Voltaire, pseudonyme de François-Marie Arouet, demeure le symbole impérissable de l’esprit critique français et de l’engagement intellectuel universel. Figure centrale du XVIIIe siècle, il a transformé la littérature en une arme redoutable contre l’injustice, le fanatisme et l’arbitraire. Son œuvre monumentale, traversant les genres du conte à la tragédie, a forgé les bases de la tolérance et de la laïcité modernes. De la Bastille à la cour de Prusse, puis de l’exil anglais à sa retraite souveraine de Ferney, son parcours incarne la quête de liberté. Aujourd’hui, Voltaire continue d’éclairer les consciences, ses écrits restant des piliers de l’éducation républicaine et du débat démocratique. Découvrez comment, celui qu’on surnommait le patriarche de Ferney a su allier la plume à l’action pour bâtir un monde guidé par la seule lumière de la raison.



Repères biographiques

L’existence de François-Marie Arouet, né le 21 novembre 1694 à Paris, constitue l’un des récits les plus denses et les plus significatifs de l’histoire intellectuelle européenne. Fils cadet de François Arouet, un notaire au Châtelet solidement ancré dans la bourgeoisie parisienne, le futur Voltaire perd sa mère à l’âge de sept ans, en 1701. Orphelin de mère, l’enfant est rapidement confié aux soins pédagogiques des jésuites du prestigieux collège Louis-le-Grand en 1704. Ses études, qu’il mène avec brio jusqu’en 1711, lui permettent d’acquérir une maîtrise exceptionnelle de la rhétorique classique, du latin et de la poésie, tout en tissant des liens durables avec la jeunesse aristocratique de l’époque. C’est au sein de cet établissement que se forge son esprit de répartie, mais aussi une certaine défiance envers l’autorité dogmatique, bien qu’il y reçoive des prix d’excellence pour sa poésie latine.   

Dès 1706, son parrain, l’abbé de Châteauneuf, l’introduit dans les milieux libertins de la société du Temple, où le jeune homme brille par son esprit et ses vers précoces. Malgré la volonté paternelle de le voir embrasser une carrière juridique, Arouet se détourne des études de droit entamées en 1711 pour se consacrer entièrement à la littérature et aux fréquentations mondaines de la cour de Sceaux. Sa vie est alors marquée par une série de provocations qui le mènent à plusieurs reprises vers l’exil et l’emprisonnement. En 1713, un séjour à La Haye en tant que secrétaire diplomatique se termine en scandale romanesque avec Olympe Du Noyer, dite « Pimpette », une protestante qu’il tente d’enlever, provoquant la fureur de son père qui menace de l’envoyer à Saint-Domingue.

Portrait du jeune Voltaire tenant un livre
Portrait du jeune voltaire

Le passage à l’âge adulte est scellé par la confrontation avec le pouvoir politique. En 1716, des vers satiriques contre le Régent, qui lui sont attribués, le conduisent à un exil forcé de six mois à Sully-sur-Loire. L’année suivante, une récidive supposée le mène à la Bastille pour onze mois, une période d’enfermement paradoxalement féconde durant laquelle il ébauche son grand poème épique sur Henri IV, La Ligue. À sa sortie en 1718, il adopte officiellement le nom de Voltaire et triomphe avec sa tragédie Œdipe, qui installe sa renommée de dramaturge à seulement 24 ans. Sa fortune s’établit progressivement, aidée par la mort de son père en 1722 et par des spéculations financières habiles, notamment sur les loteries royales en 1729, qui lui assureront une indépendance financière totale tout au long de sa vie.   

Le tournant majeur de sa biographie survient en 1726. Une querelle avec le chevalier de Rohan-Chabot, qui méprise son nom roturier, aboutit à une bastonnade humiliante infligée par les laquais du noble. Voltaire, cherchant réparation par le duel, est à nouveau embastillé avant d’être contraint à l’exil en Angleterre. Ce séjour outre-Manche de 1726 à 1728 agit comme une révélation philosophique. Il y découvre la science expérimentale d’Isaac Newton, dont il assiste aux funérailles nationales en 1727, ainsi que le libéralisme politique et la tolérance religieuse de la monarchie parlementaire britannique. Son retour en France est marqué par la publication des Lettres philosophiques en 1734, un ouvrage si subversif qu’il est condamné au bûcher par le Parlement de Paris, forçant l’écrivain à se réfugier à Cirey, en Champagne.   

La période de Cirey (1734-1744) est dominée par sa relation intellectuelle et amoureuse avec Émilie du Châtelet, une femme de sciences exceptionnelle qui l’initie à la physique newtonienne et aux mathématiques. Dans ce refuge studieux, Voltaire travaille à des œuvres historiques et scientifiques majeures, tout en continuant à produire des tragédies à succès comme Zaïre. Après le décès de la marquise en 1749 et un passage infructueux à la cour de Louis XV, Voltaire accepte l’invitation de Frédéric II de Prusse et s’installe à Potsdam en 1750. Cependant, l’idéal du despote éclairé s’effondre rapidement ; une brouille amère avec le roi le contraint à quitter la Prusse en 1753.   

Interdit de séjour à Paris, Voltaire finit par s’installer durablement aux confins de la France et de Genève. Il achète la maison des « Délices » en 1755, avant d’acquérir en 1758 la seigneurie de Ferney, qui deviendra son véritable royaume philosophique. À Ferney, Voltaire endosse le rôle de « patriarche » et d’entrepreneur. Il transforme un hameau misérable de 200 âmes en une petite ville industrieuse et prospère de 1 000 habitants, y développant l’élevage de vers à soie et surtout une manufacture royale d’horlogerie qui exporte ses pièces dans toute l’Europe, jusqu’à la cour de Catherine II de Russie. C’est depuis ce refuge qu’il mène ses grands combats pour la justice, réhabilitant la mémoire de Jean Calas et défendant les victimes de l’intolérance religieuse.   

Son existence s’achève par une apothéose parisienne. En 1778, après 28 ans d’absence, il revient dans la capitale pour assister à la création de sa dernière tragédie, Irène. Acclamé par la foule et couronné à l’Académie, il s’éteint le 30 mai 1778 à l’âge de 84 ans. Sa mort pose un ultime défi aux autorités : enterré presque clandestinement à l’abbaye de Scellières à cause de son anticléricalisme, ses restes seront transférés triomphalement au Panthéon par les révolutionnaires en 1791, consacrant son statut de père spirituel des libertés républicaines.

Estampe du transfert des cendres de Voltaire au Panthéon
Transfert des cendres de Voltaire au Panthéon

Les principales œuvres de Voltaire

  • Amulius et Numitor (1706) : Sa première tragédie, dont seuls des fragments subsistent.    
  • Œdipe (1718) : Tragédie fondatrice marquant son premier grand succès public et financier.    
  • La Ligue ou Henri le Grand (1723) : Première version du poème épique La Henriade.    
  • L’Indiscret (1725) : Comédie en vers témoignant de son succès dans les cercles mondains de la Régence.    
  • Essay upon the Civil Wars of France (1727) : Ouvrage rédigé en anglais durant son exil, analysant les déchirements religieux français.    
  • La Henriade (1728) : Version définitive de son poème épique célébrant la tolérance de Henri IV.    
  • Histoire de Charles XII (1731) : Premier grand ouvrage historique, écrit avec une rigueur documentaire novatrice.    
  • Zaïre (1732) : Tragédie de l’intolérance religieuse et de l’amour, son plus grand triomphe théâtral.    
  • Le Temple du goût (1733) : Critique littéraire mêlant prose et vers, affirmant ses principes esthétiques.    
  • Lettres philosophiques ou Lettres anglaises (1734) : Manifeste des Lumières faisant l’éloge du modèle politique et scientifique anglais.    
  • Le Mondain (1736) : Poème provocateur faisant l’éloge du luxe et du progrès matériel contre l’ascétisme.    
  • Alzire ou les Américains (1736) : Tragédie explorant les thèmes de la colonisation et du choc des cultures.    
  • Éléments de la philosophie de Newton (1738) : Ouvrage de vulgarisation scientifique crucial pour la diffusion du newtonianisme en France.    
  • Mahomet ou le Fanatisme (1741) : Tragédie dénonçant les dangers de l’aveuglement religieux.    
  • Mérope (1743) : Tragédie centrée sur les sentiments maternels, rencontrant un accueil public enthousiaste.    
  • Zadig ou la Destinée (1748) : Conte philosophique interrogeant la providence à travers un cadre oriental imaginaire.    
  • Le Siècle de Louis XIV (1751) : Chef-d’œuvre historiographique plaçant la culture au centre de l’histoire d’une nation.    
  • Micromégas (1752) : Conte de science-fiction utilisant le décentrement spatial pour critiquer les certitudes humaines.    
  • Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) : Réflexion poétique sur la souffrance humaine et les limites de l’optimisme.    
  • Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756) : Travail monumental d’histoire universelle incluant les civilisations non-chrétiennes.    
  • Candide ou l’Optimisme (1759) : Son conte le plus célèbre, satire cinglante de la philosophie providentialiste de Leibniz.    
  • Traité sur la tolérance (1763) : Cri de ralliement contre le fanatisme rédigé suite à l’exécution de Jean Calas.    
  • Dictionnaire philosophique portatif (1764) : Recueil alphabétique d’articles critiques sur la religion, la politique et la morale.    
  • L’Ingénu (1767) : Conte satirique critiquant les institutions françaises par le regard d’un Huron « sauvage ».    
  • La Princesse de Babylone (1768) : Conte mêlant merveilleux et propagande philosophique pour une société éclairée.    
  • Le Taureau blanc (1774) : Conte philosophique tardif parodiant les récits bibliques.    
  • Irène (1778) : Sa dernière tragédie, dont le succès accompagna son ultime retour à Paris.    

Les grands thèmes

L’œuvre de Voltaire est irriguée par une volonté farouche de soumettre toutes les institutions et les croyances à l’examen de la raison. Le thème central, qui unifie ses combats, est la lutte contre « l’infâme », terme par lequel il désigne le fanatisme religieux et la superstition institutionnalisée. Voltaire ne s’attaque pas à la foi en soi, mais à la tyrannie des âmes exercée par les églises organisées, particulièrement le catholicisme de l’Ancien Régime, qu’il juge responsable de siècles de guerres et de persécutions. Sa haine du fanatisme se manifeste par une défense infatigable de la tolérance, qu’il considère non seulement comme une vertu morale, mais comme une condition sine qua non de la paix civile et du progrès social.   

Son positionnement religieux est celui du déisme, ou théisme, qu’il oppose tant à l’athéisme qu’au dogmatisme chrétien. Pour Voltaire, l’existence d’un « Dieu horloger » est une nécessité logique : l’ordre complexe de l’univers implique un créateur intelligent. Cependant, ce Dieu reste lointain et n’intervient pas dans les affaires humaines par des miracles ou des révélations privées. Ce déisme utilitaire postule que la croyance en un Être Suprême est un garant moral nécessaire pour le peuple, bien que le philosophe lui-même s’interroge sur la nature profonde du mal après le séisme de Lisbonne. Cette remise en cause de l’optimisme providentialiste est le moteur de Candide, où il dénonce l’idée que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » comme une forme de fatalisme aveugle.   

Le combat pour la justice et la réforme du système judiciaire occupe une place prépondérante dans ses dernières décennies. À travers les affaires Calas, Sirven et du chevalier de La Barre, Voltaire invente la figure de l’intellectuel engagé qui mobilise l’opinion publique contre l’arbitraire du pouvoir royal et ecclésiastique. Il dénonce la torture, les condamnations sans preuves et l’influence des dogmes religieux sur les sentences des tribunaux. Son plaidoyer pour la liberté d’expression et de conscience s’accompagne d’une critique acerbe des structures sociales de son temps, notamment l’esclavage et les privilèges excessifs de la noblesse et du clergé. Dans ses contes, comme Candide, la rencontre avec le nègre de Surinam mutilé sert de dénonciation cinglante du coût humain du confort européen.   

Enfin, Voltaire propose une vision nouvelle de l’histoire et de la civilisation. Il rompt avec l’historiographie traditionnelle centrée sur les rois et les batailles pour s’intéresser au « génie des nations », c’est-à-dire aux progrès des arts, des sciences et des mœurs. Dans l’Essai sur les mœurs, il intègre les civilisations orientales et américaines, plaidant pour une reconnaissance de l’unité de l’espèce humaine malgré sa diversité culturelle. Son libéralisme politique prône une monarchie encadrée par des lois, inspirée du modèle parlementaire anglais, où le commerce et l’industrie sont valorisés comme des vecteurs de civilisation et de « douceur des mœurs ». 


Le style et l’écriture

Le style de Voltaire se caractérise par une clarté limpide et une concision qui visent à l’efficacité immédiate de la pensée. Héritier de la grande tradition classique, il privilégie la brièveté et la précision, évitant les fioritures rhétoriques pour laisser place à l’évidence du raisonnement. Sa langue est conçue comme un pont entre les nécessités intellectuelles et les impressions sensibles, cherchant à éveiller chez le lecteur une conscience claire des enjeux philosophiques par un éclat stylistique constant. Cette économie de moyens permet à ses phrases de porter une charge polémique redoutable, où chaque mot est choisi pour son pouvoir de suggestion ou de dénonciation.   

L’ironie est l’instrument de prédilection de la prose voltairienne. Elle ne se limite pas à un simple trait d’esprit, mais devient une véritable méthode de déconstruction des préjugés. En utilisant l’antiphrase, la litote ou le paradoxe, Voltaire force le lecteur à participer activement au déchiffrement du sens caché, rendant la critique d’autant plus mémorable qu’elle naît d’une réflexion personnelle induite par le texte. Le rire voltairien, souvent qualifié de « sardonique », est une arme de destruction massive contre le dogmatisme : en ridiculisant ses adversaires plutôt qu’en les combattant par de longs traités austères, il mine leur autorité de manière irréversible.

Caricature d'un paysant portrant un noble et un prélat
Une caricature imagée de l’époque de Voltaire : Un paysan portant un haut dignitaire ecclésiastique et un nôble.

L’innovation stylistique la plus marquante de Voltaire reste la création du conte philosophique. Ce genre hybride, qu’il considérait lui-même comme mineur, lui permet de contourner la censure tout en diffusant ses idées de manière ludique. Le conte fonctionne comme un apologue ou une parabole laïque, où les personnages, souvent réduits à des archétypes ou à des idées incarnées (comme Candide pour l’ingénuité ou Pangloss pour l’optimisme), parcourent le monde pour en tester la réalité face aux théories. Le rythme ininterrompu du récit, les péripéties accumulées et le mélange des registres (tragique, comique, merveilleux) empêchent le lecteur de s’ennuyer tout en l’amenant vers une conclusion morale pragmatique.   

Enfin, l’écriture de Voltaire repose sur l’art du décentrement et du regard étranger. En mettant en scène des voyageurs venus d’autres mondes (Micromégas) ou de cultures dites « sauvages » (L’Ingénu), il crée une distance critique qui révèle l’absurdité des coutumes européennes. Ce dispositif permet de dénaturaliser les institutions sociales et religieuses, les faisant apparaître comme des constructions arbitraires plutôt que comme des vérités universelles. La correspondance de Voltaire complète cet arsenal stylistique : avec plus de 15 000 lettres adressées à toute l’Europe savante, il adapte son ton à chaque interlocuteur, de la flatterie diplomatique à l’invective pamphlétaire, faisant de sa plume l’organe central de la « République des Lettres ».   


Voltaire dans les programmes scolaires

L’étude de Voltaire constitue un pilier de l’enseignement secondaire en France, servant de point de départ pour l’apprentissage de l’esprit critique et de l’histoire des idées. Bien souvent, dès la classe de quatrième au collège, Voltaire est présenté comme l’archétype du philosophe des Lumières dans le cadre du programme d’histoire-géographie. Les élèves explorent ses combats contre l’absolutisme et pour la tolérance religieuse, en s’appuyant sur des épisodes biographiques comme ses séjours en Angleterre ou sa vie à Ferney. L’accent est mis sur la naissance de l’opinion publique et la diffusion des idées nouvelles par l’Encyclopédie et les voyages, avec une attention particulière portée à sa critique de l’esclavage à travers des extraits de Candide.   

Au lycée, Voltaire est une figure centrale de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle » pour les classes de première et de seconde. Ses œuvres continuent d’irriguer les parcours associés à l’argumentation. Bien que les œuvres intégrales prescrites varient (comme CandideZadig ou l’étude du Dictionnaire philosophique), l’objectif pédagogique demeure d’analyser les « armes » argumentatives de l’auteur : l’ironie, le conte et le dialogue philosophique. Les enseignants utilisent ses textes pour former les élèves à l’explication linéaire et à la dissertation, les invitant à réfléchir sur des notions telles que la liberté d’expression et la séparation des pouvoirs.   

Les ressources pédagogiques modernes, notamment celles proposées par le château de Ferney-Voltaire, permettent d’aborder des facettes plus méconnues du personnage, comme son rôle d’entrepreneur et son intérêt pour les sciences et techniques. Des visites thématiques sur « Voltaire et les rouages du temps » font le lien entre l’horlogerie de Ferney et les progrès du XVIIIe siècle, offrant une approche interdisciplinaire entre littérature, histoire et sciences. De plus, les programmes d’EMC (Enseignement Moral et Civique) utilisent souvent le Traité sur la tolérance pour discuter des fondements de la laïcité et du respect des convictions d’autrui dans une société démocratique.   


Pour aller plus loin

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