue baisser la voix, se laisser gagner par le doute, s’interrompre avant d’aller trop loin. Pourtant, même lorsqu’elle cède à cette prudence, elle ne revient jamais complètement en arrière. Il y a dans ce texte un mouvement irréversible : une fois la voix trouvée, elle ne peut plus être effacée. Même si elle redescend parfois « au verbiage modéré », elle sait que ce n’est qu’un instant de répit avant que l’élan de vérité ne la reprenne.
Cette lutte pour l’expression de soi fait écho à la propre trajectoire de Colette, qui s’est battue pour imposer son nom et sa plume dans un monde littéraire encore largement dominé par les hommes. Pendant des années, elle a écrit sous le nom de son mari, Willy, qui s’appropriait ses textes et les publiait en son nom. Son divorce marque pour elle une véritable renaissance artistique et personnelle : elle reprend le contrôle de son œuvre, affirme son indépendance et ose écrire selon ses propres désirs, sans chercher à plaire aux conventions. Les Vrilles de la vigne témoigne de cette transformation, de cette conquête de soi qui passe par l’écriture.
En filigrane, c’est aussi une réflexion sur le prix de la liberté. Car si l’émancipation est une victoire, elle n’est pas sans douleur. Le rossignol ne dort plus, la narratrice ne retrouve plus le « somme heureux », mais elles ont gagné autre chose : la connaissance d’elles-mêmes, la possibilité d’exister selon leurs propres termes. Il y a dans ce texte une mélancolie sous-jacente, une conscience aiguë que la liberté implique un certain isolement, une mise à distance du monde rassurant de l’insouciance. Pourtant, ce renoncement à la facilité n’est pas vécu comme une perte, mais comme une nécessité. Le prix de la liberté, si élevé soit-il, en vaut la peine.

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