Juin est le mois idéal pour visiter New-York. Le froid polaire s’est fait la malle depuis belle lurette et la fournaise urbaine n’a pas encore étouffé les avenues bondées de Manhattan. Il flotte comme un air de dolce vita sur les bords de l’Hudson. À moi les bagels, l’Apollo et les ballades dans Chelsea ! 

C’était de cette façon qu’aurait dû commencer mon trip dans cette ville mythique, sauf qu’il y a toujours une galaxie de différence entre la théorie et la pratique, entre le fantasme et la réalité, entre le New-York imaginé et celui vécu. Le ciel américain m’a accueilli de son plus beau sourire gris anthracite et ses larmes de joie, sous forme de crachin d’accueil, ont transpercé mes vêtements pendant les deux premiers jours jusqu’à ce que je me décide de me sécher à la chaleur d’œuvres d’art dont celles du Museum of Modern Art

L’artiste mise à l’honneur était alors la chanteuse islandaise Björk. Une créatrice de musique qui m’a toujours laissé un sentiment ambivalent. Entre émotions épidermiques et cris de chats torturés. Comme si la ligne de démarcation entre génie et arnaque était aussi fine qu’une crêpe dentelle de Bretagne ! Björk m’exaspère quand elle torture les sons jusqu’à les rendre inaudibles et m’impressionne par sa capacité à nous partager son monde, sans faux-semblant, en dehors des radars et des modes. Elle ne pouvait qu’être islandaise, cette île où la population compose quotidiennement avec le feu, la terre, l’air et l’eau. Loin de nos standards du goût, l’Islande reste un mystère pour moi. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte à nouveau lors de la lecture du roman d’Einar Már Guðmundsson: Les Rois d’Islande (1).

Foutraque

Autant balancer la sauce d’un coup. Ce livre m’a laissé sur le côté de la route. Abandonné, seul face à cette avalanche de noms qui grésillaient et m’arrachaient les yeux. S’il n’y en avait eu que quelques-uns, cela aurait été gérable. Je les aurais bien gribouillés sur un morceau de papier ces Àstvaldur, Halldòr, Thórhallur et autres Jeggvan, mais là, impossible de suivre ce torrent glacé de syllabes improbables, il en pleuvait de toutes parts. Il me fallait impérativement colmater la brèche au risque de balancer le bouquin par la fenêtre. J’ai fini par trouver le moyen d’arrêter cette tempête nominale via une méthode imparable qui s’actionne en combo: la lecture en mode je-m’en-foutiste agrémentée d’une ouverture totale aux délires de l’auteur !

L’histoire est celle de la descendance fictive des Knudsen. Une famille du cru islandais qui règne sur la ville de Tangavik et produit son lot de ministres véreux, d’ivrognes bipolaires et bandits marins. L’auteur n’y va pas par quatre chemins pour dresser le portrait acide d’une Islande corrompue où la médiocrité côtoie la notoriété publique. Sous les traits sans scrupules des Knudsen, l’écrivain nous balance une certaine idée de la modernité dans un pays resté dans l’ombre pendant des siècles.

“ On dit parfois que notre société a perdu son sens de l’humour, pour faire place à la cupidité, à l’oisiveté et au clinquant. Ce n’est peut-être pas faux.

Une nation qui, jadis, croyait aux elfes et aux fantômes ne jure plus que par les indicateurs financiers et les courbes d’inflation. On peut même hypothéquer les poissons qui nagent dans la mer et emprunter sur leur dos. Le système économique sombre dans l’ésotérisme, la magie envahit le réel, peut-être même faut-il parler de réalisme magique.

Or, quand le sens de l’humour se perd, tout devient dérisoire. “ (2)

Le mystère islandais

Tel un drakkar qui fend les mers à toute allure, le rythme du roman fait feu de tout bois et déploie une cadence qui risque de perdre plus d’un lecteur en chemin. Quiconque voudrait démystifier l’Islande en lisant ce le livre se retrouverait face à une masse impénétrable aussi dure que de la roche magmatique. Alors, est-ce la faute à la traduction ? À une histoire qui fait référence à des évènements dont seuls les spécialistes nordiques connaissent la portée? À la relative différence culturelle entre la lointaine Islande et l’Europe continentale?  C’est sans doute un peu tout ça à la fois puisque l’écrivain n’est pas le dernier des débutants et a même reçu plusieurs prix littéraires d’importance chez nos amis nordiques.

En refermant ce roman, je continue de me dire que l’âme islandaise est décidément loin de mes standards. Elle est farouchement indépendante jusqu’à en devenir glaciale. Et s’il y a bien une chose que l’on retrouve dans Les Rois d’Islande c’est cette franchise de la langue où la demi-mesure est engloutie dans une spontanéité volcanique. Est-ce assez pour en faire une excellente histoire ? Sans doute pas mais il y a quelque-chose d’étrange dans cette littérature nordique, une sensation d’être en prise avec un être humain qui vous regarde droit dans les yeux, sans broncher. L’air de dire « tu t’évertues à vouloir percer mon mystère alors que je suis pleinement en face de toi. » 😉

À bientôt,


(1) GUDMUNDSSON E., Les Rois d’Islande, Éditions Zulma, 2018.

(2) Ibid., P.14


10 réponses à « Les Rois d’Islande | Einar Már Guðmundsson »

  1. Bonjour Johan,
    Quelle belle analyse ! Aurais-tu pris plaisir à jouer avec les mots ?
    En te lisant, au sujet de l’Islande et ses mystères, j’ai pensé au roman « Les falsificateurs » d’Antoine Bello (auteur français, celui-ci, accessible sans les aléas de la traductions).
    J’aimerais découvrir cette île volcanique ! Cependant, ton analyse me laisse moins enthousiaste à l’idée de lire ses auteurs. 😉

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    1. Bonjour Nina,

      Merci de ton passage ! Et oui je suis dans ma période trituration de mots dont la plupart se retrouvent gribouillés dans un carnet d’écriture créative.

      Je note pour Les Falsificateurs d’Antoine Bello ! 👍

      Belle journée !

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      1. Bonne journée, Johan… et bonnes séances d’écriture !

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    1. Le livre ne me tente pas mais ta chronique est très réussie. J’ai aimé visiter ainsi l’Islande, avec ses noms sl étranges pour nous, en passant par New-york, son musée d’Art Moderne et Björk. J’ai eu cette gêne des noms norvégiens pour le dernier Gunnar Staalesen, piège à loup. Heureusement le récit était passionnant et a fait passer les Nedre Fjellsmug, Østre Skostredet, Vetrlidsallmenningen, Telthssmuget. Page prise au hasard….

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      1. Bonjour Alain,

        Merci de ton passage.

        D’habitude les noms qui suintent ne me dérangent pas, ils participent même à l’invitation au voyage dans des contrées que je ne connais pas. Mais là … « Trop is te veel !  » comme on dirait chez nous 😉

        Oui j’avais vu ta chronique pour Gunnar Staalesen. Un auteur que je ne connaissais pas d’ailleurs.

        À bientôt!

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  2. Je me suis beaucoup amusé avec cette chronique et eut envie d’entraîner le « Petit Analyste » au centre de la terre. Un grand merci.

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  3. Une très belle chronique ! L’Islande ça doit être magique à visiter. bon weekend 🙂

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  4. Sacré détour pour arriver en Islande, Johan. Très belle chronique. Voyage dans l’arborescence folle et exubérante des mots qui, sans protocole aucun m’ont prise par la main dans leur danse tourbillonnante.
    New York, je voudrais y aller un jour pour effacer la frontière entre rêve et réalité et suivre les chemins qui ne sont pour l’instant qu’en état de papier. Mais avant NY j’irais en Islande (pas pour Björk) sur les traces des elfes.
    Je ne connais pas du tout cet auteur (je me garde bien d’écrire son nom, je ferais sûrement une faute, même si ce n’est pas le plus compliqué que j’ai rencontré ; chez les nordiques il y a souvent, dans leur nom, le fils de), et pour revenir, ta dernière phrase sur le mystère me fait penser au roman Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson (islandais, bien sûr) que j’ai adoré. Le mystère des mots dans Le Paradis perdu de Milton attire un jeune pêcheur entre la vie et la mort.
    o

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    1. Bonjour Diana,

      Merci de ton passage.

      Vu la courbure de la Terre, un vol vers NYC te ferait passer au dessus (ou pas loin) de l’Islande la minérale. Je note pour Stefansson !

      J’aime

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