📚 TABLE DES MATIÈRES

  1. Une parodie des autorités antiques : la grossesse prolongée de Gargamelle
  2. Satire des mœurs sociales et des institutions juridiques
  3. L’humour truculent de Rabelais

Dans le chapitre III, l’auteur développe une histoire délibérément exagérée sur la conception et la grossesse de Gargantua, personnage mythique, fils de Grandgousier et de Gargamelle. Ce chapitre regorge de références érudites et d’humour rabelaisien, une combinaison qui confère à cette œuvre une dimension satirique et critique.

Une parodie des autorités antiques : la grossesse prolongée de Gargamelle

Dans ce chapitre, Rabelais nous conte que Gargamelle, la mère de Gargantua, porta son fils durant onze mois, ce qui dépasse la durée d’une grossesse normale. Pour appuyer cette idée absurde, Rabelais se réfère à une série de personnalités antiques et médiévales considérées comme des autorités dans les domaines de la médecine et de la philosophie, tels qu’Hippocrate, Aristote, Pline l’Ancien, Aulu-Gelle, et d’autres. Ces références servent non seulement à conférer une apparente légitimité à la naissance tardive de Gargantua, mais elles participent également à la parodie d’un discours érudit.

Ce procédé est un outil satirique puissant dans le contexte de la Renaissance, période durant laquelle les humanistes redécouvraient les textes antiques et accordaient un grand respect à ces sources. Rabelais, en humaniste lui-même, connaissait parfaitement ces textes et pouvait en détourner le sens à des fins humoristiques. En multipliant les citations de façon exagérée, il fait une critique subtile de la tendance de certains érudits à s’appuyer aveuglément sur des autorités antiques, même dans des situations où le bon sens devrait primer. Ainsi, Rabelais se moque de la crédulité des savants qui légitiment des absurdités par des arguments d’autorité.

L’idée de la grossesse prolongée symbolise également le caractère exceptionnel de Gargantua, qui deviendra un être prodigieux, destiné à accomplir de grandes prouesses. En comparant cette gestation prolongée à celle de héros mythologiques ou divins, comme Hercule ou l’enfant de Neptune mentionné par Homère, Rabelais inscrit Gargantua dans une lignée héroïque, tout en ridiculisant cette conception de la grandeur en la ramenant à des situations terre-à-terre et burlesques.


Satire des mœurs sociales et des institutions juridiques

Rabelais ne se contente pas de parodier les autorités intellectuelles : il critique également les mœurs sociales et les pratiques juridiques de son époque, notamment autour de la filiation et des droits des veuves. Dans le passage sur les lois permettant aux veuves de concevoir un enfant jusqu’à onze mois après le décès de leur époux, Rabelais critique de façon moqueuse l’ambiguïté de certaines pratiques juridiques qui permettaient aux veuves d’avoir des relations après la mort de leur mari tout en assurant à leur progéniture une légitimité successorale.

Par cette référence, Rabelais vise à exposer le ridicule des lois et coutumes qui, par des interprétations alambiquées, permettaient de légitimer des enfants nés bien après le décès du père supposé. Il y voit une hypocrisie sociale et un aveuglement légal qui révèlent le désir des familles d’assurer une continuité de l’héritage, même si cela implique de détourner la loi. Cette critique est accentuée par le ton ironique et par les expressions rabelaisiennes, comme « jouer de la jarretière », qui renvoient directement aux plaisirs charnels. La sexualité des veuves est abordée avec une légèreté et une franchise qui sont en rupture avec les conventions littéraires de l’époque.

Le discours de Rabelais invite donc à questionner la rigidité des normes sociales et juridiques, en montrant combien celles-ci sont soumises aux intérêts personnels des familles et à des arrangements parfois absurdes. Cette satire touche directement les institutions de son époque, révélant les contradictions d’une société qui se veut morale, mais qui fait preuve de souplesse quand il s’agit d’héritage et de biens matériels.


L’humour truculent de Rabelais

L’une des marques de fabrique de Rabelais est son humour corporel, souvent jugé trivial ou vulgaire, mais qui sert en réalité à célébrer la vie humaine dans toutes ses dimensions, y compris celles que l’on considère souvent comme basses ou indécentes. Dans ce chapitre, il présente Grandgousier comme un personnage truculent, grand amateur de bonne chère et de boissons fortes, entouré de mets salés comme des jambons de Bayonne, des langues de bœuf fumées et des andouilles. En dressant ce portrait, Rabelais crée un personnage vivant et proche du peuple, un « bon vivant » qui incarne la jouissance des plaisirs terrestres.

Ce style, souvent qualifié de « pantagruélique », repose sur une valorisation du corps, des besoins et des plaisirs. Rabelais célèbre les appétits humains, qu’ils soient gastronomiques, sexuels ou liés à l’expérience sensorielle en général. Cette représentation contrastait avec la vision plus ascétique du Moyen Âge, qui valorisait la privation et la mortification du corps. Par son écriture, Rabelais défend l’idée d’un humanisme joyeux qui reconnaît la valeur de tous les aspects de la condition humaine, même les plus triviaux.

L’humour scatologique, loin d’être gratuit, permet également à Rabelais de toucher un large public en rendant ses personnages plus accessibles et humains. En se moquant des élites intellectuelles et des institutions, il utilise le langage populaire pour affirmer la supériorité d’une sagesse populaire, en contact direct avec la réalité du monde. Cet humour et ce style truculent soulignent l’attachement de Rabelais à une vision du monde où la vitalité et l’humanité l’emportent sur les dogmes et les conventions.

Le chapitre III est donc un modèle de satire rabelaisienne : il mêle érudition parodique, critique sociale et humour truculent pour offrir une réflexion acerbe sur les institutions et les valeurs de son temps. En plaçant le lecteur face à une grossesse impossible et en accumulant des références érudites, Rabelais se moque des savants et des juristes, tout en défendant un humanisme populaire. À travers Grandgousier et Gargamelle, il célèbre la vie humaine dans toutes ses dimensions, invitant son lecteur à remettre en question les normes et à embrasser une vision plus joyeuse et libre de l’existence humaine.


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