📚 TABLE DES MATIÈRES

  1. La symbolique de la soif
  2. Satire des mœurs religieuses

Dans le chapitre VII l’auteur exploite le potentiel comique et satirique de la figure de Gargantua en développant une scène où le personnage principal reçoit son nom. Par l’intermédiaire de ce baptême et de ses premières interactions avec le monde, Rabelais utilise des procédés humoristiques pour établir Gargantua comme un être fondamentalement marqué par la démesure, la soif et le désir.


La symbolique de la soif

Le chapitre commence avec une scène où Grandgousier, père de Gargantua, entend les premiers cris de son fils, qui réclame « à boire ! » dès sa naissance. L’étymologie de son nom, inspirée par le cri du nourrisson, devient une sorte de prophétie : ce géant aura un appétit de vie (et de boisson) démesuré. En effet, « Gargantua » évoque la dimension gigantesque du gosier du personnage et souligne l’importance du thème de la soif dans l’œuvre. Ce détail renvoie à une image de l’excès et de l’abondance, des thèmes chers à Rabelais.

Le fait que Gargantua soit nourri par dix-sept mille neuf cent treize vaches, un nombre volontairement absurde, accentue son gigantisme et sa démesure. Rabelais joue ici avec l’hyperbole pour dénoncer les excès humains et pour souligner l’absurdité de certaines pratiques ou croyances. Cet aspect humoristique contraste avec les récits héroïques ou religieux de l’époque, en se plaçant dans une perspective comique où même la nourriture et la boisson prennent des proportions énormes. Rabelais fait également allusion aux docteurs scotistes, partisans d’une doctrine scolastique, qui affirment que la mère de Gargantua pouvait fournir des quantités astronomiques de lait. En qualifiant cette affirmation de « mamellement scandaleuse » et hérétique, Rabelais se moque de l’érudition déconnectée de la réalité, mettant en scène la faculté de certains théologiens et docteurs à rationaliser des idées absurdes.


Satire des mœurs religieuses

Le jeune Gargantua, décrit avec « presque dix-huit mentons » et une tendance irrépressible à se « conchier à toute heure », incarne une parodie des excès de l’homme. À travers cette caricature physique grotesque, Rabelais critique la gloutonnerie et la débauche des classes dirigeantes et religieuses de son époque. Ces traits grotesques de Gargantua soulignent la satire de Rabelais à l’égard de la noblesse et de l’Église, qui prêchent la modération mais vivent souvent dans l’excès. Ce portrait ironique vise à démystifier l’image idéale que ces institutions cultivent pour elles-mêmes.

De plus, la réaction de Gargantua aux sons des pintes et des flacons est particulièrement satirique : on le voit entrer dans une extase proche des « joies du paradis » lorsqu’il entend des verres tinter, comme si ces plaisirs sensoriels équivalaient à des expériences spirituelles. Rabelais critique ici la superficialité de la dévotion religieuse, suggérant que certains fidèles confondent plaisir matériel et spiritualité authentique. Par cette comparaison, il renvoie à une critique implicite de l’hypocrisie de ceux qui cherchent à obtenir des plaisirs immédiats sous couvert de pratiques dévotionnelles.

Enfin, la scène où Gargantua est baptisé, en suivant les « coutumes des bons chrétiens », renforce cette critique. Ce baptême parodique qui se concentre davantage sur le « gosier » du personnage que sur son âme est une illustration de la façon dont Rabelais perçoit les rites religieux : non comme des actes de foi sincères, mais comme des formalités souvent vides de sens. En insistant sur le caractère assoiffé et joyeux de Gargantua, l’auteur invite les lecteurs à réfléchir sur les valeurs de son temps et, en particulier, sur la nature de la religion et de la piété, qui semblent incompatibles avec le monde gargantuesque qu’il dépeint.

Rabelais n’écrit pas seulement pour faire rire, bien que l’humour soit l’un des principaux attraits de Gargantua ; il utilise également le rire pour faire passer des critiques profondes et satiriques sur les institutions de son époque. Derrière la caricature d’un géant au gosier insatiable se cache une réflexion humaniste sur la nature humaine, la liberté, et les plaisirs de la vie. En dotant son personnage d’une « constitution divine » qui le fait réagir de manière presque religieuse au bruit des pintes et des flacons, Rabelais célèbre une forme de jouissance terrestre et charnelle, en contraste avec l’austérité religieuse. Cette scène, à la fois comique et satirique, illustre parfaitement l’ambition de Rabelais : il souhaite que ses lecteurs rient, mais qu’ils pensent aussi, qu’ils remettent en question et qu’ils se réapproprient leur rapport aux valeurs sociales, politiques et spirituelles.


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