Samedi 14 janvier 2023
L’eau pharmakon
Ce matin j’hésite. Cela fait quelques jours que l’on annonce une météo qui va en s’empirant. Les prévisions ont même fini par classer ce samedi en code jaune, c’est à dire des rafales pouvant dépasser les 75km/h et des pluies abondantes. Je regarde par la fenêtre et il n’y a rien, si ce n’est un calme absolu. L’hiver est la saison de l’hibernation même pour l’humain, j’ai beau rester le nez collé à la vitre, il n’y a aucun mouvement. Le monde est encore dans les bras de Morphée alors que l’insomniaque que je suis est déjà en pleine réflexion : vais-je marcher aujourd’hui ? Je fini par décider d’y aller quand même, après tout, l’application météo indique que le code jaune commencerait seulement en début d’après-midi. Il est 8 heures et cela me laisse le temps de traverser l’Amblève et, d’ainsi faire ma deuxième marche de l’année.
J’enjambe cette rivière devenue meurtrière un jour de juillet. Je n’habitais pas encore dans la région mais j’ai vu les images tourner en boucle du cours d’eau devenu en l’espace de quelques minutes un torrent dévastateur, raflant tout sur son passage, avant de se jeter dans le confluent de l’Ourthe donnant à cette dernière une force encore plus dévastatrice. Je m’arrête au milieu du pont pour regarder les remous et ne peut m’empêcher de me remémorer cette fameuse crue de la nuit du 13 et 14 juillet 2021.
L’eau a une telle force et une telle qualité liquide qu’elle peut détruire n’importe quelle construction humaine aussi solide soit-elle. Elle vous frappe d’un grand coup ou elle vous travaille à l’usure, grignotant chaque millimètre jusqu’à rendre l’édifice aussi fragile qu’un château de cartes. À l’opposée, l’eau peut aussi se laisser apprivoiser. Celle des bords de mer, des plages, des piscines, vous tolère. Elle se laisse gentiment amadouer mais peut soudainement devenir votre pire ennemi.
Pour le moment, je la longe, regardant son agitation le long d’un chemin qui borde l’Amblève. Une rangée de maisons s’aligne dans le paysage. Elles aussi ont dû subir les affres de l’eau mais je remarque avec étonnement que seules quelques-unes ont des stigmates visibles. Les autres font comme si de rien n’était ou ont déjà eu le temps de panser leurs plaies. Peut-être faut-il voir ici la force de résilience chez l’être humain. Nous avons en nous toujours assez de force pour nous relever, aller de l’avant, se recréer, se réinventer, digérer, capitaliser sur cette douleur afin de l’intégrer et en faire une allié. Comme si le monstre Résilience avait digéré la petite Souffrance. Je laisse sur ma gauche une majestueuse bâtisse du 18ème siècle qui hurle son “Propriété privé” afin de m’engager dans les bois. Une longue montée m’attends et je me rappelle de l’épisode précédent où je fus en nage dès les premiers mètres. Cette fois-ci, je régulerais mieux ma cadence, mon rythme, afin de doser intelligemment l’effort.
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