📚 TABLE DES MATIÈRES

  1. Une naissance grotesque
  2. Satire des pratiques médicales
  3. Une perspective humaniste

Le chapitre VI où Rabelais décrit la naissance extraordinaire du personnage, est l’une des scènes les plus emblématiques de son œuvre, mêlant burlesque, critique sociale et érudition humaniste. En suivant le parcours de Gargantua de l’estomac de sa mère jusqu’à son oreille, le récit défie non seulement les normes biologiques mais aussi les conventions littéraires.


Une naissance grotesque

Dans ce chapitre, Rabelais utilise le corps humain comme source d’humour grotesque. L’accouchement de Gargantua par l’oreille de sa mère est une parodie qui subvertit le processus naturel de la naissance. La douleur de Gargamelle est d’abord dépeinte de manière comique : elle souffre après avoir mangé des tripes en trop grande quantité, ce qui est à l’origine de ce curieux accouchement. En intensifiant cette situation burlesque, Rabelais met en scène un ensemble de sages-femmes qui tâtonnent maladroitement, croyant que des morceaux de peau sont des parties du bébé, alors qu’ils ne sont que des déchets intestinaux.

Cette représentation extravagante de l’accouchement vise à choquer le lecteur et à provoquer le rire à travers des images scatologiques et irrévérencieuses. Les descriptions corporelles outrées rappellent les fabliaux médiévaux où l’humour repose sur la matérialité du corps et ses fonctions physiologiques. Le choix de faire naître Gargantua par l’oreille est une façon pour Rabelais de surprendre et de détourner les attentes du lecteur, en illustrant son goût pour le burlesque et l’invraisemblable.


Satire des pratiques médicales

La naissance de Gargantua est également une satire des savoirs médicaux et des croyances superstitieuses de l’époque. En effet, les sages-femmes présentes autour de Gargamelle administrent un traitement astringent si puissant qu’il ferme tous les « sphincters » de la patiente, créant ainsi une situation physiologiquement absurde. Cette satire vise les pratiques médicales médiévales qui, selon Rabelais, manquent souvent de rigueur scientifique. Les sages-femmes, représentant un savoir empirique peu fiable, sont ici tournées en dérision, et leur intervention est dépeinte comme une intrusion dans le processus naturel.

Ce passage sert aussi à critiquer la crédulité des gens face aux récits mythologiques ou fabuleux. Rabelais interrompt la narration pour s’adresser directement au lecteur et l’inviter à exercer son esprit critique. En évoquant des exemples de naissances mythologiques (comme Bacchus, né de la cuisse de Jupiter, ou Minerve, issue du crâne de Jupiter), il rappelle que la mythologie et la fiction contiennent des éléments tout aussi invraisemblables, mais qui sont acceptés sans questionnement. Cette référence aux mythes anciens permet à Rabelais de relativiser l’étrangeté de son propre récit, tout en incitant le lecteur à se méfier des récits invraisemblables et à réfléchir par lui-même.


Une perspective humaniste

Rabelais, en bon humaniste, démontre dans ce passage une vaste érudition en faisant appel à des connaissances mythologiques et historiques. Les références à des personnages tels que Pline l’Ancien et à des naissances extraordinaires ancrent le texte dans une tradition savante, mais servent aussi de support à une parodie des autorités. En intégrant des anecdotes invraisemblables tirées de la mythologie ou des récits antiques, il souligne la tendance des érudits à accepter des récits non fondés comme des vérités. Cette critique de l’autorité littéraire s’inscrit dans une vision humaniste, qui encourage le lecteur à remettre en question les connaissances reçues et à développer un esprit d’analyse.

Par ailleurs, ce passage reflète les valeurs humanistes de Rabelais qui valorise la raison individuelle et la capacité de discernement. En invitant ses lecteurs à lire avec une distance critique, il rejette toute forme de dogmatisme. La naissance de Gargantua par l’oreille devient un symbole de ce que Rabelais espère voir émerger chez ses lecteurs : une pensée libre, non soumise aux autorités de la tradition. Dans cette perspective, le texte se transforme en un acte de libération intellectuelle, encourageant l’audace et la curiosité intellectuelle.

Le chapitre VI de Gargantua est une brillante illustration du génie de Rabelais, qui parvient à combiner un humour farcesque avec une critique profonde des savoirs et des croyances de son époque. À travers le grotesque, il interroge les connaissances empiriques et mythologiques, tout en valorisant la pensée critique propre aux humanistes. Ce chapitre nous rappelle que, pour Rabelais, le savoir ne doit pas être aveuglément accepté mais continuellement questionné.


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