Le bien-être animal est une notion qui me glisse entre les doigts dès que j’essaie de la saisir entièrement. Il est évident que je suis contre la cruauté envers les animaux. Les chevaux mutilés, les chats pris pour des ballons de foot, les poulets entassés en batterie qui ne respirent jamais l’air extérieur, le gavage d’oies. Les faits parlent d’eux-mêmes et toute personne saine d’esprit reconnaît dans cette situation quelque-chose qui est proche de la démence. Dis-moi comment tu traites l’animal et je te dirai qui tu es. 😉

Et puis, à l’autre bout de la problématique, il y a les variations de différents mouvements liés à l’alimentation tels que le flexitarisme, végétarisme ou végétalisme. Tous apportant leurs lots de réponses quant à la question du bien-être animal mais réveillant aussi d’autres interrogations dont une qui me taraude particulièrement : Puisqu’il est prouvé que les plantes ont une sensibilité, qu’est-ce qui légitime la priorité du bien-être animal sur celui de la flore ? Est-ce une empathie pour ce qui nous ressemble uniquement? Notre méconnaissance de la nature ? Voire sa négation ?

N’ayant pas de réponse définitive à ce sujet, je continue d’ouvrir le champ des possibles et vous livre un compte rendu de ma lecture de l’ouvrage Abattoirs de Chicago (1) de Jacques Damade.

Quiconque veut penser l’évolution du Monde va rarement voir du côté de cette métropole américaine du Middle West américain. Elle a connu une évolution galopante en à peine moins de deux siècles. L’auteur français retrace l’histoire de cette ville qui naquit entre les marécages et des villages d’indiens. On y élève du bétail ici et là dans de grandes plaines quasi désertes. On parle alors de de 3 à 5 habitants par kilomètre carré. Et puis, il y a un point de basculement qui va révolutionner l’élevage et l’emmener vers un monde productiviste : l’arrivée du chemin de fer !

“ Non seulement le train permet d’acheminer les troupeaux, mais il est partie prenante dans la création et le développement des abattoirs. Ce sont en effet neuf compagnies de chemin de fer qui acquièrent, vers 1864, 1,3 km² de marécage au sud de Chicago et créent le 25 décembre 1865 l’Union Stock Yard & Transit Co […] On y aménage le long des voies ferrées un immense  parc à bestiaux et on y centralise les abattoirs. C’est un moment important, crucial pour les abattoirs de Chicago, il constitue un changement d’échelle, il s’adapte à l’immensité du Middle West et correspond à l’essor du capitalisme. (2) “

Plus rien n’arrêtera la course effrénée de production de viande. Jacques Damade revient en détail sur les différentes étapes de cette industrialisation alimentaire, de l’arrivée du train, en passant par celle des méthodes de conservations réfrigérées, jusqu’à la mécanique brevetée d’abattage des porcs, tout y est. Les abattoirs de Chicago ont inventé, avant l’heure, la division du travail. Chaque élément est minutieusement pensé afin d’écouler un maximum de viande en un minimum de temps. On produit alors plus qu’il n’en faut sans se soucier de cette surproduction. On arrivera bien à rentabiliser les invendus. Au pire ils seront jetés sans surcoût.

L’auteur français arrive à démontrer que les origines de la folie capitaliste, au départ de cette ville américaine, et ce dès la fin des années 1800. Le reste n’est qu’une reproduction de ce modèle à l’échelle planétaire rendu possible grâce aux avancées technologiques qui ne cesse de perdurer. Le fait d’avoir la généalogie du capitalisme à travers l’Histoire des abattoirs de Chicago montre à quel point ce schéma est d’une inhumanité crasse pour la Nature et l’Homme. Le nouveau bétail est maintenant l’Homme pressé comme un citron chez qui l’on extrait jusqu’à la dernière goutte de production afin que l’industrie du divertissement puisse nous apporter quelques fragiles instants de satisfaction. Nul besoin d’être devin, par exemple, pour prédire un record d’audience numérique pour la prochaine coupe du monde de football qui se déroulera au Qatar. Cachez-moi cette réalité que je ne veux pas voir et apportez-moi des pop-corn.

En conclusion, le livre Abattoirs de Chicago donne du grain à moudre dans la réflexion sur la place du vivant dans son ensemble. Il y a dans notre rapport à l’animal quelque-chose qui en dit long sur ce que nous sommes. De là, à tout envoyer en l’air et à devenir et à devenir végan, il y a un pas que je ne franchirai pas.

N.B. En bonus une vidéo assez piquante, voire salée, mais toujours à propos, du collectif Yes vous aime sur la cantine végétarienne. 😉

À bientôt


(1) DAMADE J., Abattoirs de Chicago, Éditions la Bibliothèque, 2020 

(2) Ibid. P.37


8 réponses à « Abattoirs de Chicago | Jacques Damade »

  1. Le coup du poisson est très drôle dans la vidéo (très drôle aussi !). Un livre que je vais lire sans tarder, les sujets m’intéressent, mais à la fin je suppose que la déprime est assurée, non ?

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    1. Bonjour Dominique,

      L’écriture et la manière de traiter le sujet dans « Abattoirs de Chicago » fait qu’il s’agit d’une essai mêlant l’Histoire, la Philosophie et évidemment la Cause animale. Tout est dit avec intelligence, sans forcer le trait et sans phrases coups de poing. Personnellement cette lecture ne m’a nullement déprimé …

      N.B. : Les vidéos « Broute » sont souvent très à propos. Avec cette pincée d’ironie, ces punchlines sarcastiques, ce côté aigre-doux et des thèmes d’actualité.

      À bientôt

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  2. Un livre qui semble bien intéressant. Des problématiques très actuelles avec des réponses parfois extrêmes comme un brusque mouvement de balancier dans l’autre sens. La question de l’éthique est centrale qui ne peut être que l’art de la mesure… dans des changements profonds. Pas simple mais des choses commencent à émerger. Bon dimanche 🙂

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    1. Bonjour Alain,

      En effet, je suis agréablement surpris par les choix thématiques de la maison d’édition La Bibliothèque et la manière intelligente d’aborder les sujets afin de rééquilibrer le balancier 😉

      Notre manière de voir/comprendre l’animal diffère, certes à travers les époques, mais aussi à travers le monde. Et puis il y a cette hiérarchisation dans le vivant qui continue de me poser problème …

      À bientôt !

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  3. On retrouve les abattoirs de Chicago et la folie productiviste dans « Tintin en Amérique », qui date des années 1920 !

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    1. Ah toujours là pour sortir une petite pépite !
      J’ai cet album à la maison, je vais le feuilleter à nouveau un de ces quatre …

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  4. […] Damade est de ceux-là. J’avais déjà eu l’occasion de m’en apercevoir dans Abattoirs de Chicago et ce sentiment vient de se cristalliser avec Darwin au bord de l’eau […]

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