Du cœur européen de Saint-Pétersbourg à la terre lointaine et sauvage du Kamtchatka, il n’y a pas une ville russe qui ne célèbre le poète Alexandre Pouchkine à travers une statue ou un nom de rue. L’illustre auteur est un monument — au sens propre comme au figuré — qui est visible partout en Russie et dont les vers s’apprennent par cœur dès le plus jeune âge. Il fait partie intégrante de la culture populaire du pays, allant même jusqu’à s’immiscer subtilement dans la langue parlée.
Pouchkine est considéré comme le fondateur de la littérature russe moderne car il dynamita les codes de l’écriture, qui faisaient alors la part belle aux analogies mythologiques et aux envolées lyriques pompeuses. Il simplifia le niveau de langage en allant à l’essentiel et rendit la lecture accessible au plus grand nombre. Mais si sa notoriété a dépassé les frontières, c’est aussi en raison de sa vie mouvementée qui le propulsa au rang de légende. Vous trouverez dans les lignes ci-dessous, quelques éléments biographiques qui jalonnèrent son existence.
Alexandre Sergueïevitch Pouchkine naquit le 26 mai 1799 à Moscou. Il est issu d’une famille de la noblesse russe dont la mère est Nadejda Ossipovna, une descendante d’Abraham Hannibal, l’ancien esclave africain qui finit sa carrière comme général en chef dans l’armée impériale russe. Du côté paternel, le poète est le fils de Sergueï Lvovitch Pouchkine, un militaire féru de littérature francophone. Ainsi, l’enfant Pouchkine hérita du physique mulâtre de sa mère et de l’amour des livres français par son père. Mélange détonnant pour l’époque s’il en est.

Un des éléments structurants de la vie du futur poète est l’absence de sa mère qui préfère s’occuper de tâches plus « nobles » que de s’occuper de son fils. Elle délègue cette corvée à une bonne d’enfants, Arina Rodionovna, de qui Pouchkine restera très proche au point de la considérer comme sa deuxième mère. Bien que vivant dans une famille de nobles, l’enfant côtoie alors la paysannerie de près. D’un côté sa grand-mère lui raconte des histoires sur la bourgeoisie tandis qu’Arina lui transmet, avec amour, le folklore des contes paysans. Un mélange de styles qui restera ancré en lui et dans ses futurs écrits.
À 6 ans, Pouchkine a un accès quotidien à la bibliothèque française de son père et découvre déjà le Cid ou le bourgeois gentilhomme ainsi que tant d’autres classiques qu’il n’aura de cesse de lire à peine quelques années plus tard tandis que la majorité des autres enfants de son âge n’ont pas la chance d’avoir accès à ce genre de lectures (éclairées pour l’époque). On retrouve aussi sur les étagères du père Pouchkine, Voltaire ou encore La Fontaine qui influenceront grandement Alexandre.
Quand le poète en herbe est à l’aube de l’adolescence, l’argent commence à manquer du côté des parents. Ils cherchent par tous les moyens de garder la tête hors de l’eau mais aussi de maintenir leur rang dans la bourgeoisie russe. C’est à la même époque que le lycée impérial du tsar est créé en Russie et les parents Pouchkine jouent des coudes afin que le jeune Alexandre puisse l’intégrer. Cela leur permettrait non seulement de ne plus avoir de frais pour ce dernier mais aussi de lui assurer une carrière toute tracée. Les efforts entrepris par les parents finissent par payer et Alexandre franchit la porte du prestigieux lycée alors qu’il n’a pas encore 12 ans.

Les élèves y apprennent les bases scolaires mais sont aussi au cœur de l’appareil d’État russe quand Napoléon entreprend sa campagne de Russie et se casse les dents sur un Moscou en feu avant de battre en retraite lors de la fameuse bataille de la Bérézina. Les adolescents du lycée sont aux premières loges quand cette page de l’Histoire s’écrit. Mais cette expérience n’empêche nullement les lycéens de s’adonner à leur passe-temps favori : la poésie ! Ainsi, chacun rédige des poèmes dans un style qui lui est singulier, et ceux de Pouchkine se font déjà remarquer tant et si bien que lors d’un examen de passage il déclame son texte À un ami poète devant un jury mais aussi devant Derjavine qui n’est autre que le poète russe le plus respecté à cette époque. Tous restent sans voix, fascinés par les talents d’un Pouchkine prodige qui arrive à captiver son auditoire ainsi qu’à susciter les émotions les plus fortes. Cet épisode le fera entrer dans une certaine notoriété alors qu’il est à peine âgé de 15 ans.

Le 9 juin 1817, le poète, dont l’ascension populaire continue sa progression, termine sa dernière année scolaire et est promu du lycée impérial. Il retourne à la campagne pour quelque temps, y fréquente les serfs de son domaine pour qui il a une affection toute particulière mais très vite ses obligations le renvoient en ville où la débauche fait partie du quotidien du poète. Il écrit d’ailleurs des vers de plus en plus subversifs contre l’État et ses ministres, si bien que le tsar Alexandre 1er en personne se charge de l’envoyer se faire oublier dans le Caucase.
Cette période est l’occasion pour Pouchkine d’affiner sa plume. Il se défait du trop plein d’emphase et dépouille son écriture des clichés mythologiques. Ces années passées dans le Caucase sont celles où il rédige le prisonnier du Caucase ainsi que les premières parties d’Eugène Onéguine. Il y a bien évidemment une jeune fille qui se cache derrière tout ça. Il s’agit de Maria Volkonskaïa dont l’auteur russe sera amoureux. Mais quel type d’amoureux est-il ? Pas sérieux pour un kopeck ! Pouchkine enchaîne les conquêtes et débride sa vie sous tous ses aspects: donjuanisme, jeux d’argent et caractère exalté l’emmènent tout droit vers ses premiers duels dont il sortira indemne.
Le point d’orgue de son passage dans le Caucase est une relation qu’il aurait entretenue avec la femme du gouverneur de la ville d’Odessa. La conséquence ne se fera pas attendre puisqu’il est renvoyé dans son domaine de Mikhaïlovskoïé avec une surveillance accrue de ses écrits qui sont de plus en plus jugés nuisibles pour le gouvernement. Pouchkine a alors 25 ans en 1824 et passe ses journées à écrire, encore et toujours. Il planche à nouveau sur Eugène Onéguine, termine son poème les Tsiganes et publie sa tragédie théâtrale Boris Godounov dont l’épilogue a de curieuses ressemblances avec la fin et la mort du tsar Alexandre 1er qui disparait au même moment.
L’intronisation d’un nouveau tsar, Nicolas 1er, se fait sur fond d’insurrection décabriste et les moindres opposants au régime autocratique sont réprimés avec force et vigueur. On ne compte plus les arrestations, les pendaisons et les déportations en Sibérie. Parmi les décabristes se trouvent une flopée de connaissances de Pouchkine. La surveillance s’accroît autour du poète et Nicolas 1er au lieu de l’envoyer au bagne le convoque pour lui annoncer que c’est lui, en personne, qui se chargera de relire et de censurer les écrits de Pouchkine si cela s’avérait nécessaire.

Et puis, l’âge aidant, l’auteur russe se met en tête de mettre un coup d’arrêt à sa vie d’amusement. Il jette alors son dévolu sur une jeune fille de la noblesse moscovite : Nathalie Gontcharova. Après moult hésitations, la mère de Nathalie décide d’octroyer la main de sa vie à Pouchkine mais dès le début de leur relation et puis de leur mariage, qui a lieu le 18 février 1831, rien ne va comme il le faudrait. La jeune épouse rêve d’une vie de bals dans les fastes des soirées pétersbourgeoises tandis que sa mère et le poète se détestent cordialement. Pour ne rien arranger, des chroniqueurs littéraires, que l’on soupçonne d’être envoyés par le gouvernement, se font de plus en plus virulents à l’égard des écrits du poète.
Malgré les problèmes récurrents dans leur couple, Nathalie et Alexandre Pouchkine auront quatre enfants mais cela n’effacera pas leurs différences. D’un côté la jeune Nathalie a été forcée de se marier trop tôt et du côté du poète on se demande bien pourquoi il se mit en tête de se marier alors qu’il menait jusque-là une vie certes dissolue mais en accord avec son caractère compliqué. Peut-être voulait-il sincèrement s’apaiser et vivre plus calmement à la campagne? Mais quel drôle de choix de s’allier avec une jeune femme qui rêvait de grande vie et de palais clinquants.
C’est d’ailleurs à l’un des luxueux bals organisés par le tsar qu’apparaît un certain d’Anthès. Il est l’exact opposé de Pouchkine tant physiquement que moralement, et Nathalie ne tarde pas à succomber au charme de ce nouveau soupirant sans pour autant aller plus loin que de se laisser séduire — autre époque, autres mœurs. Mais il est déjà trop tard, les gens parlent et ceux qui veulent voir tomber Pouchkine voient là une occasion inespérée de provoquer le poète russe dans ses faiblesses. D’Anthès tente tant bien que mal de faire diversion pendant quelque temps en mariant la sœur de Nathalie mais c’était sans compter sur l’arrivée de lettres anonymes et sarcastiques chez le poète russe le félicitant d’avoir été promu au rang de cocu magnifique.
Il n’en faut pas beaucoup plus pour que le poète provoque d’Anthès en duel afin de régler définitivement cette affaire. Ainsi, le 8 février 1837, les deux hommes se retrouvent à un endroit convenu, non loin de Saint-Pétersbourg, et Pouchkine qui a tant de fois flirté avec les provocations n’en sortira, cette fois, pas indemne.
Il meurt quelques jours plus tard, le 10 février 1837, à l’âge de 37 ans et laisse derrière lui des écrits ayant marqués des générations d’écrivains et de poètes.

En bonus voici une vidéo de la chaîne Le Russe facile avec Diana et qui évoquent quelques faits intéressants sur Alexandre Pouchkine avec des sous-titres en français. 😉
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