Moscou. 1933. Dans un appartement quelconque, un dramaturge empêché vient d’accoucher d’une pièce de théâtre. Les dizaines de feuilles, noircies de mots, jonchent le sol. C’est qu’il y a eu complication. Il a fallu trouver le juste milieu entre l’imaginaire débridé de l’auteur et l’âpre réalité de l’union soviétique. Mais il est trop tard pour revenir en arrière dès que la conscience s’en est mêlée. Les personnages sont nés sur des morceaux de papier et ne demandent plus qu’une chose: s’incarner dans la peau de comédiens.

L’auteur a conscience que cette pièce, comme les précédentes, sera frappée par la censure. Tout au plus lui laissera-t-on le droit de faire une ou deux représentations pour la forme. Histoire de créer une illusion culturelle au cœur de l’URSS stalinienne. Mais le dramaturge russe n’en a cure, il aura beau être muselé, cela ne l’empêchera pas d’écrire et de créer des œuvres en lien avec les planches. J’en veux pour preuve son livre sobrement intitulé Le roman de monsieur de Molière (1) et vous propose une petite analyse de ce livre écrit par un certain … Mikhaïl Boulgakov.

La biographie romancée

Dès l’entame du récit, nous sommes mis devant un fait accompli. Il s’agit d’une biographie romancée sur la vie du célèbre dramaturge français. Cette manière de procéder permet à Boulgakov de prendre les habits du conteur et de faire naître, devant nos yeux de lecteur, Jean-Baptiste Poquelin dit Molière. Le ton utilisé et les mots choisis nous immergent avec légèreté dans l’histoire de cet homme sans nous demander de connaissances spécifiques. Cette manœuvre a le mérite de nous apprendre des faits sur Molière en évitant l’écueil des détails trop techniques qui nuiraient à la lecture:

“ Sur la scène se jouait une farce d’une insolence débridée, qui n’avait rien d’innocent: c’était la farce des mœurs et des coutumes de Paris d’alors, et ceux qui vivaient ces mœurs et créaient ces coutumes se trouvaient là, dans les loges et sur la scène. Le parterre riait aux éclats et pouvait les désigner du doigt. Il avait reconnu les grands seigneurs des salons, que l’ancien tapissier couvrait ainsi publiquement de ridicule. (2) “

Boulgakov passe en revue la vie de Molière à travers le prisme de ses pièces de théâtre. Nous apprenons dans quelles conditions étaient écrites chacune de ses comédies mais aussi comment se passèrent les représentations. Le dramaturge français a commencé à Paris avec sa troupe de l’Illustre Théâtre et s’est royalement cassé la gueule au point de devoir quitter la capitale. Suite à cette déconvenue, il parcourra les régions de France pendant plus d’une décennie. Il n’aura de cesse de monter sur les planches avec sa bande de comédiens afin d’y jouer les classiques de l’époque, sans le succès escompté. C’est aussi durant cette période qu’il écrira ses premières pièces teintées de comédie. A ce titre Boulgakov, semble-t-il, est arrivé à cerner ce qui fit défaut chez le jeune Molière qui s’entêtait à jouer des tragédies alors que son génie résidait dans la comédie et la farce. Dès qu’il en prendra conscience, son nom sera sur toutes les lèvres et arrivera jusqu’aux oreilles du Tout-Paris.

Molière reviendra alors dans la capitale française et ses pièces feront rire aux éclats ou grincer des dents mais plus jamais elles ne laisseront indifférentes comme c’était le cas au début de sa carrière. Ses pièces étaient tellement osées pour l’époque à se moquer de la petite bourgeoisie parisienne et de l’Eglise qu’elles flirtaient à chaque fois avec la censure. Le travail du dramaturge avait la chance d’être apprécié par Louis XIV en personne. Et c’est sans doute ce qui lui valu de rester en haut de l’affiche alors que ses détracteurs l’attendaient au tournant dans le but d’interdire ses pièces. Ce qui arriva parfois! A l’instar des œuvres théâtrales de Boulgakov qui furent quasi toutes censurées par le régime communiste.

L’orviétan

Le roman de monsieur de Molière est aussi l’occasion de faire connaissance avec les mœurs du XVIIème siècle. Nous y apprenons, entre autre, l’existence de l’orviétan, ce médicament présenté sous forme de remède miracle mais qui était en fait l’œuvre d’arnaqueurs sans scrupules dont Molière s’est moqué dans sa pièce l’Amour médecin:

“ Les baraques du Pont-Neuf accueillaient des médecins ambulants, des arracheurs de dents, des charlatans apothicaires qui vendaient aux gens des panacées qui guérissaient de tous les maux. Pour attirer l’attention sur leurs boutiques, il s’abouchaient avec des saltimbanques de rue, parfois avec de véritables acteurs qui avaient déjà pris pied sur les planches des théâtres et l’on assistait à de véritables représentations à la gloire des médications miraculeuses. […] Tout Paris parle d’un homme aussi extraordinaire que mystérieux, un certain Christophe Contugi. Il a engagé toute une troupe et donne sur une estrade des spectacles de polichinelles, grâce auxquels il vend une bouillie médicinale qui guérit tous les maux, et qu’il a baptisé Orviétan. (3) ”

En conclusion

Le roman de monsieur de Molière est un livre écrit par le passionné de théâtre qu’était Mikhaïl Boulgakov. Il permet aux novices (dont je fais partie) de rentrer dans l’œuvre du célèbre comédien français et de découvrir des éléments historiques de la vie courante durant le XVIIème siècle. Certes, l’auteur russe n’a pas, encore, le degré d’écriture de son œuvre phare Le Maître et Marguerite mais cette biographie se laisse lire avec un certain plaisir 😉


(1) BOULGAKOV M., Le roman de monsieur de Molière, Editions Gallimard, 1993.

(2) Ibid., P.132-133

(3) Ibid., P.28-29


Pour aller plus loin


8 réponses à « Le roman de monsieur de Molière | Mikhaïl Boulgakov »

  1. Bonjour, merci pour ce partage. J’ai pour ma part lu la version publiée par les éditions champ libre de 1972 traduite par Michel Pétris. J’étais tombé par hasard dessus dans une brocante . C’est un conte merveilleux, une lutte drôle à lire sur la liberté d’expression. Je vous souhaite une bonne journée.

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    1. Merci pour votre commentaire. La version lue ne doit pas différée de la vôtre puisqu’il s’agit aussi d’une traduction de Michel Pétris. Par contre la première de couverture des éditions champ libre est pour le moins originale avec ces couleurs fluos… 😉

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      1. Oui 😇😇😇😇, c’est comme vous pouvez vous en douter ce qui avait attiré mon regard 😄😄😄😄. Bien à vous

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  2. J’ai beaucoup aimé « Les carnets d’un jeune médecin », moins « Le maître et marguerite ». Je serais curieux de lire ce livre sur Molière qui semble intéressant. Bonne journée !

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    1. Bonjour Bibliofeel,

      Ah le Maître et Marguerite, certains passent à travers et d’autres adorent. Bizarrement je comprends les deux avis malgré mon amour, presque épidermique, pour ce roman. 😉

      À très bientôt

      À bientôt

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  3. […] blog Les petites analyses m’a donné très envie de découvrir Le roman de monsieur de Molière dont je n’avais jamais entendu […]

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