📑 TABLE DES MATIÈRES

  1. 📖 Le texte
  2. Introduction
  3. Une mise en scène double
  4. Les thèmes principaux
  5. Une certaine critique …

📖 Le texte

Il m’arrive souvent de rencontrer Claudine. Où ? vous n’en saurez rien. Aux heures troubles du crépuscule, sous l’accablante tristesse d’un midi blanc et pesant, par ces nuits sans lune, claires pourtant, où l’on devine la lueur d’une main nue, levée pour montrer une étoile, je rencontre Claudine…

Aujourd’hui, c’est dans la demi-obscurité d’une chambre sombre, tendue de je ne sais quelle étoffe olive, et la fin du jour est couleur d’aquarium…

Claudine sourit et s’écrie : « Bonjour, mon Sosie ! » Mais je secoue la tête et je réponds : « Je ne suis pas votre Sosie. N’avez-vous point assez de ce malentendu qui nous accole l’une à l’autre, qui nous reflète l’une dans l’autre, qui nous masque l’une par l’autre ? Vous êtes Claudine, et je suis Colette. Nos visages, jumeaux, ont joué à cache-cache assez longtemps. On m’a prêté Rézi, votre blonde amie, on vous a mariée à Willy, vous qui pleurez en secret Renaud… Tout cela finit par lasser, ne trouvez-vous pas ? »

Claudine hésite, hausse les épaules et répond vaguement : « Ça m’est égal ! » Elle enfonce son coude droit dans un coussin, et, comme, par imitation, j’étaie, en face d’elle, mon coude gauche d’un coussin pareil, je crois encore une fois me mirer dans un cristal épais et trouble, car la nuit descend et la fumée d’une cigarette abandonnée monte entre nous…

– Ça m’est égal ! répète-t-elle.

Mais je sais qu’elle ment. Au fond, elle est vexée de m’avoir laissée parler la première. Elle me chérit d’une tendresse un peu vindicative, qui n’exclut pas une dignité un tantinet bourgeoise. Aux nigauds qui nous confondent de bonne foi et la complimentent sur ses talents de mime, elle répond, raide : « Ce n’est pas moi qui joue le pantomime, c’est Colette. » Claudine n’aime pas le music-hall.

Devant son parti pris d’indifférence, je me tais. Je me tais pour aujourd’hui seulement ; mais je reviendrai à la charge ! Je lutterai ! Je serai forte, contre ce double qui me regarde, d’un visage voilé par le crépuscule… Ô mon double orgueilleux ! Je ne me parerai plus de ce qui est à vous… À vous seule, ce pur renoncement qui veut qu’après Renaud finisse toute vie sentimentale ! À vous, cette noble impudeur qui raconte ses penchants ; cette littéraire charité conjugale qui vous fit tolérer les flirts nombreux de Renaud… À vous encore, non pas à moi, cette forteresse de solitude où, lentement, vous vous consumez… Voici que vous avez, tout en haut de votre âme, découvert une retraite qui défie l’envahisseur… Demeurez-y ironique et douce, et laissez-moi ma part d’incertitude, d’amour, d’activité stérile, de paresse savoureuse, laissez-moi ma pauvre petite part humaine, qui a son prix !

Vous avez, Claudine, écrit l’histoire d’une partie de votre vie, avec une franchise rusée qui passionna, pour un temps, vos amis et vos ennemis. Du pavé gras et fertile de Paris, du fond de la province endormie et parfumée, jaillirent, comme autant de diablesses, mille et mille Claudines qui nous ressemblaient à toutes deux. Ronde criarde de femmes-enfants, court-vêtues, libérées, par un coup de ciseaux, de leur natte enrubannée ou de leur chignon lisse, elles assaillirent nos maris grisés, étourdis, éblouis… Vous n’aviez pas prévu, Claudine, que votre succès causerait votre perte. Hélas ! je ne puis vous en garder rancune, mais…

– Mais n’avez-vous jamais, continué-je tout haut, souhaité avec véhémence de porter une robe longue et les cheveux en bandeaux plats ?

Les joues de Claudine se creusent d’un sourire, elle a suivi ma pensée.

– Oui, avoue-t-elle. Mais c’était pure taquinerie contradictoire. Et puis, que venez-vous me parler d’imitatrices ? J’admire votre inconscience, Colette. Vous avez coupé votre traîne de cheveux après moi, s’il vous plaît !

Je lève les bras au ciel.

– Seigneur ! en sommes-nous là ! Vous allez me chercher chicane pour des niaiseries de cet ordre ? Ceci est à moi. – ceci est à toi… Nous avons l’air de jouer La robe – ô mon enfance ! – La robe, du regretté Eugène Manuel !

– Ô notre enfance… soupire Claudine…

Ah ! j’en étais sûre ! Claudine ne résiste jamais à une évocation du passé. À ces seuls mots : « Vous souvenez-vous ? » Elle se détend, se confie, s’abandonne toute… À ces seuls mots : « Vous souvenez-vous ? » elle incline la tête, les yeux guetteurs, l’oreille tendue comme vers un murmure de fontaines invisibles… Encore une fois le charme opère :

– Quand nous étions petites, commence-t-elle… Mais je l’arrête :

– Parlez pour vous, Claudine. Moi, je n’ai jamais été petite.

Elle se rapproche d’un sursaut de reins sur le divan, avec cette brusquerie de bête qui fait craindre la morsure ou le coup de corne. Elle m’interroge, me menace de son menton triangulaire :

– Quoi ! Vous prétendez n’avoir jamais été petite ?

– Jamais. J’ai grandi, mais je n’ai pas été petite. Je n’ai jamais changé. Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles, – la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent… Mais ce que j’ai perdu, Claudine, c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps… Hélas, Claudine, j’ai perdu presque tout cela, à ne devenir après tout qu’une femme… Vous vous souvenez du mot magnifique de notre amie Calliope, à l’homme qui la suppliait : « Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? » Ce mot-là, je n’oserais plus le penser à présent, mais je l’aurais dis, quand j’avais douze ans. Oui, je l’aurais dit ! Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Solide, la voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices, un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcils… Ah ! que vous m’auriez aimée, quand j’avais douze ans, et comme je me regrette !

Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté, qui creuse ses joues sèches, ses joues de chat où il y a si peu de chair entre les tempes larges et les mâchoires étroites :

– Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle. Alors je vous envierais entre toutes les femmes…

Je me tais, et Claudine ne semble pas attendre de réponse. Une fois encore, je sens que la pensée de mon cher Sosie a rejoint ma pensée, qu’elle l’épouse avec passion, en silence… Jointes, ailées, vertigineuses, elles s’élèvent comme les doux hiboux veloutés de ce crépuscule verdissant. Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol sans se disjoindre, au-dessus de ces deux corps immobiles et pareils, dont la nuit lentement dévore les visages ?…


Introduction

Dans le vaste panorama littéraire, la relation entre un auteur et ses créations fictives a souvent été source de fascination et de questionnements. Cette dynamique complexe, où la frontière entre réalité et fiction s’estompe, trouve une illustration saisissante dans la nouvelle Le Miroir de Colette, issue du recueil Les Vrilles de la vigne. Dans ce texte, Colette engage un dialogue introspectif avec son alter ego littéraire, Claudine, offrant ainsi une réflexion profonde sur l’identité, la célébrité et la dualité de l’existence.​

L’histoire littéraire regorge d’exemples où les écrivains ont joué avec leur identité à travers des pseudonymes ou des hétéronymes, brouillant ainsi les frontières entre l’auteur et ses personnages. Romain Gary, par exemple, a créé le personnage d’Émile Ajar, sous lequel il a publié plusieurs romans, dont La Vie devant soi, qui lui valut un second prix Goncourt, exploit unique dans les annales de ce prestigieux prix. De même, l’écrivain portugais Fernando Pessoa a poussé l’exercice à l’extrême en développant plus de 70 hétéronymes, chacun doté d’une biographie et d’un style distincts, illustrant ainsi la multiplicité de l’identité humaine.​

Colette, de son côté, a vécu une expérience singulière avec son personnage de Claudine. Lorsque Claudine à l’école parut en 1900, le roman fut publié sous le nom de son mari, Willy, conformément aux usages de l’époque et aux arrangements du couple. Ce roman semi-autobiographique raconte les aventures d’une adolescente espiègle et libre, inspirée des propres souvenirs scolaires de Colette. Le succès fut immédiat et retentissant, propulsant Claudine au rang d’icône de la littérature française. Ce succès engendra une confusion entre l’auteure et son héroïne, le public associant étroitement Colette à Claudine, au point que des produits dérivés, tels que des vêtements et des parfums, furent commercialisés sous le nom de Claudine. Cette assimilation reflète la difficulté pour Colette de se détacher de son personnage, le public peinant à distinguer la créatrice de sa création.​

Dans « Le Miroir », Colette met en scène une rencontre imaginaire avec Claudine, symbolisant ainsi sa confrontation avec son propre reflet littéraire. La nouvelle s’ouvre sur une atmosphère crépusculaire, où la narratrice décrit des rencontres avec Claudine à des moments indéfinis, renforçant le flou entre réalité et fiction. Cette mise en abyme permet à Colette d’explorer sa propre identité en tant qu’auteure et femme, tout en questionnant l’emprise de son personnage sur sa vie publique et privée.​

La relation entre Colette et Claudine dans « Le Miroir » est empreinte de tension et d’ambiguïté. Colette exprime le désir de se dissocier de Claudine, affirmant : « Je ne suis pas votre Sosie. » Cette déclaration souligne la volonté de l’auteure de se réapproprier son identité, distincte de celle de son personnage. Cependant, la similitude physique et les expériences partagées entre les deux femmes rendent cette séparation complexe, illustrant la difficulté pour un auteur de se détacher de ses créations lorsqu’elles acquièrent une vie propre aux yeux du public.​

Cette confusion entre l’auteur et son personnage n’est pas un cas isolé. Dans le cas de Romain Gary, la création d’Émile Ajar lui permit de s’affranchir de son identité littéraire établie et de renouveler son écriture. Cependant, cette dualité mena à une complexité identitaire, tant pour l’auteur que pour le public, jusqu’à la révélation posthume de la supercherie. Fernando Pessoa, quant à lui, utilisa ses multiples hétéronymes pour explorer différentes facettes de sa personnalité et divers styles littéraires, chaque identité fictive enrichissant l’ensemble de son œuvre.​

Ainsi, que ce soit par le biais de pseudonymes, d’hétéronymes ou de personnages emblématiques, ces auteurs ont tous exploré la notion de double littéraire, questionnant les limites entre l’auteur et sa création, et offrant au lecteur une réflexion sur la multiplicité de l’identité humaine.


Une mise en scène double

​Dans cette nouvelle, Colette met en scène une rencontre introspective entre elle-même et son personnage emblématique, Claudine. Cette confrontation symbolique offre une réflexion profonde sur l’identité, la création littéraire et la relation complexe entre l’auteur et sa création.​

La nouvelle s’ouvre sur une atmosphère crépusculaire, propice à l’introspection. La narratrice évoque des rencontres avec Claudine à des moments indéfinis, renforçant le flou entre réalité et imagination. Cette mise en scène permet à Colette de dialoguer avec son alter ego littéraire, symbolisant une confrontation avec une partie d’elle-même. Ce face-à-face souligne la dualité de l’identité de Colette, partagée entre sa réalité personnelle et l’image publique véhiculée par Claudine.​

Le dialogue entre Colette et Claudine est empreint de tensions et d’ambiguïtés. Colette exprime son désir de se dissocier de Claudine, affirmant : « Je ne suis pas votre Sosie. » Cette déclaration souligne la volonté de l’auteure de se réapproprier son identité, distincte de celle de son personnage. Cependant, la similitude physique et les expériences partagées entre les deux femmes rendent cette séparation complexe, illustrant la difficulté pour un auteur de se détacher de ses créations lorsqu’elles acquièrent une vie propre aux yeux du public.​

Le titre « Le Miroir » évoque d’emblée le thème du reflet et de la dualité. La nouvelle explore la notion de miroir non seulement comme objet physique, mais aussi comme symbole de l’identité fragmentée. Colette et Claudine se reflètent l’une dans l’autre, créant une illusion d’unité tout en accentuant leur distinction. Ce jeu de miroirs met en évidence la confusion entre l’auteure et son personnage, questionnant la frontière entre l’original et la copie, entre la réalité et la fiction.​

La narration souligne cette confusion à travers des descriptions où les deux femmes semblent se confondre : « Je crois encore une fois me mirer dans un cristal épais et trouble, car la nuit descend et la fumée d’une cigarette abandonnée monte entre nous… » Cette image illustre la difficulté de distinguer l’auteure de son personnage, renforçant le thème de l’identité trouble.​

À travers cette nouvelle, Colette déconstruit le mythe de Claudine, personnage qui l’a rendue célèbre mais qui l’a également enfermée dans une image réductrice. En confrontant Claudine, Colette exprime son désir de se libérer de cette emprise et de revendiquer sa propre identité en tant qu’auteure indépendante. Cette démarche littéraire témoigne de la volonté de Colette de se réapproprier son œuvre et de se distinguer de son personnage, offrant ainsi une réflexion sur la création artistique et la quête d’identité.​

La nouvelle se termine d’ailleurs sur une note d’ambiguïté, laissant le lecteur s’interroger sur la nature de la relation entre Colette et Claudine. Cette conclusion ouverte reflète la complexité de l’identité et la difficulté de se détacher de ses propres créations.


Les thèmes principaux

​Colette explore avec une profondeur remarquable des thèmes universels tels que l’identité, la dualité, le poids du passé, la nostalgie de l’enfance, la condition féminine et l’émancipation. À travers une mise en scène introspective, l’auteure offre une réflexion sur la complexité de l’être, les méandres du temps et les défis liés à la féminité.

La question de l’identité est au cœur de Le Miroir. Colette met en scène une rencontre entre elle-même et son personnage littéraire, Claudine, symbolisant ainsi la dualité entre l’auteure et sa création. Cette confrontation souligne la difficulté d’être soi-même lorsque l’on est devenu un personnage public, une problématique que Colette a personnellement vécue.

Claudine, héroïne des premiers romans de Colette, a rapidement acquis une notoriété qui a souvent éclipsé celle de l’auteure elle-même. Le public associait étroitement Colette à son personnage, rendant floue la frontière entre la réalité de l’auteure et la fiction de Claudine. Dans Le Miroir, Colette exprime ce malaise à travers un dialogue avec Claudine, où elle affirme : « Je ne suis pas votre Sosie. » Cette déclaration marque une volonté de se dissocier de son personnage, de revendiquer une identité propre distincte de celle de sa création littéraire.

Cette dualité est renforcée par le jeu de miroirs présent tout au long de la nouvelle. Le miroir, objet central du récit, symbolise le reflet de soi, mais aussi l’altérité. Colette et Claudine se regardent, se reflètent l’une dans l’autre, créant une confusion entre l’original et la copie. Ce jeu de reflets interroge sur la véritable identité de l’auteure : est-elle simplement le reflet de son personnage ou possède-t-elle une existence indépendante ? Cette mise en abyme souligne la complexité de l’identité, surtout lorsque celle-ci est exposée au regard public.

La nostalgie de l’enfance est un thème récurrent dans l’œuvre de Colette, et Le Miroir ne fait pas exception. La nouvelle évoque une époque révolue, celle de l’innocence et de la simplicité, contrastant avec la réalité présente marquée par la désillusion. Colette se remémore son enfance à travers Claudine, personnage inspiré de sa propre jeunesse. Cette réminiscence est teintée de mélancolie, reflétant le poids du passé et la fuite inexorable du temps.

La confrontation avec Claudine permet à Colette d’explorer cette nostalgie. Elle se souvient de l’époque où elle était « une reine de la terre à douze ans », exprimant ainsi la puissance et la liberté ressenties durant sa jeunesse. Cependant, cette époque est révolue, et l’auteure est désormais confrontée à la réalité de l’âge adulte, avec ses contraintes et ses désillusions. Cette dualité entre le passé idéalisé et le présent désenchanté souligne le poids du temps qui passe et l’irréversibilité des expériences vécues.

La désillusion est également présente dans la prise de conscience des limites imposées par la société. Colette, en tant que femme et auteure, a dû faire face à des obstacles et des préjugés qui ont entravé son épanouissement. Cette réalité contraste avec la liberté et l’insouciance de son enfance, accentuant le sentiment de perte et de nostalgie.

Le Miroir offre également une réflexion sur la condition féminine et l’émancipation. Claudine, personnage insouciant et libéré, incarne une féminité affranchie des conventions sociales. Elle est audacieuse, indépendante et vit selon ses propres règles, défiant les normes de son époque. Cette représentation contraste avec celle de Colette, plus mûre et consciente des limites imposées aux femmes.

Colette a vécu à une époque où les femmes étaient souvent reléguées à des rôles subalternes, limitées par des attentes sociétales strictes. Son mariage avec Willy, qui publiait ses œuvres sous son propre nom, est un exemple des contraintes auxquelles elle était confrontée. Cependant, Colette a progressivement brisé ces chaînes, s’affirmant en tant qu’auteure indépendante et explorant des thèmes tels que la sexualité féminine, l’amour et l’émancipation.

Dans Le Miroir, cette dualité est mise en évidence à travers le dialogue entre Colette et Claudine. Claudine représente une version idéalisée de la femme libre, tandis que Colette incarne la réalité de la lutte pour l’émancipation. Cette interaction souligne les défis auxquels les femmes sont confrontées dans leur quête d’indépendance et d’égalité.

La nouvelle aborde également la question de l’image publique et de la perception de la féminité. Claudine est perçue comme une figure de liberté et de modernité, tandis que Colette est souvent réduite à cette image, occultant sa véritable personnalité et ses aspirations. Cette réduction reflète les stéréotypes et les attentes sociétales envers les femmes, limitant leur individualité et leur complexité.


Une certaine critique …

Colette propose une réflexion profonde sur la réception littéraire de son œuvre et sur le succès de son personnage emblématique, Claudine. À travers une mise en abyme subtile, l’auteure interroge la relation complexe entre la créatrice et sa création, tout en explorant les implications du succès littéraire sur son identité personnelle et publique.​

Claudine, héroïne des premiers romans de Colette, a rapidement acquis une notoriété qui a dépassé les intentions initiales de l’auteure. Dès la publication de Claudine à l’école en 1900, le personnage a suscité un engouement considérable, au point de devenir une véritable icône de la littérature française. Ce phénomène rappelle celui de Sherlock Holmes, créé par Arthur Conan Doyle, qui a également échappé au contrôle de son créateur pour vivre une existence propre dans l’imaginaire collectif.​

Dans Le Miroir, Colette illustre cette autonomie de Claudine en la présentant comme un double avec lequel elle dialogue. Ce face-à-face symbolise la manière dont le personnage a pris le pas sur l’auteure, s’émancipant de sa créatrice pour devenir une entité indépendante aux yeux du public. Cette personnification de Claudine souligne la difficulté pour Colette de se réapproprier son œuvre et de se distinguer de son personnage.​

Le succès fulgurant de Claudine a plongé Colette dans une ambivalence profonde. D’une part, elle éprouve une certaine fierté face à l’impact de son œuvre ; d’autre part, elle ressent une forme d’emprisonnement, étant constamment associée à un personnage qui finit par la définir aux yeux du public. Cette dualité est perceptible dans Le Miroir, où le dialogue entre Colette et Claudine reflète les sentiments contradictoires de l’auteure.​

Colette exprime ce tiraillement en évoquant la manière dont Claudine a été perçue par le public et les critiques. Le personnage, initialement conçu comme une représentation partielle de l’auteure, est devenu une figure publique à part entière, reléguant parfois Colette au second plan. Cette situation a conduit l’auteure à ressentir une forme de rejet envers son propre personnage, tout en reconnaissant la place prépondérante de Claudine dans sa carrière littéraire.​

Le Miroir offre également une méditation sur la postérité et sur la manière dont les œuvres et leurs créateurs sont perçus par les générations futures. Colette s’interroge sur la pérennité de son œuvre et sur l’identité qui restera gravée dans la mémoire collective : celle de Claudine, le personnage emblématique, ou celle de Colette, l’auteure aux multiples facettes.​

Cette interrogation est d’autant plus pertinente que Claudine a marqué son époque, influençant même la mode parisienne du début du XXᵉ siècle. Cependant, avec le temps, la figure de Colette s’est affirmée, et son œuvre a été reconnue pour sa richesse et sa diversité. Aujourd’hui, bien que Claudine demeure un personnage marquant de la littérature française, c’est l’ensemble de l’œuvre de Colette qui est célébré, témoignant de la complexité et de la profondeur de son écriture.​

En somme, Le Miroir met en lumière la complexité de la relation entre un auteur et son personnage, tout en offrant une critique subtile de la réception littéraire et des implications du succès sur l’identité personnelle. À travers cette nouvelle, Colette invite le lecteur à réfléchir sur la nature de la célébrité littéraire et sur la manière dont les personnages peuvent éclipser leurs créateurs, posant ainsi la question de la véritable identité qui perdure dans la mémoire collective.


Laisser un commentaire