Parc. Terrain clos où se réunit chaque jour le gang des poussettes. Elles ratissent calmement les allées jusqu’à ce que l’occupant du carrosse, son altesse royale, fasse un signe à son esclave de parent afin d’arrêter le cortège. Il faut comprendre ses cris. Ils ne sont qu’une simple injonction : “laisse-moi jouer avec les autres !”. Le parc se transforme alors en une tempête de petits monstres qui hurlent leur joie de vivre à qui veut bien l’entendre, de la fleur piétinée à l’oiseau envolé, et de la statue prise d’assaut jusqu’au canard gavé de pain blanc.
À l’écart des babils, vous trouverez ces amoureux fauchés qui n’ont nul besoin de restaurant étoilé ni de bague sertie. Ils ont le luxe de s’offrir la simplicité d’un moment suspendu avec vue sur la vie. Un indémodable ! Tout comme les bancs, que seraient les parcs sans eux ? Ces postes d’observation où se déroule toujours une scène, une action, une émotion. Aujourd’hui, à cet endroit précis, sur ce mélange de fer et de bois, débute le festival international du film d’amour dont le film en avant-première est Rendez-vous manqués. Vous serez au première loge !
Hormis cela, le parc est avant tout une rupture dans le paysage vertical de nos villes. Un pied de nez à l’empilement des logements et à la rentabilisation de l’espace. Un morceau de nature aménagée nécessaire aux urbains qui ne sont plus à même d’avoir cette connexion charnelle avec leur environnement naturel. Peut-être faudrait-il justement se poser dans un parc et revenir aux fondamentaux en relisant un classique de la littérature américaine : Walden ou la vie dans les bois (1).
Qui était Thoreau ?

Malgré le fait que Walden soit l’une des œuvres littéraires les plus importantes des États-Unis, son auteur, Thoreau, reste méconnu du grand public francophone. Né à Concord en 1817, il vécut une courte vie dans la durée puisqu’il mourut à l’âge de 44 ans mais son existence fut d’une rare justesse humaine. Les concessions ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Ainsi il était un fervent opposant à l’esclavage au point d’inspirer Martin Luther King en personne. S’il y a bien un fait qui caractérise Thoreau c’est qu’il était un homme de principes. Ce n’est pas un hasard si on lui doit la création du manifeste sur la désobéissance civile tant il portait haut les couleurs de la liberté. Sans doute cela laisse-t-il à penser qu’il était du genre à agiter les foules ? La réalité fut tout autre puisqu’il vivait loin des agitations, dans la plus grande simplicité et en accord avec la nature. Une vie exemplaire qu’il nous est permis de lire dans Walden, le récit de ses deux années passées à l’écart des villes.
Une vie dans les bois
Cette autobiographie de 371 pages compile son expérience de vie solitaire dans les bois. Elle suit une trame logique qui est celle de suivre Thoreau depuis la genèse de son projet jusqu’à l’aboutissement de celui-ci. Walden est le compte rendu des pensées de l’auteur pendant deux années passées en quasi autonomie. Il n’est pas aisé de classer cet ouvrage dans un style particulier puisqu’il y est question de poésie, philosophie et d’éloge de la nature sur un fond romanesque. Le livre n’est pas ardu par son style mais par ses références américaines. Certains passages ou jeux de mots peuvent tomber à plat si l’on n’est pas un peu initié à la culture Outre-Atlantique. Mieux vaut le savoir même si l’intérêt majeur du livre ne réside pas dans son style. 😉

Le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même. Voici une citation de Gandhi qui pourrait résumer Walden tant le chemin emprunté par Thoreau est la réalisation de soi tout en restant le plus simple possible. L’auteur américain nous raconte quelle a été sa démarche quand il a commencé à construire sa cabane. Cela devait être fonctionnel, respecter l’environnement, et surtout ce projet devait lui laisser du temps de qualité car Thoreau trouvait qu’il ne fallait en aucun cas devenir l’esclave de sa propre vie :
« Je lui dis que je ne consommais ni thé, ni café, ni beurre, ni lait, ni viande fraîche, et que je n’avais de ce fait pas à travailler pour me procurer ces produits; que, de plus ne travaillant pas beaucoup, je n’avais pas besoin de manger beaucoup, et que ma nourriture ne me coûtait quasiment rien; mais que lui, en revanche, habitué au thé, au café, au beurre, au lait, à la viande de bœuf, il devait travailler dur pour payer ces denrées ; puis lorsqu’il avait travaillé dur il devait manger tout aussi dur pour restaurer son organisme… » (2)
Dans Walden, l’écrivain américain nous explique aussi les détails de ce projet. Rien n’est laissé au hasard, à tel point que Thoreau nous fait la comptabilité du coût de sa cabane. Il nous raconte d’où sont venus les matériaux pour construire sa maison, comment il a réussi à vivre en autosuffisance alimentaire en cultivant uniquement ce dont il avait besoin de manger. Qu’elle soit alimentaire, laborieuse, ou affective, ce naturaliste avait une insatiable volonté de s’affranchir de toute servitude.
Enfin, ce livre continue d’être un classique car il entre en résonance avec notre époque. Il en est l’antithèse utile. Walden est un parti pris sur la place de l’homme dans l’environnement, une ode à la contemplation où l’auteur est capable d’observer la nature pendant des heures et de s’émerveiller de la beauté du monde. Thoreau a réussi à sortir des sentiers battus et nous montre que tout est déjà là sous nos yeux. Une œuvre intemporelle à relire pour nous rappeler que la vie est d’une simplicité confondante 😉.
« Dans ma maison, j’avais trois chaises : une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour le monde. » (3)
(1) THOREAU D., Walden ou la vie dans les bois, Éditions Gallmeister, 2017.
(2) Ibid., P.230
(3) Ibid., P.161
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