
📚 TABLE DES MATIÈRES
Le chapitre XXI est un passage, satirique et riche en exagérations, et qui offre une critique mordante de l’éducation médiévale en illustrant l’idéologie humaniste.
portrait grotesque d’une éducation contre-productive
Dans ce chapitre, Rabelais décrit la routine de Gargantua sous la tutelle de ses anciens précepteurs sophistes, exagérant chaque aspect pour mettre en lumière les absurdités de cette éducation. Dès le début, le récit se concentre sur les justifications absurdes des précepteurs : Gargantua se lève tard, entre huit et neuf heures, sous prétexte d’un passage biblique détourné : « Il est vain de vous lever avant le jour. » Ce détournement ironique souligne la paresse des maîtres et leur capacité à manipuler les textes religieux pour légitimer des comportements peu recommandables.
Une fois levé, Gargantua s’adonne à des pratiques de toilette minimalistes : il se peigne avec ses doigts, les « quatre doigts et le pouce », que Rabelais appelle ironiquement le « peigne d’Almain ». Les précepteurs considèrent que se laver ou se peigner convenablement est une perte de temps, illustrant une vision déformée où l’entretien du corps est méprisé au profit d’une prétendue spiritualité. Cette routine reflète non seulement un désintérêt pour l’hygiène corporelle, mais aussi une critique plus large des valeurs inculquées par l’éducation médiévale : la négligence du concret et du pratique.
Rabelais pousse la satire encore plus loin en décrivant la gloutonnerie de Gargantua au petit déjeuner, où il consomme « de belles tripes frites, de belles carbonades, de beaux jambons… » Ces excès alimentaires, encouragés par ses maîtres, sont justifiés par une théorie farfelue selon laquelle le petit déjeuner favoriserait la mémoire. Cette gloutonnerie s’accompagne d’une justification pseudoscientifique et autoritaire, Gargantua citant, par exemple, le pape Alexandre et son médecin juif pour défendre ses habitudes. Par ce portrait exagéré, Rabelais ridiculise l’usage abusif des arguments d’autorité, caractéristique des sophistes.
Une fausse dévotion
L’aspect religieux de l’éducation de Gargantua est également tourné en dérision dans ce chapitre. Après un petit déjeuner copieux, Gargantua se rend à l’église, accompagné d’un bréviaire massif « pesant onze quintaux et six livres », et assiste à « vingt-six ou trente messes ». Ce tableau exagéré dépeint une religiosité purement formelle, où la quantité d’actes pieux l’emporte sur la sincérité de la dévotion. La récitation des chapelets est également caricaturée, Gargantua en prononçant « plus que seize ermites » tout en se promenant dans les cloîtres.
Rabelais critique ici le ritualisme vide de sens, une spiritualité déconnectée des réalités humaines et des besoins intellectuels. En multipliant les messes et les prières mécaniques, les sophistes inculquent à Gargantua une religion de surface, dépourvue de réflexion ou d’engagement personnel. Cette hyperbole sert à dénoncer les excès de la scolastique médiévale, souvent tournée vers des pratiques stériles au lieu de cultiver une foi authentique et éclairée.
L’ironie de cette fausse dévotion est renforcée par l’attitude des figures religieuses elles-mêmes. Par exemple, le « diseur d’heures » de Gargantua, engoncé dans son manteau, marmonne les prières tout en ayant « immunisé son haleine à grand renfort de sirop de la vigne », suggérant qu’il est sous l’influence de l’alcool. Cette image grotesque des hommes d’Église participe à la critique rabelaisienne des institutions religieuses et de leur incapacité à offrir un modèle moral ou intellectuel.
Une critique humaniste
La véritable cible de Rabelais dans ce chapitre est l’éducation scolastique médiévale, qu’il juge obsolète et inefficace. L’emploi du temps de Gargantua est une parodie de l’apprentissage : il étudie à peine « une méchante demi-heure », mais son esprit est ailleurs, « son âme en la cuisine ». Ce détournement ironique illustre le manque d’intérêt pour l’étude inculqué par ses anciens précepteurs, qui privilégient la mémorisation et le formalisme au détriment de la compréhension et de la réflexion critique.
Le repas de Gargantua, qui suit cette courte période d’étude, est une nouvelle occasion pour Rabelais de critiquer la démesure et l’absurdité de cette éducation. Le jeune géant consomme d’énormes quantités de nourriture, notamment des « douzaines de jambons » et des « langues de bœuf fumées », tout en buvant de façon immodérée. Cette gloutonnerie est encouragée par ses précepteurs, qui ne fixent « jamais de fin, ni de règle particulière » en matière de boisson, arguant que les limites se reconnaissent lorsque « le liège des pantoufles du buveur enflait de la hauteur d’un demi-pied ».
À travers cette hyperbole, Rabelais dénonce une éducation centrée sur l’excès et le formalisme, incapable de former des esprits éclairés ou des individus équilibrés. En opposition à cette vision, Rabelais prône une éducation humaniste, fondée sur l’équilibre entre le corps et l’esprit, l’apprentissage actif et la réflexion critique. Ce chapitre prépare ainsi le lecteur à découvrir les réformes pédagogiques mises en place par Ponocrates, qui incarne l’idéal éducatif humaniste.
Le chapitre XXI de Gargantua est une pièce maîtresse de la critique rabelaisienne de l’éducation médiévale. À travers un portrait exagéré et burlesque, Rabelais met en lumière les travers d’un système éducatif obsolète, fondé sur l’autorité, le ritualisme et l’excès. Cette critique s’inscrit dans une perspective humaniste, appelant à une réforme profonde des méthodes pédagogiques pour promouvoir une éducation équilibrée, centrée sur le développement de l’esprit critique et la pleine réalisation du potentiel humain.
En somme, ce chapitre invite le lecteur à réfléchir sur les valeurs et les objectifs de l’éducation, tout en offrant un exemple éclatant de l’humour et de l’esprit subversif de François Rabelais.
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