
📚 TABLE DES MATIÈRES
- Le blanc : symbole universel de joie, de pureté et de lumière
- Le bleu : symbole du ciel et des aspirations célestes
Dans le chapitre X de Gargantua, Rabelais explore la signification des couleurs blanche et bleue en plongeant dans un symbolisme complexe qui relie traditions religieuses, culturelles, philosophiques et même physiologiques. Ce passage témoigne de la richesse intellectuelle et de la profondeur des idées de Rabelais, qui sait, avec ironie et érudition, manier la symbolique pour toucher à la nature humaine et aux réalités de son époque.
Le blanc : symbole universel de joie, de pureté et de lumière
Rabelais commence son analyse en associant la couleur blanche à la joie et au plaisir. Pour justifier cette correspondance, il utilise la logique aristotélicienne des contraires. Il explique que si l’on oppose les concepts de joie et de tristesse, ou de blanc et de noir, alors si le noir représente le deuil et la tristesse, le blanc doit logiquement être associé à la joie. En reliant la couleur blanche au plaisir, Rabelais inscrit cette signification dans une logique qui dépasse la simple opinion personnelle. Il parle d’un « droit des gens », un principe universel qui transcende les frontières culturelles et qui est, selon lui, ancré dans la nature humaine. Cet argument est inspiré de l’humanisme, un mouvement qui cherche à promouvoir l’idée d’une nature humaine universelle.
Il étaye cette association avec des exemples historiques et culturels bien choisis. Il rappelle d’abord une tradition ancienne des Thraces et des Crétois, qui marquaient les jours heureux avec des pierres blanches, tandis que les jours malheureux étaient signalés par des pierres noires. Il évoque ensuite la Rome antique, où les généraux victorieux entraient dans la ville en triomphe sur des chars tirés par des chevaux blancs. Ce détail symbolique montre que le blanc était lié à l’idée de victoire et de célébration. Rabelais poursuit avec des références bibliques pour donner plus de profondeur spirituelle à son propos : lors de la Transfiguration, par exemple, les vêtements de Jésus deviennent « blancs comme la lumière », signifiant la pureté et la gloire divine. Les anges sont également décrits en vêtements blancs dans les Évangiles lors des apparitions post-résurrection du Christ, témoignant de la victoire sur la mort et de la joie universelle.
Pour Rabelais, cette symbolique du blanc ne s’arrête pas aux croyances religieuses ou aux coutumes, mais elle touche aussi à une compréhension plus naturelle et physiologique. Il mentionne l’effet de la lumière blanche sur l’esprit humain : elle dissipe la mélancolie, apporte une clarté visuelle et symbolise le bien-être et la joie. Il va même jusqu’à évoquer un phénomène curieux dans la nature : le lion, bien qu’animal puissant, craint le coq blanc, symbole de la lumière solaire, ce qui représente, pour Rabelais, une sorte d’hommage involontaire rendu par la nature à la couleur blanche en tant que signe de force morale.
Enfin, Rabelais discute d’une observation physiologique intéressante : il explique que la joie, tout comme la lumière blanche, « dissout » les esprits vitaux du cœur. Ce phénomène est si intense qu’il pourrait théoriquement mener à la mort par une surabondance de joie, une idée que Rabelais justifie en mentionnant des cas historiques de personnages qui, submergés de joie, en sont morts. Dans cette perspective, la couleur blanche n’est pas seulement une couleur agréable, elle est aussi puissante, parfois dangereuse, car elle touche aux limites de l’expérience humaine.
Le bleu : symbole du ciel et des aspirations célestes
Rabelais associe également la couleur bleue au ciel et aux réalités célestes. Il le fait de manière plus concise, mais le contraste entre le blanc et le bleu renforce l’idée que ces deux couleurs, tout en étant liées, ont des significations distinctes dans le monde de la symbolique. Si le blanc symbolise la joie et la pureté sur terre, le bleu est associé à des aspirations plus élevées, à la contemplation du ciel et aux réalités spirituelles. Le bleu, couleur du ciel diurne, est naturellement perçu comme la demeure des divinités, des anges, et des réalités supérieures. Par cette correspondance, le bleu devient ainsi le symbole d’un monde au-delà du terrestre, évoquant des notions de paix, de sérénité et de profondeur spirituelle.
Dans ce passage, Rabelais s’inscrit dans la tradition médiévale et de la Renaissance où les couleurs ont des significations bien établies. Le bleu, couleur des manteaux des Vierges dans l’art chrétien de l’époque, symbolisait l’éternité, la sagesse et la fidélité, toutes des valeurs célestes. En attribuant au bleu cette signification, Rabelais exprime indirectement l’idée que l’homme, bien que tourné vers le monde et ses plaisirs, est aussi appelé à contempler des réalités plus hautes et spirituelles.
Pour Rabelais, la combinaison du blanc et du bleu résume parfaitement les aspirations humaines : le blanc représente les plaisirs terrestres, accessibles, tandis que le bleu évoque une dimension spirituelle, plus lointaine. Cette dualité reflète les idées humanistes de Rabelais, qui valorise autant les plaisirs de la vie que la quête de sagesse et de compréhension des mystères de l’univers. En liant ces deux couleurs, il ne fait pas que décrire des symboles ; il invite ses lecteurs à réfléchir aux liens entre le matériel et le spirituel, entre les plaisirs terrestres et la sagesse céleste.
En somme, le chapitre X offre bien plus qu’une simple explication de la symbolique des couleurs : c’est une véritable méditation humaniste sur la joie, la lumière, et l’élévation spirituelle. Rabelais utilise les couleurs blanche et bleue pour guider ses lecteurs à travers une réflexion qui touche à la fois à l’expérience humaine quotidienne et à des aspirations spirituelles élevées.
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